Beaucroissant : le village en configuration foire

En quelques jours, la bourgade change radicalement d’aspect et cela fait 797 ans que ça dure. Question d’habitude et d’efficacité.
A J-8, les chapiteaux poussent comme des champignons, les prés sont fauchés pour se transformer en parkings, les écoliers font leur rentrée et monsieur le maire cherche des barrières. « Il manque toujours des barrières », se désole Georges Civet, maire de Beaucroissant.
La foire a été maintenue, qualifiée par la préfecture de l'Isère de manifestation prioritaire avec la Coupe Icare. Au prix d’un dispositif sécuritaire inédit. La course aux GBA ou glissière en béton armé.
« La commune en dispose de trois, pas de 28 », explique Nicolas Garet, conseiller municipal en charge de la sécurité. C’est comme ça qu’Area est devenue partenaire de Beaucroissant : fournisseur officiel de GBA.
Sécuriser les 15 kilomètres d’allées, les 1 300 exposants pour un événement qui peut accueillir plus de 50 000 personnes en même temps tient du challenge que la petite équipe municipale (35 personnes, services municipaux et élus confondus) a décidé de relever.
« Lundi, quand je suis arrivé au bureau de la foire, j’ai bien vu que c’était lancé », reprend l’adjoint qui depuis trois ans vit la foire de l’intérieur. « C’est un événement qui doit perdurer. On y retrouve tout, tout le monde, à tous les prix et par tous les temps. »
En configuration foire, l’école ferme pour se transformer en centre de secours, la gare rouvre, un distributeur automatique de billets temporaire fait une arrivée remarquée (si seulement il pouvait rester en permanence se désolent les manants) et plus de 500 haut-parleurs fleurissent sur le champ de foire, patiemment installés par Radio foire Beaucroissant. Messages de sécurité oblige entre deux pubs crac boum.
Ne pas dormir
Dans le périmètre de l’école et de la mairie, les commerçants de Beaucroissant se mettent aussi en ordre de marche.
Les nouveaux propriétaires de la boulangerie, Le Beau croissant, ont tout juste eu le temps de s’installer.
« Nous sommes mis directement dans le bain, lance Yoann Palomino, le nouveau boulanger. C’est notre première foire, ce sera sans doute la plus dure. »
Le jeune couple a prévu d’installer un stand de snacking à côté de la boulangerie.
Le commerce réalise un gros chiffre d’affaires les mois de foire. Avec sa situation non concurrentielle, l’affaire à reprendre ne manquait pas d’atouts.
« Nous préparons en quantité, mais nous n’avons que les repères de l’an dernier », reprend Aurélie Teixeira qui est pâtissière.
Le précédent boulanger ne dormait que deux heures durant les jours de foire. « Comme nous voulons faire plus, je m’attends à ne pas me coucher », prévoit Yoann Palomino.
Coup de stress
De l’autre côté de la rue, c’est la veillée d’arme dans la petite épicerie tenue par Frédéric Guillot.
« La Beaucroissant, c’est un bazar monstrueux ! s’exclame-t-il. 90% de nos ventes concernent le tabac. Nous devons passer nos commandes un mois à l’avance. Nous dépassons nos cautionnements et nous avons des problèmes de livraison. »
La boutique de 60m2 essaie de proposer le maximum de services à sa clientèle. Epicerie, tabac, presse, loto, dépôt de colis : il ne manque plus que le bar et le PMU. Mais pas assez de place. C’est pourtant, avec la sortie de l’école, un des principaux lieux de rencontre du village.
Cependant, à l’heure de la foire, l’épicerie se transforme en bunker.
Trois braquages depuis 2009 ont convaincu les gérants d’investir lourdement dans la sécurité. L’établissement est placé sous vidéo surveillance et les entrées sont filtrées à l’aide d’une ouverture électrique de la porte lorsque vient le temps de la foire.
« J’aborde la période avec une grande appréhension », reconnaît le gérant pour qui la foire c’est « un plus, mais beaucoup de stress. »
Avec les forains et les exposants
L’ambiance est beaucoup plus sereine du côté de la boucherie, un peu plus excentrée des autres commerces.
« Les jours de foire, nous travaillons avec les forains et les exposants, mais ce n’est plus la grosse bousculade comme avant », raconte Gilles de Belleval, boucher depuis 36 ans.
L’établissement jouit d’une certaine réputation et attire une clientèle qui n’hésite pas à faire le détour pour s’approvisionner en produits carnés.
Car Gilles de Belleval est un des rares bouchers abatteurs de l’Isère. Il achète ses bêtes sur pied chez des éleveurs alentour et les amène à l’abattoir du Fontanil.
Pour obtenir une viande de qualité, « c’est la l’alimentation qui compte et que la bête soit élevée dans de bonnes conditions », explique-t-il.
Alors s’il y a 20 ans, le mois de septembre était l’un des plus importants de l’année en termes de chiffre d’affaires, aujourd’hui, l’activité demeure constante.
« Durant la Beaucroissant, nous changeons notre organisation du travail, explique le boucher. Cela reste une bonne semaine, mais l’accès au commerce devient difficile. »
Isabelle Doucet
L’école du voyage
Une classe exceptionnelle
« C’est un dispositif exceptionnel qui permet d’avoir un maître en plus dans l’équipe pédagogique », explique Liliane Brault, la directrice de l’école élémentaire de Beaucroissant.Tous les ans, à la rentrée, l’école ouvre une classe temporaire pour les enfants des marchands forains qui viennent pour la foire de septembre. Cinq, dix, quinze enfants, l’effectif varie tous les jours pendant dix jours.
Depuis deux ans, c’est Julien Colin, professeur des écoles, qui enseigne dans cette classe pas comme les autres.
« Nous essayons de demander le maintien du même enseignant d’une année sur l’autre, reprend la directrice. Cela sécurise les enfants. »
En maternelle, les plus petits sont intégrés dans les classes existantes.
La classe supplémentaire de primaire permet un travail personnalisé avec ces enfants qui vont d’une école à l’autre. « Certains parents peuvent nous reprocher de mettre les enfants à part dans cette classe. Or ils ne sont pas parqués, nous les accueillons dans les meilleures conditions », insiste le maître.
Il essaie de regrouper les enfants par cycle et de leur donner des outils qu’ils pourront utiliser toute l’année. Car comme les autres écoliers du village, c’est à Beaucroissant qu’ils font leur rentrée scolaire avant de repartir sur les routes.

« Ce sont des enfants vivants, qui ont envie d’apprendre. Il faut être au plus près de leur demande », note l’enseignant.
Dans cette classe sans cesse en mouvement, l’enseignant a toujours quelques fiches de secours. D’autant que les enfants n’ont pas tous le niveau de leur tranche d’âge.
« Ces enfants ont un rapport au temps et à l’espace différent. Ils vivent avec le cycle des foires et des saisons, ce qui représente une vraie différence dans leur approche du quotidien », décrit Julien Colin.
L’école de Beaucroissant représente un point fixe pour ces écoliers de la route, qui retrouvent leurs camarades d’une année sur l’autre.
Mais il peut persister une appréhension, une tendance à rester entre eux. Alors cette fois, l’enseignant a invité les enfants à se présenter aux autres et surtout à parler de leurs manèges ou de leurs stands. Une façon de changer significativement le regard de chacun.ID
Plus d'informations sur le site de la foire de Beaucroissant