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Stratégie

Bientôt rémunérés pour stocker du carbone?

L'initiative « 4 pour 1 000 » portée par la France replace au cœur de l'actualité la question de la rémunération des agriculteurs pour le stockage du carbone dans les sols.
Bientôt rémunérés pour stocker du carbone?

« Jusqu'à présent, on valorisait les déchets organiques. Bientôt, vous allez voir qu'on va vous payer pour stocker du carbone dans vos sols ! Vous avez entendu parlé du 4 pour 1 000 ? » En attaquant ainsi son exposé sur la matière organique, Xavier Salducci, agronome et directeur de Celesta-lab (1), savait que son auditoire allait réagir. Ça n'a pas manqué. Devant la mine perplexe des agriculteurs du réseau Base réunis pour une journée de formation à Saint-Geoire-en-Valdaine (2), l'expert explique : « Vous faites partie du cycle du carbone. Pourquoi ? Parce que vos sols contiennent de la matière organique, qui elle-même est riche en carbone (plus ou moins 50%). Le cycle de la matière organique fait partie du cycle du carbone, mais à l'échelle microscopique. » Et l'agronome d'en profiter pour évoquer succinctement l'initiative « 4 pour 1 000 » avant d'entamer son exposé sur les matières organiques.

Puits de carbone naturels

« On a longtemps résumé la matière organique au compost et à l'humus. Mais c'est bien plus que ça », poursuit Xavier Salducci. C'est d'ailleurs ce qui a conduit la France, soutenue par la communauté internationale, à lancer la fameuse initiative « 4 pour 1 000 » le 1er décembre dernier dans le cadre de la COP21. Selon les chercheurs, une augmentation de l'ordre de 4 pour 1 000 de la séquestration du carbone dans les sols agricoles et forestiers, y compris les prairies et les pâtures, suffirait à compenser l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre de la planète. Mais pour augmenter les capacités de ces « puits de carbone » naturels, il faut convaincre les agriculteurs de l'intérêt de se réapproprier certains principes agronomiques. C'est ce que font depuis longtemps les membres du réseau Base et les agriculteurs engagés dans des démarches agro-écologiques, mais ça ne suffit pas. Pour atteindre le fameux objectif des « 4 pour 1 000 », il faut sensibiliser l'ensemble des agriculteurs et des forestiers, et les encourager à mettre en œuvre des pratiques « adaptées aux conditions locales tant environnementales, sociales qu'économiques, comme le proposent notamment l'agro-écologie, l'agroforesterie, l'agriculture de conservation et la gestion des paysages ».

Services écosystémiques

Petit rappel : le carbone absorbé par les végétaux est stocké dans les sols sous forme de composés organiques par les racines des plantes ou la décomposition de la matière organique. Pour augmenter la teneur en carbone des sols (et augmenter ainsi leur fertilité), il est nécessaire de développer certaines pratiques, comme la couverture des sols, les techniques sans labour ou l'agroforesterie, d'introduire davantage de cultures intermédiaires, de privilégier la fertilisation organique plutôt que la fertilisation minérale ou d'optimiser la gestion des pâtures et des prairies. Autant de pratiques agro-écologiques qui pourraient, dans le cadre de l'initiative « 4 pour 1 000 », correspondre à des rémunérations pour « services écosystémiques » rendus. On en parle depuis longtemps. En 2009, le centre d'analyse stratégique avait même évalué la valeur du stockage du carbone par les prairies permanentes françaises à 320 euros par hectare et par an. Mais depuis... rien. « Nous financer pour faire ce que nous faisons depuis des années, ce n'était encore jamais arrivé ! », lance, sceptique, Denis Robert, producteur de céréales à Torchefelon. Le 4 pour 1 000 devrait faire bouger les lignes.

Marianne Boilève

(1) Laboratoire d'analyse, de conseil en biologie des sols et valorisation des produits organiques situé dans l'Hérault.
(2) Réseau d'échange d'agriculteurs et de techniciens mettant en œuvre l'agriculture de conservation et cherchant à comprendre le fonctionnement de l'écosystème du sol agricole.

Chiffres clés

24% des sols mondiaux sont dégradés à des degrés divers, dont près de la moitié des sols agricoles (source: Bai et al., 2013)
1 500 milliards de tonnes de carbone dans la matière organique des sols mondiaux, plus de deux fois le carbone du CO2 atmosphérique (source : GIEC, 2013)
1,2 milliard de tonnes de carbone par an pourraient être stockées dans les sols agricoles (cultures et prairies), soit un taux annuel de stockage d'environ 4 pour 1 000 par rapport à l'horizon de surface du sol (source : GIEC, 2014).