20 ans et 21 jours pour faire un bleu

Pas moins de 20 000 visiteurs attendus à la fête du bleu de Gresse-en-Vercors le week-end prochain, 700 000 au salon de l?agriculture à Paris en février dernier ; quand le fromage du Vercors est au coeur d?une manifestation, le ticket d?entrée est rarement à moins d?une dizaine de milliers de participants. « Le succès est au rendez-vous », reconnaît Paul Faure, le président de la coopérative Vercors lait à Villard-de-Lans. L?entreprise affiche en effet une croissance à deux chiffres sur le segment bleu pour 2013 : + 25% en neuf mois. Cette production devrait ainsi s?établir à environ 240 tonnes à la fin de l?année, qui se répartit en bleu fermier mais aussi en bleu laitier, traditionnel ou bio. Pour la première fois depuis la création de l?AOC* en 1998, l?établissement pourrait dégager un complément de revenu pour les contributeurs. Les exploitants ne se laissent pas griser par ces résultats. « Nous sommes encore fragiles en dépit de tout le travail réalisé », poursuit le président. Fragile parce que la coopérative ne transforme pas plus de 65% du lait qu?elle collecte. L?objectif des 100% est encore loin. « Et nous sommes longtemps restés en dessous de la barre des 50% », reconnaît Paul Faure. Présente sur des marchés régionaux, la coopérative multiplie les débouchés. Elle travaille avec les collectivités comme la Métro ou manger bio Isère, pour la restauration et de nombreux grossistes.
Maîtriser l?ensemble de la chaîne
Pour le bleu, tout s?est joué ces vingt dernières années. Le syndicat interprofessionnel du bleu Vercors-Sassenage a été créé en 1993 et l?AOC obtenue en 1998, suivie de l?AOP** en 1999. « C?est un des parcours les plus courts », souligne Chrystelle Hustache, chargée de l?animation du syndicat. Désireux de dynamiser l?AOP, les producteurs décidèrent en 2003 de reprendre la coopérative de Villard-de-Lans que vendait Lactalis, et la fusionnèrent avec celle d?Autrans. En créant le magasin dans la foulée, ils maîtrisaient désormais l?ensemble de la chaîne, de la production à la distribution. Aujourd?hui les producteurs attendent l?IGP*** pour disposer d?un label supplémentaire.
L?établissement réunit 35 exploitations, soit une soixantaine d?éleveurs laitiers. Le syndicat interprofessionnel du bleu du Vercors-Sassenage compte en outre neuf producteurs fermiers, trois produisant leur fromage en individuel et six étant aussi à la coopérative. Rares sont les éleveurs laitiers du Vercors qui ne sont pas coopérateurs. Il faut dire que les exploitations sont de moins en moins nombreuses. Il y a 15 ans, Vercors lait collectait 70 producteurs mais ne transformait que 79 tonnes. « Certaines AOC baissent en production, mais le bleu a connu une évolution constante », insiste le président. De sorte que la coopérative affiche désormais une production de 370 tonnes, tous produits transformés confondus (bleu, saint-marcellin, saint-félicien, faisselle, briques, pâte molle, pâte cuite?) Elle collecte 5,6 millions de litres de lait, dont 1,3 million de litres en bio. Les 35% qui ne sont pas transformés sont ramassés au titre d?un contrat inter entreprise avec Sodiaal, mais aussi pour une fruitière privée à Autrans ainsi que pour des distributeurs de lait bio. « La coopérative reste un outil à taille humaine », reprend le président, qui demeure très attentif aux évolutions du marché conjuguées aux obligations sanitaires. « Depuis deux ans, nous sommes passés d?un lait pasteurisé à un lait thermisé, nous voudrions faire du lait cru, mais il nous faudrait franchir un nouveau pas sanitaire ». Sur ce volet, l?atout de Vercors lait réside dans la rapidité de sa collecte : 48 heures pour balayer le massif entre Drôme et Isère.
Autonome pour l?après-quota
Diversifier les produits et le portefeuille client reste l?objectif premier des coopérateurs qui gardent le souvenir des années difficiles, à l?image de 2007 où la communauté de communes avait racheté les murs de la coopérative exsangue. « Cela nous a aidés à franchir un palier. Depuis, nous payons un loyer », rappelle le président de Vercors lait. Si l?avenir se dégage enfin, c?est que l?entreprise, un des principaux employeurs du plateau avec ses 22 salariés, parvient enfin à son seuil de rentabilité et propose un prix du lait honnête. « Nous serons plus forts, mieux structurés et autonomes pour l?après-quota », affirme Paul Faure, qui affiche un chiffre d?affaires de 5,2 millions d?euros en 2012, lequel devrait atteindre en consolidé les 6 millions d?euros en 2013.
Si bien que les projets sont nombreux : renouvellement du matériel, aménagements extérieurs autour de la coopérative, mais aussi, création d?une cave d?affinage pour les tommes et les raclettes mises sur le marché depuis trois ans et qui rencontrent un vrai succès. Fabriquées sur place, ces pâtes dures sont encore affinées en Savoie, ce qui représente un poste financier important en termes de transport et de manipulation. Pour autant, Vercors lait demeure une structure peu endettée qui investit régulièrement pour accompagner son développement. « Nous savons par où nous sommes passés », concède le principal producteur de bleu.
Isabelle Doucet
* AOC : Appellation d'origine contrôlée
**AOP : appellation d'origine protégée
***IGP : Indication géographique protégée
(encadré)
Les incontournables du bleu
Le bleu du Vercors-Sassenage est un fromage de montagne. Il est fabriqué à partir du lait provenant de troupeaux de vaches de race montbéliarde, abondance et villarde qui pâturent à 800 mètres d?altitude et sont nourries avec des fourrages de la zone AOP. Cette zone couvre 27 communes du parc naturel régional entre Drôme et Isère. Ce fromage à pâte persillée demi-molle non pressée et non cuite d?une trentaine de centimètres de diamètre se caractérise par un affinage court (21 jours). Son destin est généralement associé à celui de la race villarde, sauvée de l?extinction depuis une quarantaine d?années, et c?est désormais ensemble qu?ils courent les manifestations.