" Comme si on jouait à domicile "

Le concours départemental approche, mais le cœur n'y est pas. Malgré la passion des bêtes et des concours, Damien Fournier et Loïc Billat, jeunes éleveurs installés depuis 2005 à Saint-Victor-de-Cessieu au sein du Gaec de la Ferme des deux étangs, n'arrivent pas à sortir la tête de l'eau. La crise de l'élevage, c'est leur quotidien. Entre le temps de travail qui ne cesse de s'allonger, les charges qui s'envolent et les prix de vente des produits, qui, eux, ne cessent de dégringoler, ils ne s'en sortent plus. Pourtant, avec un élevage de 100 prim'holsteins qui produisent un million de litres de lait commercialisé à la Fruitière de Domessin et la culture de 180 hectares (120 hectares en céréales - maïs, blé, luzerne - et le reste en prairies), une organisation du travail qui leur convient (Damien Fournier gère la conduite du troupeau et Loïc Billat a en charge les cultures et la mécanique), ils estiment qu'ils devraient y arriver.
Pas le choix
Mais ce n'est pas le cas. Malgré l'aquisition de compétences, de technicité et de résultats, les deux jeunes éleveurs ne parviennent pas à cacher leur déception. Ils sont loin de la reconnaissance souhaitée. Même s'il y a « toujours mieux et toujours pire », ils espéraient une meilleure reconnaissance. « Travailler comme cela et ne pas pouvoir payer les factures, ce n'est pas normal. Si nous arrivions à vivre de notre métier nous pourrions embaucher du personnel pour nous dégager un peu de temps. Mais c'est impossible. Alors que, comme tout le monde, nous voudrions avoir une vie de famille. Notre métier a beau être une passion, il doit rester notre travail. J'estime qu'on ne doit pas vivre pour travailler, mais travailler pour vivre », avance Damien Fournier, marié et père de deux jeunes enfants. Le quotidien est donc compliqué. Alors, dans ces conditions, continuer ou arrêter ? La question ne se pose pas. « Nous avons des mensualités importantes à rembourser. Nous avons un cap difficile à passer jusqu'à ce que nos premiers prêts soient soldés. Nous n'avons donc pas le choix, nous devons rembourser notre dette. Mais après, nous nous poserons la question, c'est certain », indique Loïc Billat. « Nous avons l'impression de travailler pour un capital qui ne vaudra pas grand chose à l'arrivée », ajoute Damien Fournier, désabusé.
Une suite logique
Pourtant, leur métier et leurs vaches, ils les aiment. « C'est un choix que nous avons fait. Personne ne nous a forcé la main », reconnaît le responsable du troupeau. « J'ai toujours eu la fibre de l'élevage. Les bêtes me passionnent. Et en particulier, les prim'holstein, pour leur morphologie », explique cet hors cadre familial, originaire de Saint-Victor-de-Cessieu, mais formé dans le Rhône où il a découvert les concours et l'ambiance si particulière qui règne au sein de ces manifestations, alliant compétition et festivités. « Ces repas, ces soirées d'éleveurs, étaient toujours très conviviales. Quand on a 15 ou 16 ans et qu'on est passionné, on est forcément marqué ». Tellement passionné qu'il avait participé à la création d'une association de jeunes éleveurs de la race dans le Rhône et qu'il est depuis 2009 le président du syndicat prim'Holstein de l'Isère. Quant à son associé, son installation était une « suite logique ». « Je n'ai jamais imaginé ne pas reprendre l'exploitation familiale de Chateauvillain », considère Loïc Billat.
Jouer à domicile
Alors, le départemental, même si la situation est difficile, très difficile même, pas question pour eux de ne pas participer. « Ce concours, c'est celui des éleveurs. Ce serait se tirer une balle dans le pied que de ne pas y aller. Il ne peut que nous aider à nous remotiver. Car cela fait du bien de se retrouver pour échanger sur nos situations, pour partager un moment de convivialité. C'est en plus un rendez-vous que nous donnons au grand public, envers lequel, nous avons un rôle pédagogique à jouer. C'est d'autant plus important qu'aujourd'hui, nous avons l'impression que l'ensemble de la population n'a plus aucune considération pour le monde agricole. Nous avons le sentiment d'être toujours en train d'embêter tout le monde (problèmes d'odeur, de bruit) de ne plus peser dans la vie sociale. Il faut donc encore plus que nous expliquions notre métier. Si nous voulons être soutenus par le grand public, nous ne devons pas nous le mettre à dos. Nous devons recréer du lien pour nous rapprocher. Et puis, cette année qu'il est à Biol, c'est comme si on jouait à domicile. Notre participation est incontournable ! », explique Damien Fournier.
Isabelle Brenguier