Agro-écologie : une évolution plus qu'une révolution

Non, l'agro-écologie n'est pas un gros mot. Ni une mode. D'ailleurs la chambre d'agriculture de l'Isère s'est engagée dans l'aventure depuis fort longtemps, notamment au travers de journées de type Innov'Action. Certes les politiques - régionales, nationales et européennes - la poussent à œuvrer en ce sens. Mais au-delà de ces stimuli, la prise de conscience est réelle chez la plupart des responsables agricoles. « Demain, il faudra produire plus en faisant différemment pour nourrir nos concitoyens », a rappelé Jean-Claude Darlet, président de la chambre, en introduction à la journée orchestrée par ses services sur « l'agro-écologie en pratiques ». Et son homologue de la FDSEA, Pascal Denolly, qui entend introduire l’agriculture écologiquement intensive en terre iséroise, de préciser : « Cette démarche s’appuie sur un socle de pratiques qui ont une assise scientifique confirmée. » Mais elle n’aboutira que si l’on parvient à « convaincre les metteurs en marché de prendre le même chemin pour faire système » et si l’on « réoriente les formations dans les lycées pour changer le logiciel avec lequel les agriculteurs travaillent ».
Réduction des charges
Le message est intégré depuis longtemps dans le logiciel des « agriculteurs de demain ». Actant « une forte demande sociétale », Françoise Soullier, la présidente des Jeunes agriculteurs de l'Isère, souligne que « la prise en compte de l'environnement est une préoccupation quotidienne pour les exploitations situées en zones vulnérables », mais aussi pour tous les agriculteurs qui ont compris que « moins d'intrants, moins de passage et donc moins de gasoil, ce sont des coûts et des charges en moins » (150 à 200 euros économisés par hectare dans certaines exploitations). Philippe Veyrand, céréaliculteur à Saint-Jean-de-Bournay, en est convaincu. Venu à Beaucroissant « pour approfondir ses connaissances », il sait que « la diminution des coûts et des charges, c'est autant de gagner pour la marge. Si on peut travailler le sol avec des vers de terre plutôt qu'avec un tracteur, c'est plutôt motivant ».
Las : la motivation ne suffit pas. Les compétences agronomiques sont indispensables à toute démarche agroécologique. C'est ce dont témoigne Bruno Albert, éleveur laitier au Mottier, qui, depuis le début des années 90, s'est pris au jeu du changement de pratique : « Etant installés près d'un captage, nous avons commencé par mettre en valeur nos effluents d'élevage, puis nous nous sommes intéressés aux aspects phyto. Par le biais du GIE dont nous faisons partie, nous avons fait l'acquisition de différents matériels qui nous ont permis de réduire les intrants. Nous avons par exemple une désherbineuse, grâce à laquelle nous avons pu diviser par trois la quantité de produits phyto sur les maïs. C'est une technique pointue, moins facile que d'avoir le pulvé derrière le tracteur. Je suis loin encore de tout maîtriser, mais je n'imagine pas de revenir en arrière. »
Ne pas avoir peur du qu'en dira-t-on
L'ennui, dans ce type de démarche, c'est que les résultats ne sont pas visibles tout de suite. Au contraire des mauvaises herbes... Il faut donc une bonne dose de cran pour persévérer dans son projet, surtout quand les collègues alentour se rient de vos parcelles « qui ne sont pas jolies ». « Quand on se lance dans ce genre de pratiques, il faut imaginer les choses différemment, reconnaît Bruno Albert. Il faut accepter que ce ne soit pas toujours propre. » Mais pour un agriculteur lambda, la chose ne va pas de soi. Outre la question de l'appropriation des techniques et la peur de l'échec, le regard des autres constituent souvent un obstacle de taille. Tous ceux qui sont passés en non labour en témoignent. « C'est vrai qu'il ne faut pas avoir peur du qu'en-dira-t-on, confie Roland Badin, exploitant à Maubec, qui ne laboure plus ses terres depuis 2003 et pratique les intercultures pour garder un sol vivant. Chez moi, il reste des herbes : ce n'est pas un billard avant de semer. Aujourd'hui mes maïs sont à l'ombre sous l'herbe, mais qu'est-ce que je n'entends pas comme commentaires... »
Pour résister à ces pressions, mais surtout mutualiser les expériences, le mieux est de se regrouper. Au début de l'année, une vingtaine d'agriculteurs isérois (céréaliers, mixtes noix et céréales, ou en polyculture élevage comme Roland Badin) ont constitué un groupe baptisé « Isère sols vivants ». Accompagnés par la chambre d'agriculture, ces pionniers travaillent à remettre l'agronomie au cœur de leur système d'exploitation. Choix des rotations, implantation de couverts végétaux, semis directs, réduction, voire abandon du travail du sol, ils explorent de nombreuses pratiques contraires à la doxa. « Chacun fait des essais et partage les résultats avec les autres, explique Max Gros-Balthazard, éleveur laitier à Rives. On sent qu'il y a une dynamique. A terme, peut-être que nous seront moins montrés du doigt... »
Sortir du troupeau
« Ce n'est pas facile de sortir du troupeau, confirme Philippe Desnos, délégué régional Ouest du réseau Trame. Mais les collectifs professionnels sont un bon moyen pour y parvenir. Un collectif, c'est un laboratoire de recherche, ce sont des agriculteurs qui travaillent ensemble pour trouver des solutions alternatives. C'est aussi un lieu où l'on échange sur les réussites, mais surtout sur les échecs qui sont une mine de production de connaissances nouvelles. » Reste à « démystifier » le concept même d'agro-écologie pour le faire accepter par le plus grand nombre. C'est ce à quoi s'est attachée Françoise Soullier : « Si on décompose le terme « agro-éologique », il s'agit simplement d'utiliser les logiques agronomiques pour améliorer les performances économiques, environnementales et sociales de nos exploitations. Autrement dit de réinventer un mode de production optimisé, de diffuser des pratiques et de mutualiser des expériences dans le but de créer une plus-value économique, en réalisant des économies d'intrants, de temps, de passage, et en valorisant au mieux nos produits. Mais la société est-elle prête à payer ce service ? » La question mérite d'être posée.