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Recherche appliquée

Agriculteurs et chercheurs unis par une bactérie

Une équipe de chercheurs s'est associée à des agriculteurs du Nord-Isère pour expérimenter l'inoculation de bactéries sur le maïs. Objectif : favoriser le développement de la plante et limiter les apports azotés.
Agriculteurs et chercheurs unis par une bactérie

Elle est microscopique, mais drôlement efficace. Azospirillum est une bactérie naturellement présente dans le sol qui, inoculée sur des céréales comme le blé, le maïs ou le riz, peut en augmenter la croissance, la résistance et le rendement tout en améliorant l'écoefficience des parcelles. Bien connu des experts en écologie des interactions, ce phénomène, dit de « symbiose associative », constitue une méthode de culture alternative pour qui souhaite concilier productivité, réduction des intrants chimiques et préservation des ressources en eau. Les agriculteurs mexicains l'ont bien compris, qui biofertilisent déjà près d'un million d'hectares de maïs avec Azospirillum. En France, la bactérie est surtout connue des chercheurs. Ou presque. Des expérimentations avaient été menées il y a une quinzaine d'années dans le Nord-Isère, mais les choses en étaient restées là. En 2011, l'association Paturin (comité territorial agricole et rural d'Isère Porte des Alpes), en partenariat avec des équipes de recherche de l'Inra et du CNRS, s'est relancée dans l'aventure. « Pour nous, explique Roland Seigle, président de Paturin, c'est une manière de faire vivre le secteur géographique et de montrer comment un comité de territoire peut venir en aide à ses agriculteurs, surtout dans des zones de captages protégés, où ils doivent diminuer leurs apports azotés. »

Améliorer le système racinaire

L'histoire a commencé par un joli hasard. Lucile Jocteur-Monrozier, élue à la mairie de Chatonnay et chercheuse CNRS à la retraite, discute un jour avec un agriculteur de sa commune. Elle évoque incidemment Azospirillum, une petite bactérie qui agit au moment de l'émergence racinaire. Sa spécialité ? Fabriquer une phytohormone, l'auxine, qui permet de stimuler le développement racinaire de la plante. « Normalement, Azospirillum est une bactérie qui fixe l'azote atmosphérique, précise Lucile Jocteur-Monrozier. Elle permet donc de limiter les apports azotés. Mais les études montrent aussi que, grâce au développement d'une multitude de petites racines, très fines, le maïs prospecte mieux les nutriments présents dans le sol et profite mieux des ressources en eau. » Et la chercheuse de relater les essais en serre pratiqués au lycée agricole de la Côte-Saint-André : « On a observé que la fixation d'azote commençait à s'exprimer 30 à 35 jours après le semis, c'est-à-dire au moment où, dans l'itinéraire agronomique classique, on apporte le fertilisant azoté. »  Pour l'agriculteur, c'est une révélation. Surtout dans un contexte de pollution de l'eau par les nitrates et de réglementation européenne de plus en plus stricte en la matière...

Résistante à la sécheresse

Ni une ni deux, la chercheuse et le paysan se mobilisent. Le programme « Terre et eau », l'association Paturin, puis la coopérative La Dauphinoise entrent dans la boucle. Une réunion d'information est organisée, au cours de laquelle René Bally, directeur de recherche au laboratoire d'écologie microbienne (CNRS ? Lyon I), décrit l'action des bactéries fixatrices d'azote associées aux racines des céréales. « Ces bactéries dites « PGPR » (1) permettent de modifier morphologiquement et physiologiquement la plante, indique-t-il. Dans le cas précis du maïs inoculé avec Azospirillum, on constate une augmentation du diamètre et de la longueur des racines, une prolifération du chevelu racinaire, une augmentation des activités enzymatiques et de la quantité d'AIA (2) dans les racines, une amélioration du taux de respiration et une stimulation de l'exsudation racinaire. » Conséquence : le rendement est amélioré, la quantité de matière sèche totale et la teneur en azote dans les tiges et les grains augmentées, la date de floraison avancée et la plante présente une meilleure résistance à la sécheresse. Rien de moins.

Une méthode alternative de culture

À la sortie de la réunion, une poignée de volontaires acceptent de pratiquer des essais sur leurs parcelles. Une première expérimentation est menée en 2011. Sans succès : la bactérie (inoculum Azogreen-m®) n'a pas survécu dans les sacs de tourbe destinée à envelopper les graines de maïs. En 2012, le projet est présenté à l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui le soutient à hauteur de 993 745 euros. Son nouveau nom de code : Azodure. Conduit par Laurent Legendre, enseignant-chercheur en physiologie à l'université de Saint-Etienne, le programme a pour mission de « développer une technologie d'inoculation de semences de céréales par Azospirillum pour qu'elle puisse être adoptée dans la décennie à venir comme une méthode alternative de culture. L'objectif est de réduire les besoins en engrais et la sensibilité des céréales aux accidents climatiques, tout en étant respectueuse de l'environnement et en augmentant l'écoefficience des champs ». Durant trois ans, le programme va donc associer chercheurs, agronomes, économistes, industriels et acteurs du monde agricole (l'association Paturin, la chambre d'agriculture de l'Isère et le groupe La Dauphinoise). Quatre agriculteurs installés sur les communes de Sérézin-de-la-Tour, Chatonnay et Saint-Savin sont impliqués. Lancé sur le terrain le 17 juin dernier, le protocole scientifique a déjà permis de réaliser des prélèvements, de localiser les parcelles et de recenser les problématiques des agriculteurs. Il faut identifier les cultivars les plus réceptifs et à produire un inoculum fonctionnel (Agrauxine). La balle ? ou plutôt le grain de maïs ? est désormais dans le camp des chercheurs qui ont un an pour déterminer les meilleures associations en sélectionnant les cultivars (groupe Dauphinoise) et détecter la réaction biochimique de la plante au contact avec la bactérie (laboratoire d'écologie microbienne). Rendez-vous au printemps 2014 pour les premiers tests grandeur nature.

Marianne Boilève

(1)  Plant growth promoting  rhizobacteria

(2)  Hormone de croissance végétale indispensable au développement des plantes.

 

 

L'inoculation, comment ça marche ?

Azospirillum existe à l'état naturel dans pratiquement tous les sols, mais avec « seulement » 103 ou 104 individus par gramme de sol. Or il faut 108 à 109 individus par graine pour obtenir un biofilm producteur de la fameuse hormone favorisant le développement racinaire. Il faut donc mélanger les bactéries (inoculum) à de la tourbe et brasser les graines dans cette tourbe avec un liant (de l'eau par exemple), pour que l'inoculum adhère bien aux graines. Une fois inoculées, les graines sont ensuite placées dans le distributeur du semoir et directement mises en terre.