Cantines trois étoiles et locales en Isère

A lire les menus hebdomadaires, on se croirait plus à la table d'un bon petit restaurant de campagne qu'à la cantine d'un collège isérois. En entrée : fenouil au safran, endives locales aux noix, poireaux au bleu du Vercors... Suivi, au choix, d'une fricassée de poulet aux écrevisses ou d'une truite du Vercors à la grenobloise. Le tout 100 % bio et local. Un tour de force réalisé en janvier dernier par les cuisines mutualisées d'Echirolles et de Saint-Egrève.
Saucisses du plateau matheysin
Pour alléchant qu'il soit, ce menu n'est pas une exception en Isère. A La Tour-du-Pin, on sert des tacos de bœuf des Eleveurs de saveurs iséroises, des caillettes du Dauphiné et des yaourts de la ferme de la Cassole. A L'Isle-d'Abeau, saucisses et merguez proviennent du plateau matheysin (Motte Viande), les laitages du Gaec de Quincieu. Quant aux légumes et aux fruits de saison, ils sont fournis pour l'essentiel par des plateformes comme Manger bio Isère, RecolTer, Isère Assaisonner et AB Epluche.
Depuis plusieurs années en effet, le conseil départemental mène une politique volontariste en matière d'approvisionnement local. La montée en charge s'est faite progressivement, à grand renfort d'adaptations, de formations, d'objectifs réalistes et de ruses de Sioux, histoire de rester dans les clous du sacro-saint code des marchés publics. Résultat : depuis la rentrée 2018, 30% du contenu des assiettes des collégiens préparé dans les cuisines du Département est d'origine iséroise.
Transformer pour limiter les pertes
Certes, la volonté politique ne suffit pas. Pour que la mayonnaise prenne, il faut aussi que le territoire ait de la ressource, que les producteurs s'organisent et que les gestionnaires des cuisines jouent le jeu. « Les cuisines mutualisées, c'est ce qui nous a mis le pied à l'étrier, explique Denis Chardon, des Jardins de Corneyzin, à Saint-Prim. Depuis, nous avons développé d'autres marchés similaires, avec les lycées et d'autres collèges, en Isère ou dans le Rhône. » Et vu augmenter d'autant le chiffre d'affaires de l'exploitation.
Légumerie
Pour mieux répondre à la demande et valoriser au maximum sa production, y compris les légumes hors calibre, le maraîcher a même investi dans une légumerie qui prépare des légumes de quatrième gamme. « On ne produit pas pour jeter, explique-t-il. Grâce à la légumerie, sur 100 kilos de carottes, j'en valorise 95. Alors qu'avant je pouvais avoir jusqu'à 40% de perte. »
Plateforme associative
Pour vendre ses légumes, Denis Chardon passe par RecolTer, une plateforme associative qui regroupe une quinzaine de producteurs et fournit la restauration hors domicile en produits locaux (fruits, légumes, épicerie, pain, viande, laitages...). « En 2018, les cuisines mutualisées ont représenté 18% de notre chiffre d'affaires : c'est la colonne vertébrale de notre activité », confie Agnès Reboux, directrice de la plateforme qui a livré l'an dernier 40 tonnes de fruits, 20 tonnes de légumes et 40 tonnes de légumes sous vide. Revers de la médaille : la valorisation des productions d'été, qui abondent au moment où la restauration scolaire ferme ses portes. « C'est le gros problème, reconnaît Denis Dupont. Il faut trouver d'autres clients ponctuels ou transformer les produits. Les tomates, par exemple, j'en fais du coulis ou du jus. »
Rigueur et souplesse
Décrocher de tels marchés implique de savoir combiner rigueur et souplesse. Il faut pouvoir répondre à une demande spécifique (légumes sous vide par exemple) et fournir les quantités dans les délais convenus plusieurs mois auparavant. Quand des éleveurs s'engagent à fournir des volumes de bœuf à mijoter, ils doivent aussi trouver des débouchés pour le reste, à commencer par les pièces nobles. Pas toujours simple.
De leur côté, les gestionnaires doivent inviter leurs équipes à bousculer leurs habitudes. Travailler les produits locaux et de saison oblige en effet à repenser son fichier de recettes, autrement dit renoncer à l'avocat vinaigrette pour explorer les vertus des courges et des choux. « Si on veut que ça fonctionne, il faut s'adapter, résume Denis Dupont, de la cuisine mutualisée à L'Isle-d'Abeau. De mai à novembre, nous travaillons très bien avec les agriculteurs locaux. En saison creuse, les circuits sont différents. Mais notre façon de travailler ne change pas : notre boulot, c'est de faire plaisir aux gamins et de leur faire découvrir plein de choses. » Comme le panais râpé ou le gratin de rutabaga.
Appels d'offre sur mesure
Même logique pour les relations commerciales. Si la commande de petits volumes peut être passée de gré à gré, les gros marchés nécessitent de réaliser des appels d'offre. Le service Economie et agriculture du conseil départemental s'est forgé une véritable culture en la matière. « Le Code des marchés publics interdit de privilégier une origine géographique précise, il n'interdit pas d'acheter local », souligne Christophe Corbière qui rédige ses appels d'offre en fonction de ce qui est disponible sur place, de façon à le rendre accessible aux groupements de producteurs locaux. Le technicien rappelle également que l'article 53 du code des marchés publics permet d'attribuer un marché à un candidat qui travaille en circuit court en faisant valoir ses « performances en matières de protection de l'environnement » ou de « développement des approvisionnement directs de produits de l'agriculture ». Une démarche dans l'air du temps.