AFP: un bel outil pour défricher

Dans le vallon d'Uriage, on les remarque à peine. Les terres reprises au sauvage par l'association foncière pastorale (AFP) libre des coteaux du Crêt (Vaulnaveys-le-Haut) se font discrètes. Seul l'œil expert distingue ici une pastille de prairies, là un passage entre les broussailles, plus loin une pâture plantée d'aubépine qu'arpente un petit troupeau de brebis. Ces terres fraîchement (re)conquises constituent pourtant une jolie petite victoire. Voire une belle démonstration de mobilisation collective.
L'histoire de Vaulnaveys ressemble à celle de toutes les petites communes rurales vivant dans l'ombre de grosses agglomérations : terres agricoles délaissées, colonisées par la forêt ou l'habitat pavillonnaire, coteaux en friche, épaississement des haies, embroussaillement, chemins qui disparaissent, paysages qui se ferment... Au tournant des années 2000, l'équipe municipale cherche à enrayer le processus. « Nous avions deux zones qui s'enfrichaient sur le coteau du Crêt et celui de Montbardier, raconte le maire, Jérôme Richard. Parallèlement, nous voulions défendre la nature et l'agriculture. Car, pour nous, préserver une activité agricole viable dans la commune permettait de concilier des enjeux paysagers, économiques, environnementaux et sociaux. Encore fallait-il trouver les espaces nécessaires. En 2004, nous avons lancé une réflexion sur la constitution d'une association foncière pastorale. Nous avons pris contact avec l'Adasea et organisé les premières réunions publiques. Il y avait plus de 187 propriétaires à mobiliser. Un vrai chemin de croix... »
Action collective
Dix ans plus tard, le résultat est là, modeste, mais exemplaire. Créée en 2007 avec l'aide de la région, l'AFP des coteaux du Crêt a fini par séduire 18 propriétaires. Elle ne représente qu'une petite part de l'espace agricole vaulnaviard (28 hectares sur 270), mais illustre de belle manière le pouvoir de l'action collective quand il s'agit de mettre en valeur des terrains, privés ou publics, depuis longtemps délaissés parce qu'impossible à mécaniser ou à valoriser de manière individuelle. En sept ans, d'importants chantiers de débroussaillage ont été entrepris, financés par la commune de Vaulnaveys, le pays du Grésivaudan, le CDRA Alpes sud-Isère et l'Europe (programme Leader). Aujourd'hui, des brebis broutent sur les pentes douces de Montgardier et, un peu plus haut, un apiculteur-trufficulteur a planté noisetiers et chênes en lieu et place des broussailles.
Ces opérations de défrichage ont permis à Yves Argoud-Puy de monter un petit élevage ovin en 2008 et de rejoindre sa femme Josée au sein de la ferme de Montgardier, jusqu'alors spécialisée dans l'élevage porcin et la culture de petits fruits. « Nous avons essayé de gagner sur le coteau en défrichant les parcelles attenantes à notre propriété. Il faut débroussailler au minimum pour ne pas perturber les voisins. En 2009, nous avons fait du nettoyage et du débroussaillage naturel avec les brebis. » Quatre ans plus tard, dix nouvelles parcelles, soit 1,3 hectares, ont été gagnées sur la friche, grâce à des travaux financés conjointement par la commune et le CDRA Alpes Sud Isère. « Nous avons maintenant un périmètre homogène pour conforter notre petit cheptel ovin », se réjouit Yves Argoud-Puy.
Mitage
L'éleveur est conscient de sa chance et regrette d'être l'un des rares à en profiter. Car l'homogénéité des parcelles est justement l'une des difficultés auxquelles se heurtent les associations foncières pastorales. « Au début, nous aussi, nous avons opté pour l'AFP libre, témoigne Jean Poulet, président de l'AFP de Sarennes (1427 hectares). Nous ne voulions pas arriver de façon autoritaire pour récupérer du foncier : ça aurait été très mal perçu. Mais nous avons rapidement été confronté à un problème d'exploitation. Avec l'AFP, il y a un mitage, avec une parcelle ici, l'autre là. Ce n'est pas simple quand il s'agit de faire pâturer des troupeaux. » Le seul moyen de « boucher les trous » et de créer un tout cohérent est de trouver de nouveaux terrains. Parfois les AFP reçoivent l'appui de la Safer. «Nous intervenons régulièrement, confirme Nicolas Agresti, directeur départemental de la Safer Isère. Lors d'une transaction, nous pouvons faire en sorte de maintenir certains terrains dans le périmètre de l'AFP. L'acquéreur prend alors l'engagement de laisser les pâturages de sa propriété à la disposition des alpagistes, comme cela s'est fait récemment à Allevard.»
