Ces smileys qui ne font pas rire les producteurs fermiers

C'est une vraie usine à gaz. Depuis le 1er mars, un décret oblige à rendre publics les résultats des contrôles sanitaires officiels sur les établissements agro-alimentaires. Des abattoirs aux restaurants en passant les commerces de bouche et les producteurs fermiers, tous les « établissements de la chaîne alimentaire » sont concernés par cette nouvelle règlementation. Classés en quatre catégories (1), les résultats des contrôles sont désormais communiqués sous forme de smileys. Publiés sur un site dédié (alim-confiance.gouv.fr) et visibles durant un an, ils doivent également être affichés dans les vitrines, de façon à « informer le consommateur » du niveau d'hygiène attribué à l'établissement (ou de maîtrise sanitaire pour les abattoirs).
Transparence
Pour l'Administration, ce nouveau dispositif, prévu par la Loi d'avenir sur l'agriculture, correspond à une « attente légitime des citoyens ». A ce titre, il doit participer « au rétablissement de la confiance dans le secteur alimentaire ». Fort louable dans son intention, puisque gage de « plus grande transparence », il est sans doute parfaitement adapté à certaines branches de l'agro-alimentaire, mais ne va pas simplifier la vie des producteurs fermiers. « Déjà que le contrôle sanitaire est vécu de manière compliquée... », soupire Frédéric Blanchard, éleveur caprin à Chozeau et président de l'Association des producteurs fermiers de l'Isère (APFI).
Tout le problème est en effet de savoir à quelle sauce les producteurs fermiers vont être accommodés. « La question est de savoir comment nous allons être évalués et si les contrôleurs connaissent la problématique de la production fermière, qui est différente de celle d'un atelier industriel », souligne le président de l'APFI, qui a tout de même obtenu de la DDPP (2) que certains inspecteurs soient spécialisés dans les productions fermières. Frédéric Blanchard fait remarquer qu'« il y a toujours une tension lors des contrôles : le producteur est stressé et le contrôleur aussi ». D'où sa crainte que le processus de transparence ne rajoute une couche d'angoisse. « Avant, les contrôleurs nous faisaient des remarques pour que nous progressions, explique l'éleveur qui transforme son lait de chèvre en fromages. Avec de système, la sanction est immédiate. »
Système pervers
Ou presque. A l'issue du contrôle officiel, le producteur est informé de la décision de l'inspecteur et reçoit l'affichette correspondante. A réception du courrier, il dispose d'un délai de 15 jours pour faire part, si nécessaire, de ses observations sur le résultat obtenu avant publication sur le site d'Alim-confiance. En revanche, si problème il y a et que le producteur le résout, celui-ci ne peut demander à être réévaluer. « Le système est pervers, car, même si le producteur est d'accord avec le diagnostic défavorable de l'inspecteur, il doit le contester pour avoir une chance d'obtenir un nouveau contrôle après avoir fait les améliorations nécessaires », dénonce Frédéric Blanchard.
Pour l'APFI, le problème risque surtout d'affecter les producteurs qui vendent à des distributeurs et des grandes surfaces. « Ils vont être très sensibles à ça, prévient le président. Certains risquent de faire de la surenchère et nous dire : "On ne vous prend que si vous êtes très satisfaisants".» Consciente de ces difficultés, l'Administration a fait un geste d'apaisement. Lors de la dernière assemblée générale de l'APFI, Yves Correard, chef du Service qualité et sécurité des aliments de la DDPP, s'est engagé à ne pas publier l'avis de l'inspection en cas de contestation. Un geste d'ouverture qui devrait éviter pas mal de pataquès à venir.
Marianne Boilève
(1) « Très satisfaisant», « satisfaisant », « à améliorer » et « à corriger de manière urgente ».
(2) Direction départementale de la protection des populations.
Les quatre niveaux d'hygiène
Très satisfaisant. Etablissement ne présentant pas de non-conformité, ou présentant uniquement des non-conformités mineures.Satisfaisant. Etablissement présentant des non-conformités qui ne justifient pas l’adoption de mesures de police administrative mais auxquels l’autorité administrative adresse un courrier de rappel de la réglementation en vue d’une amélioration des pratiques.
A améliorer. Etablissement dont l’exploitant a été mis en demeure de procéder à des mesures correctives dans un délai fixé par l’autorité administrative et qui conduit à un nouveau contrôle des services de l’État pour vérifier la mise en place de ces mesures correctives.
A corriger de manière urgente. Etablissement présentant des non-conformités susceptibles de mettre en danger la santé du consommateur et pour lequel l’autorité administrative ordonne la fermeture administrative, le retrait, ou la suspension de l’agrément sanitaire.