" Bienvenue les vers de terre " au cinéma de Villefontaine en Isère

20h30, le 30 janvier, au cinéma « Le Fellini », de Villefontaine, dans le Nord-Isère. Une vingtaine de personnes attend patiemment au guichet.
« Vous ne venez quand même pas tous pour les vers de terre ? », demande, incrédule, le guichetier du cinéma.
Réponse affirmative des futurs spectateurs venus des environs de Villefontaine, mais aussi des quatre coins du département.
Le jeune homme n'en revient pas. Il faut dire que la salle dédiée à la projection du film réalisé par François Stuck, « Bienvenue les vers de terre », est déjà pleine.
Une vraie surprise pour les organisateurs et la direction du cinéma qui imaginaient une projection plus... confidentielle.
Qu'à cela ne tienne. Jouant le jeu, le cinéma organise une deuxième retransmission en simultanée pour que personne ne reparte déçu.
Au total, 225 personnes sont venues assister à ce film et participer au débat qui s'en suivait.
Preuve, s'il en fallait, que l'agriculture intéresse aujourd'hui bien au-delà du seul monde agricole et que le besoin de communication et d'échange entre la profession et la population est partagé.
« Fiers de leurs pratiques »
En un peu plus d'une heure, le documentaire « Bienvenue les vers de terre » présente l'agriculture de conservation, ses enjeux, son approche et ses objectifs.
Il donne la parole à un groupe d'agriculteurs du Lot entrés dans ce système, et à différents scientifiques qui travaillent à son développement.
Convaincu que « l'agriculture de conservation est certainement une réponse majeure à la préservation des sols et des éco-systèmes fortement impactés par l'activité humaine », François Stuck, met en image l'idée que « le sol n'est plus considéré comme un support inerte qu'il faut, sans relâche, travailler et amender artificiellement, mais comme un monde vivant devenu l'allié de l'agriculteur ».
Le film met en avant l'ensemble du travail accompli au quotidien par ces agriculteurs pour faire évoluer leurs pratiques, l'ouverture qu'ils mettent en œuvre pour qu'elles répondent le plus possible aux attentes de la population.
Il montre des professionnels qui sont « bien dans leurs bottes », « fiers de leurs pratiques », qui « peuvent discuter avec leurs voisins, sans avoir peur d'être attaqués ».
Il explique comment les agriculteurs s'y prennent pour avoir des parcelles productives en utilisant moins d'engrais, en travaillant moins le sol, en les couvrant de plantes pour les protéger de la chaleur et des intempéries, en réalisant des rotations culturales avec des mélanges de vesces, sorgho fourrager, radis, moutarde, en faisant des semis-direct.
Il indique comment des graines qui sont bien implantées permettent à l'eau de s'infiltrer, sans ruisseler, ce qui évite l'érosion des sols.
Dans la salle de Villefontaine, le public, studieux, revêt de multiples visages.
« Nous avons accueilli des habitants, des médecins, des membres d'associations plutôt environnementales, des apiculteurs, des scientifiques, des élus communaux, des agriculteurs, des étudiants en agriculture », détaille Laetitia Masson, de la chambre d'agriculture de l'Isère, en charge de l'animation du groupe « Isère sols vivants », à l'origine de la soirée.
Des personnes en quête de savoir et des initiés qui ont saisi le prétexte de la projection de ce film pour se retrouver et échanger.
Solutions alternatives
Au cœur du débat, il y avait des spectateurs néophytes venus pour s'informer. Comme ces citoyens qui ont montré leur intérêt pour cette agriculture et fait part de leur « agréable surprise de découvrir tous ces agriculteurs qui se posent ces questions et évoluent dans leurs pratiques ».
Il y avait aussi un public averti. Comme cet agriculteur de 83 ans qui a exercé toute sa vie en conventionnel mais qui a vu son gendre transformer son exploitation vers ce modèle d'agriculture et qui l'en félicite : « Je suis fier de lui. Il était bien temps de ne pas continuer ce que je faisais ! »
Il y avait également des profils scientifiques, comme cette chercheuse CNRS à la retraite, qui a félicité les différents témoins de faire prendre conscience au plus grand nombre que « le sol est une composante de l'environnement, aussi importante que l'eau et l'air ».
Et il y avait des intéressés qui avaient des questions précises, techniques, sur l'agriculture de conservation, l'agriculture biologique et l'utilisation du glyphosate, qui pour l'heure, ne peut être totalement banni de l'agriculture de conservation.
Hervé Chambe, agriculteur en Savoie, l'assure : « Cette agriculture nous permet de diminuer de 100 % l'utilisation des insecticides et de 50 % celle des pesticides. Nous sommes les premiers à vouloir finir en bio, mais pour l'instant, nous ne savons pas faire. Nous continuons cependant de chercher des solutions alternatives, comme l'homéopathie en système végétal... ».
Une image plus positive
Dans la salle, nombreux sont ceux qui comprennent les explications.
Mais ils sont quelques-uns à rester camper sur leurs positions, à considérer que « l'agriculture biologique est la seule à pouvoir être qualifiée de durable ».
Le public est agacé. La soirée n'avait pas vocation à opposer les systèmes, ni à mettre en avant une pratique parfaite. L'agriculture de conservation ne prétend pas l'être.
Ce moment avait pour but de montrer que « les agriculteurs d'aujourd'hui sont dans l'action, ouvrent des portes en découvrant des techniques pour favoriser la biodiversité dans le sol qu'ils ne connaissaient pas avant et qui fonctionnent ».
A une question relative au rendement des cultures, Roland Badin, agriculteur à Maubec, qui pratique l'agriculture de conservation depuis de longes années, répond qu'« au début, ils étaient plus faibles. Mais parce que nous étions mal informés. Aujourd'hui, nos cultures sont dans les moyennes et nous avons des taux de protéines sur le blé assez élevé ».
Les échanges qui se sont prolongés tard dans la soirée ont montré que les agriculteurs sont attendus. Et qu'ils peuvent être entendus.
Un peu partout dans le département, les initiatives favorisant les liens entre l'agriculture et la population se multiplient.
Des participations de paysans aux réunions d'associations environnementales, à l'organisation d'évènements comme la Fête des voisins de parcelles à Saint-Sauveur, la rando agro-écologique des fermes dans les Vals du Dauphiné, la montagne en partage en Matheysine, des portes-ouvertes dans les exploitations aux conférences-débats, tous ces évènements concourent à ce que l'agriculture bénéficie d'une image positive renforcée. Une attente forte des agriculteurs envers leurs concitoyens.
Isabelle Brenguier
Témoignage /Pour faire connaître l'agriculture de conservation et susciter le débat autour des pratiques, François Stuck a organisé de nombreuses projections de son film dans l'hexagone.Le tour de France des vers de terre

Un label pour l'agriculture de conservation
Depuis une trentaine d’années que de nouvelles pratiques émergent en matière de non labour et de semis-direct, l’agriculture de conservation poursuit son chemin. L’Association pour la promotion de l’agriculture durable (l’Apad) a lancé le 30 janvier son label « Au cœur des sols », permettant de valoriser les fermes pratiquant l’agriculture de conservation. « Les agriculteurs ne veulent plus de cahier des charges. Le principe de ce label, c’est de mettre sur la table ce qu’on fait de manière transparente», explique François Mandin, président de l’Apad. Le label sera attribué aux exploitations pour cinq ans, sur la base d’une grille à points évaluant la diversité des cultures, la durée de couverture végétale, le non-travail des sols, ainsi que les actions en faveur de la biodiversité.
Source : Agra
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