Berlioz en campagne napoléonienne

Ils ne se sont jamais rencontrés, mais ancrent une part de leur destin dans une même année fondatrice : 1815. C'est en effet au printemps 1815 que Bonaparte entreprend son ultime épopée et franchit, début mars, les portes du Dauphiné. C'est également cette année-là que Berlioz, âgé de 12 ans, découvre la musique et l'amour dans sa ville natale de La Côte-Saint-André. L'occasion était trop belle pour que le festival Berlioz n'inscrive sa programmation et ses étapes musicales dans un imaginaire et une géographie dauphino-napoléonienne. Une géographie goûtée par Berlioz lui-même, grand arpenteur des terres dauphinoises et des routes européennes, qui l'ont conduit, comme l'empereur cher à son cœur, de la vallée de l'Isère à Paris, avant de partir à la conquête des capitales européennes.
Construite comme un voyage, la programmation du festival se fait l'écho de ces pérégrinations, croisant sites historiques, trésors patrimoniaux et trajectoires de deux figures visionnaires – l'empereur et le musicien – qui ont, chacun à leur manière, révolutionné leur art. Si la démarche n'a rien d'exceptionnel puisque le festival, fortement soutenu par le Département, a coutume de se déplacer hors les murs, certaines communes ont été très agréablement surprises de se voir proposer d'accueillir des concerts. « Nous ne nous y attendions pas », reconnaît Fabien Mulyk. Tout à sa joie de faire l'ouverture du festival en organisant un « petit déjeuner du grognard » au son des cors des Alpes, le maire de Corps raconte que Bruno Messina, le directeur du festival Berlioz, est tombé sous le charme du petit village où Napoléon passa la nuit avant de descendre sur Grenoble, le 7 mars 1815. « Ce qui est important pour nous, c'est de profiter de la renommée internationale du festival pour faire venir les gens à Corps, s'enthousiasme l'élu. Toutes les occasions sont bonnes, car le site, en dehors de l'hôtel de la Poste et du sanctuaire de La Salette, reste un peu confidentiel. »
Berceau originel
De son côté, Bruno Messina, par ailleurs fin connaisseur du territoire de par sa caquette de directeur d'Aida (Agence iséroise de diffusion artistique), tient à faire rayonner le festival au-delà de La Côte-Saint-André. « Cette année, nous partons de Corps pour aller jusqu'au théâtre antique de Vienne. C'est une manière de réinscrire la musique de Berlioz dans son berceau originel. » Un berceau au centre duquel La Côte-Saint-André, « très petite ville de France » à l'époque de Berlioz, « domine une assez vaste plaine, riche, dorée, verdoyante, dont le silence a je ne sais quelle majesté rêveuse, encore augmentée par la ceinture de montagnes qui la borne au sud et à l'est et derrière laquelle se dressent au loin, chargés de glaciers, les pics gigantesques des Alpes » (1). C'est là, dans ce silence inspirant, que Berlioz connut ses premiers émois musicaux. Bruno Messina espère offrir à son public de semblables émotions en lui proposant « des expériences sensorielles fortes » dans des lieux magiques, comme la petite église romane de Marnans « qui sonne tellement bien », l'église paroissiale de La Côte-Saint-André, le « vaisseau extraordinaire de Saint-Antoine-l'Abbaye » ou encore, plus contemporaine, l'église Saint-Hugues-de-Chartreuse, entièrement décorée par le peintre Arcabas. Car le festival Berlioz, c'est aussi ça : une découverte musicale et patrimoniale à destination de tous les publics. « Nous avons toujours le souci de rendre le festival le plus populaire possible, affirme son directeur. On peut y entendre ce qu'on peut entendre à l'opéra de Paris ou au Metropolitan opera de New-York. Musicalement, c'est de ce niveau-là. Mais il faut aussi que ce soit une fête de village où puissent se rencontrer spécialistes ou amateurs. »
Pari fou
