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Pain

Boulangerie artisanale : le pari du bon goût

Consommé par 98% des Français, le pain quotidien est une habitude nationale bien ancrée. Mais la demande évolue. Pour y répondre, et surtout résister à la concurrence des grandes surfaces et des boulangeries industrielles, les boulangers font évoluer leur offre et misent sur le local.
Boulangerie artisanale : le pari du bon goût

Fils d'un père visionnaire, Jean-François Jaume a beaucoup appris dans le cercle familial. Et pas seulement à mélanger les farines pour faire du bon pain. « Pour faire vivre un commerce, il y a deux choses primordiales : le passage et le parking », explique cet infatigable artisan qui a fait construire « sa » boulangerie à La Frette, au carrefour de la route Napoléon, en complément de la maison mère de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs. Et la qualité ? demande l'interlocuteur ingénu. « La qualité, c'est le minimum que l'on puisse donner, tranche Jean-François. On ne doit même pas en parler : ce doit être automatique. »

De l'imagination, de l'amour et du repos : tel est le secret du bon pain selon Jean-François Jaume, boulanger à La Frette (Isère).Pour Jean-François Jaume, boulanger à La Frette (Isère), « la qualité, c'est le minimum que l'on puisse donner ».

Il suffit de jeter un coup d'œil sur les claies et les présentoirs de son établissement pour se rendre compte que le propos n'a rien d'une galéjade. Chaque jour sortent de son fournil des dizaines de variétés de pains confectionnés avec les meilleures farines de la région, et autant de viennoiseries ou de pâtisseries pur beurre. « C'est de ma faute : je n'arrive pas à me canaliser. Je veux que ma clientèle goûte et qu'elle revienne parce que c'est bon. Le bouche-à-oreille, c'est mon meilleur outil de communication. »

Goûts tranchés

Jean-François Jaume a tout compris. A commencer par le rôle du pain dans le quotidien de ses concitoyens. Car s'il reste l'un des aliments préférés des Français, le pain n'occupe plus la place qu'il avait autrefois. On n'en mange plus pour se nourrir, mais pour se faire du bien ou par plaisir. Les besoins et les modes de vie ont changé. De fait, nous en consommons de moins grandes quantités que nos ancêtres (environ 130 g par jour et par personnes contre 900 g il y a un siècle...), mais nos goûts sont bien plus... tranchés. Pain spéciaux ou fantaisie, baguette 1900, Tradition ou Frettoise, pain du terroir ou pain d'ailleurs (bun, ciabatta, suédois, bagel, wrap...), avec ou sans croûte, pauvre en sel ou riche en oméga 3, tous les goûts sont désormais permis.

Les observateurs ne s'y sont pas trompés qui ont classé les mangeurs de pain en six « profils » correspondant peu ou prou à six segments de marché. Une aubaine pour les professionnels. Car ces « profils » sont autant de besoins à satisfaire et de pains nouveaux à inventer. Entre les « sélectifs », qui mangent peu de pain mais se montrent sourcilleux quant à ses impacts sur la santé, les « snackeurs » qui ont le pain pratique, les « blasés » qu'il faut reconquérir, les « nutritionnistes », les « gourmets gourmands » et les « conservateurs », ardents partisans de la baguette et du pain de campagne (1), l'artisan malin a un bel avenir devant lui.

Le pétrissage est un art : il faut travailler la pâte juste le temps nécessaire.Le façonnage est une étape importante de la fabrication du pain (crédit photo : maison Cholat).

Un avenir qui est d'ores et déjà lisible dans le paysage. Certes, dans les villages ou les quartiers, des boulangeries ferment définitivement à l'occasion d'un départ en retraite, faute de repreneur. Mais d'autres, plus modernes, ouvrent et se développent ailleurs. A côté des grandes surfaces, boulangeries industrielles et autres points chauds qui fournissent un pain bon marché mais souvent de piètre qualité, nombre d'artisans indépendants sont entrés en résistance. De Grenoble (maison Floran, La Talemelerie...) à Vienne en passant par Goncelin (La Framboisine), Nivolas-Vermelle (Chez Flo) ou Saint-Chef (Thierry Burette), une nouvelle génération de boulangers a pris le parti de se démarquer en produisant du beau, du bon, du sain, souvent du local, tout en soignant l'accueil, le look (chic ou rustique) et l'agencement de leur établissement (laboratoire ou four visible depuis la boutique).

