Coup dur pour l'appro local isérois

« C'est la cata ! » Pour les plateformes d'approvisionnement locales, la fermeture des établissements scolaires isérois décrétée jeudi dernier par le président Macron est un désastre. Commandes annulées, livraisons retournées, marchandises perdues : l'addition est salée.
Plusieurs dizaines de milliers d'euros pour la seule légumerie du Fontanil. « Nous avions tous nos frigos pleins de produits bruts et transformés pour les livraisons de vendredi matin : nous essayons de les vider », décrit Marianne Molina, la directrice d'Isère A saisonner-AB Epluche, qui fournit exclusivement la restauration collective.
Dans toutes les structures iséroises de proximité, le discours est le même.
« La restauration scolaire, c'est 85 à 90 % de notre activité, déclare Luc Armanet, de la SAS ReColTer. Nous sommes à l'arrêt total. Il ne nous reste que quelques Ehpad. »
Mangez bio Isère n'est guère mieux loti. « La restauration collective représente 80 % de nos volumes, les restaurants 5 à 10% supplémentaires, explique Lydéric Motte, son directeur. Nous avons beaucoup de produits périssables en transit pour lesquels nous cherchons d'urgence une solution de dégagement. »
Transfert de consommation
Si certains fournisseurs, notamment les maraîchers, acceptent de reprendre une partie de leurs marchandises, essentiellement des produits bruts ou non périssables, les produits à date courte, comme la viande ou les laitages, posent problème.
« Nous avons contacté les hôpitaux, indique le responsable de MBI. Sur le papier, l'idée est bonne, mais eux aussi sont en situation de crise. Ils vont à la facilité, et on peut le comprendre. » Lydéric Motte se montre pourtant confiant : « La restauration hors domicile se transfère sur les consommations des particuliers : deux enseignes nous ont appelés pour les approvisionner. »
MBI a également contacté son réseau de particuliers (groupements d'achat, AMAP, magasins de producteurs...) qui a répondu présent, par culture de la solidarité.
En dehors des questions logistiques, l'arrêt brutal de l'activité pose deux autres difficultés aux entreprises : la question des salariés et la gestion des productions à venir.
Pour la première, le chômage partiel ou technique est déjà en place dans certaines structures. Chez ReColTer, tous les chauffeurs-livreurs sont au chômage. C'est l'un des producteurs de la SAS qui assurera les livraisons quand ce sera nécessaire.
Chez Isère A saisonner, la directrice a essayé toute la journée de lundi de se connecter au portail gouvernemental dédié à la demande d'activité partielle : il est complètement saturé.
Chez Mangez bio, l'approvisionnement est en sommeil et le magasinage arrêté, mais l'équipe commerciale reste pour l'instant « mobilisée sur le dégagement ».
Quid des saisonniers ?
Et pour la suite ? C'est le saut dans l'inconnu. Producteur de fruits et membre de la première heure de ReColTer, Luc Armanet s'inquiète pour les semaines à venir. Il se demande comment il va pouvoir récolter ses fraises, d'ici la fin avril. « Les saisonniers d'Espagne, du Maroc ou de Pologne ne viendront pas et ceux qui sont en France vont vouloir rentrer chez eux, anticipe le producteur de Bougé-Chambalu. Je n'ai personne pour le moment. Je relève mes serres pour retarder la maturité de mes fraises, mais qui va les récolter ? »
Son collègue, Denis Chardon, maraîcher et président de la SAS, a d'ores et déjà prévu de réduire ses volumes de production : à quoi bon planter des courgettes et des tomates quand les clients ne peuvent les acheter ?
Cela étant, Luc Armanet veut croire que cet épisode dramatique est une chance pour l'agriculture française. « Je pense que nous entrons dans une nouvelle ère, prédit-il. C'est ce que j'ai entendu dans le discours de Macron jeudi. Nous avons une grosse carte à jouer sur le local. Et ça va dans le sens de ce qui se dessinait déjà en Isère. Il y a aura forcément un après. »
Un après quoi ? C'est toute la question.