D'où cette programmation voyageuse, construite au fil des rencontres et des propositions. Certains lieux s'imposent comme une évidence, notamment l'église de Voiron qui abrite « l'un des plus belles orgues de la région Rhône-Alpes », les musées ou les médiathèques de La Côte-Saint-André et de Saint-Siméon-de-Bressieux qui vont accueillir conférences et expositions thématiques entre deux apéro-concerts. Mais d'autres sont plus surprenants. A commencer par ce pari fou, ce concert itinérant d'ouverture qui, de Corps à La Côte-Saint-André, livrera le 20 août sa propre interprétation de la route Napoléon. Et si les terrasses du musée Dauphinois, à Grenoble, sont habituées à recevoir des manifestations aussi décalées que l'étape musicale baptisée « halte ravitaillement et sieste musicale alpine », la prairie de la Rencontre, à Laffrey, est moins coutumière du fait. Elle qui n'avait plus guère connu de bivouac depuis que les troupes de l'Empereur ont rencontré celles de Louis XVIII il y a tout juste 200 ans, va ce jeudi-là héberger un bivouac en musique face au lac... « Pour nous, cette halte apporte une connaissance et une reconnaissance de notre territoire, se félicite Patrick Reynier-Poète, maire de Saint-Jean-de-Vaux et membre de la communauté de communes de la Matheysine, du Pays de Corps et des Vallées du Valbonnais. Ça contribue à modifier l'image de marque de la Matheysine qui n'est plus seulement le pays de la mine, noir et froid. C'est aussi une terre d'accueil, capable de recevoir Napoléon en 1815 ou Olivier Messiaen au siècle dernier. » Et le festival Berlioz en ce mois d'août.
Marianne Boilève
(1) Mémoires de Hector Berlioz, volume I, chapitre 1. Disponible sur la bibliothèque numérique Gallica.
Révolutionnaires et romantiques
Berlioz et Napoléon ont en partage des destins qualifiés d'« extraordinaires » par Bruno Messina, directeur du festival Berlioz. En dépit de leur origine provinciale et de leur fort accent, tous deux ont su conquérir Paris et l'Europe grâce à leur « génie hors du commun ». L'un en révolutionnant l'art de la guerre, l'autre les règles de la symphonie et de l'orchestre. D'où cet hommage musical rendu le 23 août par l'Ochestre révolutionnaire et romantique et le National Youth of Scotland (direction Sir John Eliot Gardiner s'il vous plaît…), sur un programme Berlioz, proposant l'incontournable Symphonie fantastique et sa suite, Lélio ou le rerour à la vie. Denis Podalydès prêtera sa voix aux monologues tragiques de cette œuvre qui, selon les indications de Berlioz, « doit être entendue immédiatement après la Symphonie fantastique, dont elle est la fin et le complément ».Château Louis XI, dimanche 23 août, 21 h.
Un voyage au long cours sur les traces de Napoléon
En dehors des étapes musicales prévues pour l'ouverture du festival le 20 août, la programmation a un parfum de voyage. Des salons de musique de Paris (concert à Saint-Hugues-de-Chartreuse le 23 août) aux chemins de l'Allemagne romantique en passant par les routes de la Pologne, de l'Orient et de l'Italie (église de La Côte-Saint-André les 22, 23, 26 et 27 août), les concerts retracent à leur manière l'épopée napoléonienne. Les amateurs pourront également vibrer aux accents d'un programme « Guerre et paix » le 25 août (l'Orchestre national de Lyon joue des œuvres de Kodaly, Rode, Tchaïkovski et Prokoviev...) ou se laisser surprendre deux jours plus tard par un oratorio composé à partir de textes écrits par Napoléon lui-même (château Louis XI de La Côte-Saint-André). Pour finir, petit détour par Saint-Pétersbourg (œuvres de Berlioz et Tishchenko le 29 août dans l'église de Marnans), avant de laisser le château Louis XI résonner aux accents d'un Hymne à la joie (programme Berlioz et Beethoven joué par l'orchestre national de Lyon) le 29 août. Le festival rendra les armes le 30 août avec une « Fête musicale funèbre et triomphale », hommage ultime à Bizet, Chabrier, Saint-Saëns, Fauré et, bien sûr, Hector Berlioz...MB