Mais le plus souvent il faut convaincre de nouveaux propriétaires d'adhérer à l'association. Plus facile à dire qu'à faire : « Faire accepter une AFP, c'est aussi difficile que de faire accepter des logements sociaux, souligne Marc Odru, premier adjoint à la mairie de Vaulnaveys. La majorité des propriétaires est d'origine agricole. Ils ont du mal à faire confiance à un « urbain » qui vient s'installer sur des terres, celles de leurs ancêtres, qu'ils ont eux-mêmes abandonnées. » Un élu reconnaît que «c'est compliqué de convaincre». Alain Giordano, président de l'association foncière pastorale (AFP) libre des coteaux du Crêt, s'est armé de patience : « J'ai pris mon bâton de pèlerin et je suis allé rencontrer 23 propriétaires. ». Un travail de fourmi qui finit souvent par payer. En 2013, à Vaulnaveys, six nouveaux propriétaires ont accepté de rejoindre l'AFP. « Pour être crédible, il faut pouvoir montrer une installation exemplaire, résume Jérôme Richard. Montrer que la colline est entretenue, c'est important pour convaincre. »
Carottes financières
Les arguments développés pour persuader les propriétaires vont du propos rassurant (« Mais non, vous n'allez pas perdre vos terres... »), aux explications techniques (le propriétaire signe un bulletin d'adhésion et donne pouvoir à l'AFP d'intervenir sur son terrain et de passer des actes avec les agriculteurs ; si le terrain devient constructible, il perd sa vocation herbagère et le propriétaire peut se désengager de l'AFP), en passant par les carottes financières : l'adhésion ne coûte pas grand chose, elle peut rapporter (un peu) et donne droit à une exonération de taxe foncière sur les parcelles concernées. « Aujourd'hui de nombreux propriétaires voient ce qui se passe sur le terrain. Leurs parcelles sont propres et entretenues, le bouche-à-oreille fonctionne et le témoignage des voisins fait que les choses évoluent », constate Hervé Weisbrod, technicien à la chambre d'agriculture en charge du dossier.
Du point de vue des agriculteurs, les associations foncières pastorales sont des facilitateurs. Comme elles se substituent aux propriétaires, les éleveurs n'ont plus à négocier une multitude de baux ruraux : ils louent les terres à une association et lui paient un seul fermage (entre 20 et 60 euros l'hectare selon le terrain). Ce loyer est ensuite redistribué entre les propriétaires, moins une quote-part destinée à assurer le bon fonctionnement de l'AFP. « Pour engager des travaux, il faut un peu d'argent et des fonds propres, recommande d'expérience Jean Poulet. Il faut faire comprendre aux propriétaires l'importance de laisser leur quote-part pendant les cinq premières années : cela permet à l'AFP de se constituer des fonds propres. » Le conseil est précieux pour qui voudrait se lancer. Car, dans le cas des AFP libre notamment, un certain nombre de financements publics ne sont pas accessibles, ou le sont de moins en moins.
Marianne Boilève
Libre, autorisée ou constituée d'office
Les associations foncières pastorales (AFP) sont des regroupements de propriétaires de terres agricoles ou pastorales ou de terrains boisés situés en zone de montagne. Elles permettent la gestion collective - et donc la valorisation - d'espaces souvent réputés difficiles, voire laissés en friche. Au sein de leur périmètre, elles assurent, ou font assurer, l'aménagement, l'entretien ou la gestion d'ouvrages (pistes, points d'eau, logements pour les bergers...), la mise en valeur et la gestion des terres, ainsi que les travaux nécessaires à la protection des sols. Il existe trois types d'AFP :Les AFP libresNées d'une démarche volontaire des propriétaires, elles sont souvent constituées pour permettre la réalisation de travaux. Il existe 17 AFP libres en Isère.Avantage : les propriétaires ne sont pas obligés d'adhérer.
Inconvénient : pas forcément de continuité entre les parcelles ; les AFP libres n'ont pas le statut d'établissement public à caractère administratif, elles ne peuvent donc pas bénéficier d'aide publique, ni de dégrèvements fiscaux.Les AFP autoriséesConfrontées à l'embroussaillement et à la fermeture de l'espace, les collectivités territoriales sont souvent à l'origine des projets d'AFP autorisées. Ces AFP sont constituées après enquête et consultation des propriétaires. Les AFP autorisées ont le statut d'établissement public à caractère administratif. Il en existe 18 en Isère.
Avantage : leur statut leur ouvre droit aux subventions publiques (aide au démarrage, aide au fonctionnement...).
Inconvénient : ce même statut leur impose des règles de fonctionnement comparables à celles des communes.Les AFP constituées d'officeLorsque l'état d'abandon des terrains ou leur défaut d'entretien est de nature à constituer un danger pour ces fonds ou pour les fonds situés à leur voisinage, un arrêté préfectoral prévient les intéressés qu'à défaut de constitution d'une association autorisée, une association syndicale pourra être constituée d'office.MB