Ces points noirs qui donnent des boutons aux chasseurs
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Il aura fallu plus d'un an pour s'entendre. Fruit d'un accord passé l'an dernier entre les instances nationales de la chasse et les représentants du monde agricole, le dispositif « points noirs » est entré en application cet automne en Isère. Objectif : lutter efficacement contre la prolifération des sangliers dans le département. Autrement dit réduire drastiquement l'étendue des dégâts engendrés par les bêtes dans les terres agricoles, notamment dans les semis d'automne, les prairies et les alpages. L'an dernier en effet, en dépit d'un important prélèvement (6 848 sangliers tués pour la campagne 2012-2013), les bêtes ont causé plus de 800 000 euros de dégâts dans le département. Certains secteurs sont plus touchés que d'autres, notamment le nord Isère (170 000 euros dans la seule unité de gestion 25...) et le sud Isère (105 000 euros dans le Trièves). D'où un climat parfois tendu entre chasseurs et agriculteurs.
Zones sensibles
Mais pour réguler la population de sangliers, encore faut-il avoir un diagnostic fiable. A ce titre, le dispositif « points noirs » représente une véritable évolution. Grâce à une cartographie précise des zones à problèmes, il doit en effet permettre une régulation fine des populations de sangliers. En clair, il met en évidence les situations de déséquilibre « toujours localisées, (...) causées par l'insuffisance ou une orientation conservatrice de l'activité cynégétique » (1). Bref, il appuie là où ça fait mal. Comment ? En pointant les zones sensibles grâce un mode de calcul, mis au point par la Fédération nationale de la chasse (FNC), qui détermine le seuil au-delà duquel la pression exercée par les sangliers n'est plus supportable. « Dans notre département, il a été convenu que nous retiendrons quatre indicateurs (2), explique Sylvie Fanjat, animatrice à la FDSEA. Pour que le statut de zone sensible soit retenu, le seuil statistique doit être dépassé pour au moins deux critères (sur les quatre retenus) et au moins deux années sur trois. Cette méthode est appliquée non seulement à l'échelle de l'unité de gestion mais aussi, dans un second temps, au niveau des communes. »
Chasse obligatoire
L'application de la méthode statistique de la FNC a conduit à identifier 58 communes comme « points noirs dégâts » en Isère. Mais le groupe de travail grand gibier de la Commission départementale de la chasse et de la faune sauvage (CDCFS) a proposé d'en classer davantage du fait de problèmes locaux. Au grand dam des chasseurs, 129 communes ont donc été décrétées « point noirs dégâts » par arrêté préfectoral. "Nous sommes en train de faire des réunions pour expliquer la démarche, explique Antoine Grain de la Fédération départementale des chasseurs de l'Isère. Pour nous, cette carte des zones à problème est un très bon outil qui nous donne un état visuel du département."
Cela étant, toutes les unités de gestion ne sont pas logées à la même enseigne. Le classement distingue trois niveaux selon le contexte local et les efforts fournis par les chasseurs. Pour le niveau 0, le statut de « point noir » n'est pas retenu pour la saison cynégétique en cours, il n'y a donc aucune obligation de chasse. Mais le territoire est placé en « vigilance ». En revanche, le niveau 1 rend obligatoire la chasse jusqu'à la fin du mois de février et la chasse en temps de neige ainsi qu'en réserve de chasse et de faune sauvage. Il est également précisé que, hors de la période de chasse, les services compétents de l'Etat peuvent organiser la régulation de l'espèce par tous les moyens réglementaires possibles. Quant au niveau 2, il interdit toute mesure restrictive par rapport à l'arrêté annuel d'ouverture de la chasse : le Schéma départemental de gestion cynégétique pour la période 2012-2018 « s'applique sans réserve ».
