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Festival Barbara

Barbara : « Saint-Marcellin ! Celui que je connais ? »

Bien que disparue depuis près de vingt ans, Barbara continue de faire vibrer les amoureux de la chanson française. C'est dans cet esprit que Saint-Marcellin, par son festival, rend hommage à la chanteuse qui trouva refuge dans la petite ville iséroise durant les heures les plus sombres de l'Occupation.
Barbara : « Saint-Marcellin ! Celui que je connais ? »

« J'ai eu tort, je suis revenue, Dans cette ville au loin perdue, Où j'avais passé mon enfance... » Un dimanche de 1968, au hasard d'une tournée, Barbara traverse une petite ville iséroise, sur la route de Grenoble. « Saint-Marcellin ! Celui que je connais ? » La chanteuse fait arrêter la voiture, descend, arpente l'artère centrale quand, soudain, son passé ressurgit avec une bouleversante intensité. Là, sous les platanes du boulevard Gambetta, elle retrouve le petit restaurant Savoyet-Serve où elle prenait ses repas avec ses parents, puis la Grande-Rue, l'avenue du Collège, la place d'Armes, le kiosque à musique... L'instant d'après, Peter, son chauffeur, la conduit devant la maison de la rue Mollard où, adolescente, elle avait trouvé refuge avec sa famille. C'était en juillet 1943. Elle avait 13 ans.

Une enfance au parfum d'errance

A cette époque, Barbara s'appelait encore Monique Serf. Depuis le début de la guerre, ses parents, de confession juive, trimbalaient leurs quatre enfants de ville en ville, au gré des aléas. Poitiers, Blois, Châteauroux, Tarbes... Une enfance au parfum d'errance. « A l'été 43, nous débarquons à Saint-Marcellin, à proximité du Vercors, haut lieu de la Résistance », évoque sobrement Barbara dans ses Mémoires interrompus (1). La famille passe les premiers mois à déménager de chambres en hôtel. Le père, Jacques, trouve un emploi à l'imprimerie Cluze que dirige André Ballouhey. « Les Serf sont arrivés ici comme des vagabonds, des réfugiés, sans un sou, raconte Bruno Ballouhey, ancien propriétaire de l'imprimerie aujourd'hui à la retraite. Ils ont d'abord été accueillis par ma grand-mère, puis papa a embauché Jacques Serf comme commercial pour qu'il touche quelques subsides. » L'imprimeur, homme austère doté d'un cœur en or, prend le risque d'établir de faux papiers d'identité pour son employé et sa famille. On ne sait jamais...

Bulletin de paye de Jacques serf, père de Barbara, délivré par l'imprimerie Cluze (aujourd'hui Ballouhey).
Crédit : Ballouhey imprimeurs
Dans la petite ville, en dépit de leur souci de discrétion, les Serf ne passent pas inaperçus. Madame est « une petite femme très jolie, très brune, très simple, mais très élégante. On sentait que ce n'était pas une Saint-Marcellinoise... », rapporte Claudine Brun, l'épouse de l'ancien maire. Quant à Monique, elle laisse à l'un de ses anciens camarades de collège, le souvenir d'une fille « un peu plus jolie que les autres, peut-être, plus froide aussi, une sorte de quant à soi, une réserve... qu'aujourd'hui je peux comprendre » (2). La jeune fille et son frère aîné, Jean, vont au collège, sur la place du marché. « Le collège m'ennuie, les études m'ennuient », soupire Barbara dans ses mémoires. Elle préfère flâner sur « cette longue grande rue, lieu de rassemblement et de déambulation de toute la jeunesse, une longue artère montée et descendue avant et après les heures de cours ». Car ce dont elle rêve - déjà - c'est de devenir « pianiste chantante ».

Clavier imaginaire

Monique s'est inventé ce destin depuis sa plus tendre enfance. « Je tambourinais sur une table des musiques que je scandais ou miaulais infatigablement, écrit-elle. Mes mains se posaient, s'agitaient au-dessus d'un clavier imaginaire et, durant de longues heures, j'étais la plus grande pianiste du monde ! » Mais durant la guerre, l'heure n'est pas à la bagatelle. Un jour, pourtant, Monique entend le son d'un piano. Cela vient de chez madame Bossan, dans la Grande-Rue. Une grâce ou deux, et le tour est joué : l'adolescente obtient de venir s'exercer au chant et au piano. Peu après, elle se produit devant son premier public. Sa plus belle histoire d'amour commence sans doute là...

