Compensation : les terres agricoles sèment leur zone

Les zones humides, comme les terres agricoles, font souvent les frais des politiques d'aménagement. A Bourgoin-Jallieu, la construction du Médipôle, « projet majeur pour la municipalité berjallienne », est un cas d'école. Implanté sur un ancien marais, le projet a nécessité l'assèchement et l'imperméabilisation plus de 40 hectares de zone humide, qu'il a fallu compenser à 200% au titre de la loi sur l'eau (1). L'arrêté préfectoral de 2006 autorisant la réalisation du projet stipule un certain nombre de mesures compensatoires, dont la « revalorisation en boisements et prairies humides » de 33 ha dans le secteur des Buissières « de façon à augmenter les fonctionnalités hydraulique et écologique du site ».
Ces 33 ha faisant partie intégrante de la réserve foncière de l'Etat, sur le papier, la compensation ne posait a priori pas de problème. Sur le terrain, c'est une autre affaire. Mises à disposition « à titre précaire », ces terres sont en effet cultivées depuis 2002 par une demi-douzaine d'agriculteurs. « Ce sont des terres extraordinaires, témoigne Christian Bonnaire, exploitant sur le site. La nappe est à 20 cm : le maïs pousse tout seul. Il n'y a même pas besoin d'arroser. »
Scénarios
Conscientes de l'enjeu, la Direction départementale des territoires (DDT) et la communauté d'agglomération Porte de l'Isère (Capi), maître d'ouvrage, ont mis en place un comité de pilotage chargé d'étudier des solutions avec les intéressés, qu'ils soient élus, agriculteurs, représentants de syndicats (Smabb, syndicat des marais...) ou défenseurs de l'environnement. Un bureau d'étude (Soberco envionnement) a été missionné et trois scénarios ont été avancés, appliquant à la lettre l'arrêté de 2006. Le problème, c'est que ces trois scénarios n'imaginent pas de prendre les mesures compensatoires ailleurs que sur les terres agricoles appartenant à l'Etat. « Nous savions que nous exploitons ces surfaces à nos risques et périls, admet Christian Bonnaire. Mais ce qui paraît aberrant, c'est de sacrifier de bonnes terres agricoles alors que l'on pourrait trouver d'autres solutions. » Et l'agriculteur, par ailleurs président du Syndicat intercommunal des marais de Bourgoin-Jallieu, de suggérer par exemple des aménagements le long du Bion et de ses francs-bords. André Coppard, responsable du comité d'orientation Espace-territoire-environnement à la chambre d'agriculture de l'Isère, lui emboîte le pas : « Ces terres ont un si bon potentiel qu'il est dommage de ne pas leur conserver un usage agricole, d'autant que des solutions de repli existent : un agriculteur a même offert de céder un de ses terrains, situé en zone inondable de l'autre côté de l'autoroute, en compensation de ceux qu'il cultive sur les Buissières actuellement. »
Agriculture viable
Du côté de la DDT, on ne se montre pas hostile à de tels arrangements. « L'objectif de l'Etat, c'est que les mesures compensatoires soient réalisées, déclare Didier Josso, son directeur adjoint. Il faut concilier cet objectif avec la viabilité d'une agriculture dans le secteur, en trouvant quelque chose de plus intelligent que ce qui a été défini en 2006, quitte à revoir l'arrêté préfectoral. » Dont acte.
Bien que « compliqué », le dossier avance. L'ingénieur de Soberco affiche même un certain optimisme : « Si l'on veut appliquer l'arrêté de 2006 au sens strict, il faut transformer du maïs en herbe, explique Jérôme Baveux. Parce que, sur le secteur, la plupart des surfaces qui ne sont ni urbanisées ni boisées sont cultivées en maïs. Mais on peut aussi trouver un compromis et compenser une partie des surfaces par des aménagements qualitatifs, par exemple en renaturalisant la Bourbre et le Bion, ou en travaillant sur les canaux agricoles dégradés. » Il est aussi question de valoriser des peupleraies en espace de boisement humide. Est-ce que cela sera accepté par les services de l'Etat, sachant que ce sont déjà des boisements humides ? « Ce n'est pas gagné », doute Jérôme Baveux. Mais comme tout le monde a l'air de vouloir travailler en bonne intelligence, il n'est pas interdit de rêver...
Marianne Boilève
(1) La loi prévoit qu'en cas de destruction de zone humide, le porteur de projet doit en effet proposer une mesure compensatoire sur une surface double de la surface détruite : deux hectares reconstitués pour un hectare disparu.