Naturellement, ces dispositions ne plaisent pas à tout le monde. Certains chasseurs ne comprennent pas que leur association communale de chasse (Acca) soit considérée comme mauvaise élève en dépit des efforts fournis. D'autres évoquent le risque d'accidents de tirs et redoutent que leur Acca soit mise en cause. « C'est le tireur individuel qui est en cause, pas l'Acca », rappelle Laurent Blin, de la DDT Isère. Dans un souci d'apaisement, le représentant de l'Etat replace le dispositif dans son contexte : « Ces vingt dernières années, on a développé les populations de sangliers. Une certaine mentalité s'est installée, le sanglier étant considéré comme le nouveau fonds de chasse... Mais on est allé trop loin. Aujourd'hui il faut assainir la situation. » Notamment dans les unités de gestion (UG) où la situation est devenue critique, comme dans le nord Isère. « C'est vrai que ça rouspète un peu, car tout le secteur est classé point noir alors qu'au départ il n'était question que de 11 communes, témoigne Gilbert Jullien, producteur de lait à Chamagnieu et lieutenant de louveterie de l'UG 25. Cela dit, il est vrai que durant la campagne 2012-2013, nous avons eu 110 hectares de dégâts, alors que nous avions pour objectif de ne pas dépasser les 27. Au prix des céréales, ça chiffre ! On a su faire monter le cheptel, maintenant il faut le faire baisser. Mais on va y arriver... »
Négociations houleuses
Des négociations - parfois houleuses - ont eu lieu pour que telle ou telle Acca échappe au classement « point noir ». Du côté des agriculteurs, ce genre de pratique a du mal à passer : « Ce dossier-là, on nous l'avait présenté comme le must pour réduire la population de sangliers, maugrée Yves Borel, élu en charge du dossier des dégâts de gibier à la chambre d'agriculture. Il y a des Acca qui devraient être en niveau 2 et qui échappent au classement... La démarche « point noir » est bonne, encore faut-il l'appliquer correctement. » Tous les agriculteurs ne sont pas aussi sévères. René Thuderoz, chasseur lui-même, estime qu'il faut être ferme et vigilant, mais que la procédure « point noir » présente le gros avantage de « faire ressortir les problèmes là où ils sont ». « Si nous pénalisons tout de suite les chasseurs, nous courons le risque de les voir se décourager. Et si demain il n'y a plus de chasseurs, qui tuera les sangliers ? »
Lancée il y a quelques semaines, la procédure « points noirs » a jusqu'au 28 février pour faire ses preuves. La fin de la saison cynégétique sera en effet l'occasion de faire un point précis de la situation UG par UG. Les statuts de « points noirs » des communes ou parties de communes seront alors confirmés ou non. Pouvoirs publics, agriculteurs et chasseurs s'accordent pour dire qu'il sera alors temps de juger de l'efficacité du dispositif. Seuls les sangliers n'auront guère voix au chapitre.
Marianne Boilève
(1) Plan national de maîtrise du sanglier, fiche « action » n°3
(2) Les quatre critères sont le montant des indemnisations, le ratio indemnisation / SAU, le ratio indemnisation / surface IFN (Inventaire national forestier) et le ratio indemnisation / sanglier prélevé).
Prévention
Agrainage : une pratique réglementée
La pratique de l'agrainage dissuasif pour lutter contre les dégâts occasionnés par le sanglier aux cultures agricoles en Isère est réglementée. Par principe, dans notre département, l'agrainage est interdit à compter du 1er octobre jusqu'au dernier jour de février. Toutefois, à la demande des représentants agricoles des comités locaux de gestion sanglier, une dérogation d'agrainage peut être accordée après avis de la Commission départementale de la chasse et de la faune sauvage (CDCFS), notamment pour protéger des semis d'automne. La CDCFS vérifie à cette occasion qu'un certain nombre de préconisations sont respectées. Les dérogations ne sont effectives qu'après avoir été validées par l'autorité préfectorale. Cette année des dérogations ont été accordées, qui prolongent l'agrainage jusqu'en novembre pour les unités de gestion 2, 6 (30 novembre) et 27 (15 novembre).Sylvie Fanjat
Les moyens de lutte de l'Etat
Pour lutter contre les dégâts de sangliers, outre les interventions de louveterie, l'Etat dispose :- de la mise en demeure (L 425-5-1 du code de l'environnement) engageant la responsabilité financière du détenteur du droit de chasse,- du SDGC ( Schéma départemental de Gestion Cynégétique) avec identification des points noirs,
- du classement nuisible de l'espèce.
Pour en savoir plus :
- Les dégâts agricoles des sangliers en France.
- Une vidéo alsacienne sur la réalité des dégâts.
- Les sangliers ardéchois atteints d'un mal mystérieux.