Sans renoncer aux grands classiques (baguette, pain de campagne, pain aux céréales...), leur offre s'étoffe et se complexifie. Levain, graines et céréales anciennes font leur apparition sur les présentoirs. Bio ou non, pains gourmands, pains fourrés et autres baguettes enrichies en oméga 3 fleurissent dans les claies, à la grande satisfaction d'une partie de la clientèle qui apprécie cette « montée en gamme » et accepte de payer (un peu) plus cher un produit de qualité, typé, sourcé.

La clientèle apprécie la montée en gamme.Baguette dauphinoise ou entre-deux : la maison Jaume privilégie le local.

Pour relever le défi, les boulangers ont le choix entre deux stratégies : soit faire appel à des « mix » et des préparations personnalisées proposées par les meuniers, soit... n'en faire qu'à leur tête. C'est l'option choisie par Jean-François Jaume et nombre de ses collègues. « Moi, je préfère faire fonctionner mon cerveau et inventer de nouveaux pains à partir de mes propres mélanges que de travailler avec des recettes toutes prêtes, explique l'artisan de La Frette. Mais le soleil brille pour tout le monde. »

Marianne Boilève

(1) Profils révélés par une étude menée à l'automne dernier sur « Les Français et le pain », étude réalisée à la demande de la Fédération des entreprises de boulangerie (FEB), du Syndicat de la Panification croustillante et moelleuse, du Centre d'information sur les farines et le pain et de la Chambre syndicale de la levure (CSFL), du Syndicat national des fabricants de produits intermédiaires pour la boulangerie, la pâtisserie et la biscuiterie (SYFAB).

 

 

 

Innover pour résister

Finie la boulangerie traditionnelle : l'heure est la boutique multiservice. Pour répondre à la demande de clients de plus en plus exigeants et pressés, les boulangers adaptent leur offre et se lancent dans de nouvelles formes de commercialisation. Outre les pains « personnalisés » à grand renfort de « croustimix », levains et autres mélanges de graines, nombreux sont ceux qui intègrent de nouveaux services. La plupart offre désormais une prestation de traiteur ou de restauration rapide qui, en semaine, permet de compenser le manque à gagner lié à la désaffection des Français pour les pâtisseries (la tendance s'inverse le week-end). Encore faut-il s'organiser en conséquence, et parfois repenser l'espace de vente. Certains vont jusqu'à s'inspirer des l'esprit cafétérias, aménageant un coin snacking ou salon de thé, avec tables hautes ou basses, banquettes ou chaises de jardin selon l'option retenue.
Table de pique-nique et distripain devant chez Flo, l'une des deux boulangeries de Florian Tarillon, à Nivolas-Vermelle.
Si la commercialisation via internet avec retrait en magasin (web to store), le partenariat avec La Poste ou le portage à domicile ne sont pas encore très développés (en Isère tout au moins), les distributeurs automatiques de pain commencent à s'installer dans le paysage isérois. Implantés devant la boutique ou au cœur des villages - avec la bénédiction des élus - ces « distripains », parfois couplés avec d'autres distributeurs de produits frais (produits laitiers, charcuterie...), constituent une réelle avancée pour les habitants des communes rurales souvent privés de commerces de proximité. L'un des pionniers en la matière est Florian Tarillon (enseigne Chez Flo), un boulanger installé en 2011 à Rochetoirin, qui a équipé plusieurs communes du Nord Isère de distributeurs automatiques de pain frais, qu'il réapprovisionne régulièrement. De quoi tailler des croupières aux grandes surfaces qui ne sont pas encore ouvertes 24 heures sur 24...
MB