A.Moyne-Bressand "ne veut pas que les agriculteurs crèvent"

Extérieurement la température avait baissé. A l'intérieur de la salle de réunion de la mairie de Crémieu, envahie par plus d'une soixantaine d'agriculteurs qui avaient répondu à l'appel de la FDSEA et des JA de l'Isère afin de rencontrer le député Alain Moyne-Bressand, la chaleur était nettement plus intense.
Série de l'été
Le rendez-vous lance une série de réunions que la FDSEA et les JA ont souhaité vis-à-vis des députés et sénateurs qui n'ont pas répondu présents à l'invitation du 1er juillet, à La Tour du Pin. « Je n'ai pas apprécié votre absence ce soir là », lance Pascal Denolly, président de la FDSEA au député du nord Isère. Et le rassure immédiatement : « Nous parlerons à tous les grands élus du département, de droite, comme de gauche ou d'ailleurs. Nous les rencontrerons tous. » Une série d'été est en train de naître. « Mais ce n'est pas pour tendre la sébile, c'est pour que vous usiez de tout votre pouvoir pour faire appliquer les lois, les faire respecter et faire que les grands équilibres soient préservés. ». Jérôme Crozat, présent dans la salle en tant qu'éleveur, résume : « Vous devez être capable de faire pression pour que les prix remontent de 50 à 60 euros pour 1 000 litres, ce qui ne serait qu'un prix d'équilibre par rapport aux coûts de production ; Vous devez agir pour que les grandes enseignes comme Leclerc, lorsqu'elles bafouent la loi sur les marges arrière ne s'en sortent pas seulement parce qu'elles peuvent se payer une armée d'avocats ; vous devez également faire en sorte que la profession retrouve un poids réel dans l'interprofession, un poids qu'elle a perdu avec le nouveau système en place. » Car si la réunion de vendredi soir à Crémieu a montré un visage de l'agriculture moins proche du dérapage que la semaine précédente à La Tour du Pin, la nervosité des agriculteurs, leur colère étaient bien là.
Les tripes parlent
Et ils ont su l'exprimer fortement, avec leurs tripes, leur bon sens, leurs mots simples mais forts. « Nous sommes revenus au temps des seigneurs, avec des paysans qui triment et ne gagnent rien », dira l'un. « C'est de la prostitution que de faire du lait aujourd'hui », lancera un autre. « Désormais, nous sommes des travailleurs pauvres », annoncera un troisième. « Nous sommes méprisés par les transformateurs et les industriels », renchérit encore un membre dans la salle. « M. Moyne-Bressand, voyez-vous la proportion de jeunes qu'il y a dans la salle ce soir, fera remarquer Françoise Soullier, présidente des JA 38. S'ils sont là aussi nombreux, c'est que les choses vont mal, que certains sont au bord du dépôt de bilan et d'autres pensent au suicide. » Des mots forts, mais pas des mots en l'air. Car le désarroi, le découragement de ne plus avoir de perspectives sont bien palpables. « Si nous sommes là, c'est que nous n'avons pas le choix : c'est ça ou on crève ! », envoie Pascal Denolly. A.Moyne-Bressand reprend l'expression : « Je connais votre détresse et je ne veux pas que vous creviez ! » Mais le député veut se montrer impuissant face à un gouvernement et surtout un ministre de l'Agriculture « interpellé il y a trois semaines, qui n'a donné aucune réponse parce qu'il ne s'occupe plus de ces problèmes ». « Quand c'était la droite qui était au pouvoir, les gens aux manettes ont aussi laissé filer l'agriculture », lance une voix dans l'auditoire. Pascal Denolly « comprend que [le député] renvoie la balle, mais les normes, c'était sous Sarkozy, la directive nitrate a concerné plusieurs gouvernements... » Pas question pour les présents de laisser l'élu se dédouaner aussi facilement.
Passionnés jusqu'à quand ?
« Savez-vous que la mise aux normes représente 50 000 euros d'investissements totalement improductifs pour 500 000 litres de lait ? La France a passé du temps à créer des règles, pour qu'une partie de l'Administration exerce des contrôles. Nous sommes enfermés désormais dans une tour de Babel dont nous sommes prisonniers ». Et toutes ces contraintes, toutes ces exigences et ce mépris que les industriels traduisent par un prix ridicule, toute cette absence de reconnaissance du consommateur, « se basent sur la véritable passion au métier, à la terre, aux bêtes » que tous, dans la salle, ressentent, tout en représentant une faiblesse parce que les producteurs sont devenus le maillon que les autres écrasent, sans vergogne. « La passion, on en a ras-le-bol », affirmera un éleveur. Alors chant du cygne avant une totale disparition du territoire ? Non, mais une vraie rage, une vraie rancœur qui a su s'exprimer à Crémieu et qui laisse présager des actions médiatiques : l'idée de bloquer l'autoroute un jour de grands départs ou de faire une opération péage gratuit a été évoquée. De perturber les étapes du Tour de France aussi, y compris par le député qui incitait à le faire en raison de l'impact médiatique et la pression que cela peut mettre sur le gouvernement. Peut-être pas fair-play entre responsables politiques, mais efficace au moins pour maîtriser l'auditoire.