Biol, une terre d'élevage en partage

Par temps de canicule et de sécheresse, ces terres n'ont de froides que le nom. Mais sans doute parce qu'elles sont plus fraîches que d'autres, on y devine une douceur de vivre, propice au séjour des hôtes les plus inattendus. Comme ces cigognes installées depuis plus de 15 ans dans le calme des marais de Blassin, loin du brouhaha de l'autoroute qui cisaille le pays en deux. De part et d'autre de la balafre qui permet de rejoindre Lyon ou Grenoble en un rien de temps, des villages paisibles, où « il fait bon vivre », aux dires des habitants. Belmont, Biol, Torchefelon, Montrevel, Doissin... Les noms s'égrainent le long d'un ruisseau, l'Hien, qui joue les traits d'union entre les huit villages de la communauté de communes. C'est dans ce paysage vallonné, parcouru de collines boisées, de pâtures, de coteaux couverts de cultures – ici une pastille de maïs, là du triticale, ailleurs un champ de tournesol – que se déroulera le Concours départemental d'élevage les 22 et 23 août prochains.
Pas de doute : on est dans un pays à vaches. Dans les prés, ça broute, ça rumine. On croise quelques « rouges », des montbéliardes, beaucoup de « noires », des holstein. Toutes ces dames produisent du lait en abondance – deux millions de litres pour la seule commune de Biol –, et de la viande. Les céréales que l'on voit alentour sont essentiellement destinées à leur alimentation. A part un peu de maraîchage et quelques hectares de noyers, l'agriculture est toute entière orientée polyculture-élevage. « Mais il y a de la place pour tout le monde », assure Eric Chavrot, éleveur à Belmont et habitant de Biol.
«Le morcellement complique le métier»
Enfin presque... Car l'espace, au fil des années, semble se rétrécir autour des exploitations. « Beaucoup de gens viennent s'installer dans le secteur, témoigne Charlène Goy, jeune maraîchère à Biol. Il y a de plus en plus de lotissements qui se construisent. Si ça continue comme ça, on va avoir de gros soucis. Mais les éleveurs sont plus embêtés que nous... » D'autant plus « embêtés » que le relief, accidenté, morcelé, n'est pas très facile à travailler. Un « handicap naturel » qui vaut aux agriculteurs de bénéficier de l'ICHN (1). De fait, quand un bouquet de « villas Mon Rêve » vient grignoter les quelques terres encore libres autour des fermes, les dents grincent un peu. « Le Scot (2) devrait freiner la multiplication des constructions, présume Eric Chavrot. Nous sommes un territoire rural, il faut préserver l'espace agricole, parce que le morcellement complique le métier. Mais il faut aussi respecter les autres pour être soi-même respecté. »
Un propos mesuré que l'on retrouve dans la bouche de nombreux agriculteurs conscients de ce qu'ils ne peuvent plus, à eux seuls, faire vivre tout un territoire. Déjà, bon nombre d'entre eux sont double-actifs. « Le métier d'agriculteur se perd », s'émeut Denis Boiton éleveur. Ce fils et petit-fils d'éleveur, par ailleurs président de Festi'Biol, le comité des fêtes local en charge de la partie festive du Concours d'élevage, ne veut pas voir son village « devenir une ville » : « On veut garder l'âme de la campagne, de l'entraide. » Pourtant, de nouveaux habitants, tout le monde reconnaît qu'il en faut. Pour voir de nouvelles têtes, se frotter à d'autres réalités que la sienne, mais aussi, et peut-être surtout, éviter que les villages ne se fassent dortoirs ou fantômes. C'est à eux et à leurs enfants que les « natifs » doivent le maintien des écoles et des services publics, la pérennité des commerces, l'opportunité d'un tout nouveau cabinet médical, le développement du tissu associatif. « C'est bien joli un village à 200 habitants, on peut se faire livrer par internet, mais ça ne suffit pas », juge Denis Boiton qui n'hésite pas à aller acheter sa ferraille ou ses bouts de tuyaux chez « madame Bourgeat », l'antique (94 ans) et merveilleuse quincaillère du village.
Comme partout, les « nouveaux » sont souvent des habitants lassés des villes – nouvelles parfois, comme L'Isle-d'Abeau – qui cherchent à « habiter dans une vraie campagne » tout en restant proches des pôles urbains. Certes, ils ne connaissent rien à l'agriculture, d'où des frictions parfois. Le chant du coq qui perturbe les grasses matinées ou le fumier que l'on épand dans les champs. « Les gens viennent à la campagne, mais ils n'en veulent pas les inconvénients », s'amuse Julien Paillet, un jeune entrepreneur de travaux agricoles qui arpente le territoire, que ce soit pour moissonner ou remplir les missions d'élagage que lui confient les communes. « Mais il suffit de faire un peu attention et de balayer les bouses sur la route pour que tout se passe bien », tempère Denis Botton, dont la ferme est cernée par les maisons neuves.
Proche des bassins d'emplois
Les « néos » ne sont cependant pas venus là par hasard. Tout en restant calme et très rurale, la vallée de l'Hien irrigue un territoire plein de ressources, émaillé de nombreuses entreprises artisanales et de jolies PME, comme Stone Industrie, à Doissin, « co-leader mondial dans la production de lignes d'embouteillage pour les vins et spiritueux », s'ennorgueillit Daniel Vitte, maire de Montrevel et président de la communauté de communes. Le territoire est lui-même situé sur un axe stratégique, entre deux métropoles, non loin d'importants bassins d'emplois (Bourgoin-Jallieu, L'Isle-d'Abeau, Saint-Quentin-Fallavier...). « Quand l'immobilier a explosé, Biol était encore abordable, se souvient Jacques Bauchet, ancien notaire et ancien maire de la commune. Beaucoup sont venus construire ici, parce que les terrains n'étaient pas trop chers et que le village offrait tous les services. Là-dessus, ici aussi les prix ont flambé. » Sans pour autant mettre un coup d'arrêt à la dynamique locale. Car, analyse Daniel Vitte, « il y a eu une prise de conscience. Pendant des années, nous avons gaspillé l'espace, notamment agricole. Nous essayons aujourd'hui de construire de manière plus rationnelle, sur des surfaces moins vastes ».
Une intégration paysagère qui ne connaît pas encore partout son exact pendant sociologique. Certes, l'organisation de repas de quartier ou de manifestations festives, comme la fête du boudin à Doissin ou la foire au navet de Flachères, permet de susciter le bénévolat, donc de créer du lien et de souder les habitants. Mais il y a encore pas mal de boulot pour mobiliser les troupes et apprendre à faire société entre « nouveaux » et « anciens ». C'est en tout cas l'un des bénéfices collatéraux attendus du Concours départemental d'élevage. « A organiser, c'est lourd, reconnaît Denis Boiton. Mais ça brasse et ça crée une émulation locale. Dans le village, nous avons 20 associations. Tout le monde met la main à la pâte. » Y compris le boulanger qui va écourter ses congés pour fournir le pain ce week-end-là.
Marianne Boilève
(1) Indemnité compensatoire de handicap naturel.
(2) Schéma de cohérence territoriale.