Rue Mollard, la maison où Barbara et sa famille ont vécu deux ans est toujours blottie derrière une généreuse glycine.
Crédit photo : I. Bertrand/Ville de Saint-Marcellin
Ces petits concerts privés donnent aux Serf l'occasion de rencontrer un brave homme, Adrien Cattot, qui leur loue une petite maison chemin du Mollard, à l'écart du centre-ville. Le premier jardin de Barbara, peuplé de « dahlias géants, fauves ». En face, de l'autre côté du chemin, se dresse un coteau et « un immense noyer, puis, plus haut sur la gauche, des sarments de vigne ». Dans Mon enfance, la chanson qu'elle écrira à la suite de sa traversée furtive de Saint-Marcellin, la chanteuse évoquera avec émotion cette « maison fleurie sous les roses », « le parfum lourd des sauges rouges », « les noix fraîches de septembre Et l'odeur des mûres écrasées », le puits dans le jardin, le coteau, l'arbre. « C'est fou », chante-t-elle de sa voix profonde, immortelle, « tout, j'ai tout retrouvé, La guerre nous avait jeté là, D'autres furent moins heureux je crois, Au temps joli de leur enfance... » Conscience aiguë d'une chance inouïe, offerte par la population simple et solidaire d'une petite ville d'Isère. Dans sa chanson, Barbara tait le nom de la ville. Mais celle-ci s'est reconnue et, en retour, célèbre la chanteuse chaque année de la plus belle façon : en chansons.

Marianne Boilève

(1) « Il était un piano noir... mémoires interrompus », Barbara, Fayard, 1998.
(2) Témoignage recueilli en 2007 auprès d'Henri Inard, décédé l'an dernier, qui a fait son année de cinquième en 1943 aux côtés de celle qui deviendra Barbara (source : De Monique Serf à Barbara, un film de Pierre Kukawka, La Mémoire des Alpes, 2007)

 

Le programme du festival

Chaque année, le festival Barbara invite des artistes confirmés ou émergents à « partager leur texte et l'héritage de la grande dame en noir ». Pour cette 17e édition, les élèves et les bibliothécaires de Saint-Marcellin serviront une mise en bouche de contes musicaux ( le 24 mai, à 18h à la médiathèque). Deux jours plus tard, la Grande Sophie, lumineuse et inspirée, ouvrira le bal du festival avec ses mélodies romanesques à l'esprit rock (20h au Diapason). En première partie de son concert, Bastien Mots paumés et Erwan Flageul feront vibrer les mots le temps de l'« Age de vers ». Le 27 mai, Chtriky invite parents et enfants à un « tour de musique drôle, direct et sans artifice » (18h30 au Diapason), concert suivi d'une prestation en plein air du Bix Orchestra (19h30 sur le parvis du Diapason). Le festival s'achèvera le 28 mai avec trois jeunes talents de la région - Zim, Lucarne et Evelyne Zou, Chanteuse Pa-Parfaite - qui se produiront sur la scène du « Tremplin Coup de Pouce » à partir de 18h, juste avant le plateau découverte animé par Yelkouan (19h30 sur le parvis du Diapason). Enfin, il est prévu que les Ogres de Barback croquent à pleine dent le dernier concert... Mais, rassurez-vous : c'est complet depuis longtemps.

 

Expo photo
Barbara : Chanter de tout son corps
Crédit photo : Les amis de Barbara/Joseph Caprio Barbara, c’était une voix qui, sur scène, à ses débuts, se camouflait derrière son piano. Elle est peu à peu partie à la conquête de la scène, jouant de la lumière, de son profil d'oiseau, de ses mains fines, de son corps, tantôt cambré, tantôt couché sur le piano ou blotti dans son rocking-chair. L’association Les Amis de Barbara, partenaire du Festival, a réuni photos et dessins et présente une exposition sur ces instants saisis par le photographe Joseph Caprio lors de concerts donnés à Grenoble en 1978 et à Vienne en 1979, et par le dessinateur Guy Papin (reproductions tirées de son livre : Barbara, trait pour trait, paru en 2015 aux Éditions Joe).
Jusqu'au 28 mai à la galerie des Ursulines – Office de Tourisme du Pays de Saint- Marcellin.
Mardi, mercredi, vendredi : 9 h - 12 h 30 et 14 h - 17 h 30.
Jeudi et samedi : 9 h - 12 h 30 - Fermé dimanche et lundi.