Cuisines centrales trois étoiles

Au vu des cageots de courgettes, l'affaire s'annonce bien. Sa fourgonnette garée devant la cuisine mutualisée de l'Isle-d'Abeau, Claude débarque des quantités de cagettes sur les étiquettes desquelles on peut lire « Les fruitiers dauphinois » (Chanas), « Les Jardins de Corneyzin » (Saint-Prim) ou encore « Le Verger de Michel » (Veyrins-Thuellin). Apparemment, rien que du bon et du local. Normal : Claude, ancien agriculteur lui-même, est « collecteur-livreur » chez RecolTer, une plateforme d'approvisionnement de produits locaux pour la restauration collective. Ce qui est plus inattendu, c'est de voir autant de bonnes choses aux portes d'une « cantine ». Une « cantine » ? Le mot ferait s'étrangler André Colomb-Bouvard, vice-président du conseil général en charge des collèges et des équipements scolaires. « Le restaurant du collège n'est plus la cantine d'autrefois, corrige-t-il. Nous avons beaucoup travaillé avec les responsables des cuisines de territoire pour que la qualité soit au rendez-vous. »
La preuve par l'exemple se trouve dans les trois cuisines pilotes du département qui viennent de recevoir la labellisation « En cuisine » (niveau 1), délivrée par Ecocert aux établissements qui mènent des actions en faveur du bio, du local et du développement durable. Au collège de Champoulant (L'Isle-d'Abeau), le diplôme trône dans le bureau du gestionnaire. Cuisinier de cœur et de profession, Denis Dupont est un gourmand. Et les quinze personnes qui travaillent avec lui à fournir chaque jour les 3 800 repas des onze collèges alentour ne le sont pas moins que lui. Il n'y a quà voir avec quel soin les cuisiniers goûtent et rectifient l'assaisonnement de chacun des plats. « La semaine dernière, nous avons passé 400 kilos de légumes dans la ratatouille, raconte le cuisinier en chef. Une dizaine d'agents l'ont goûté. » Verdict des élèves : « Excellente ratatouille », indique la "fiche-liaison" sur laquelle sont notés les retours des gestionnaires des cuisines satellites.
Quand on pénètre dans les « coffres-forts » de la cuisine, là où sont entreposés victuailles et produits d'épicerie, on comprend très vite pourquoi les retours sont bons : saucisses et merguez du plateau matheysin (Motte Viande), laitages du Gaec de Quincie, légumes et fruits de saison fournis pour l'essentiel par RecolTer et Manger bio Isère, cerneaux de noix (bio) originaires de Vinay, farine provenant des moulins de Saint-Victor-de-Cessieu. « Sur 20 menus consécutifs, nous avons 40 produits qui sont issus de l'agriculture biologique, dont 30 qui viennent de l'Isère », calcule Denis Dupont, à qui les élus ont attribué un budget en conséquence : « On nous a donné les moyens de nos objectifs », résume-t-il, pas peu fier du résultat obtenu.
Excellente ratatouille
Le résultat se lit à la fois dans la motivation de l'équipe à cuisiner bon, les bilans... et les retours des collégiens. « Très bonne moussaka, appréciée par beaucoup d'élèves », indique la fiche liaison du collège Allinges. A Doineau, on a trouvé « le tian et le gratin de blettes très bons ». En revanche la « salade Midinette » n'a pas rencontré le succès escompté à Cassin, les élèves préférant « les salades vertes composées ». Ces retours critiques sont corroborés par le volume de nourriture qui part à la poubelle : comme c'est meilleur, il y a moins de gaspillage. La qualité des produits eux-mêmes joue également : « Dans une viande bio, il y a moins d'eau, donc moins de perte à la cuisson, explique Denis Dupont. C'est sûr que je l'achète un peu plus cher au kilo, mais l'euro que je paie en plus, je le regagne ailleurs. Nous avons par exemple opté pour la cuisson des viandes la nuit, à basse température. C'est une autre façon de cuisiner, mais derrière on obtient des super résultats, on perd moins et cela coûte moins cher en énergie. »
Une autre façon de cuisiner ? Le nez dans les marmites, le "chef" et son équipe n'ont pas l'air de s'en formaliser. La qualité des produits et des outils (du matériel Charvet made in Charavines pour l'essentiel) leur permettent de surmonter sans trop de difficultés les contraintes liées à ce type de restauration. Les menus, composés en fonction des recommandations du programme national "nutrition santé", sont une œuvre collaborative, associant thématiques et produits de saison. « Nous sommes tenus de faire manger les enfants de façon équilibrée, explique Norbert Ancel, le chef de production. Ce qui implique de jongler avec pas mal de contraintes, mais n'empêche pas de faire preuve d'imagination.» En témoignent les menus qui, chaque matin, font saliver les collégiens : sauté de bœuf bio aux olives, anneaux d'encornets safranés, blette locales à la béchamel, tian de légumes...
Pour l'heure, deux cuisiniers préparent un gratin languedocien, déversant des centaines de tranches d'aubergines grillées dans une sauce tomate fumante, dont l'acidité vient d'être corrigée d'un soupçon de sucre. Ici, pas question de faire n'importe quoi : la diététicienne veille. L'avis des enfants et des collègues des cuisines satellites n'en est pas moins pris en compte. « On ne leur demande pas d'être le guide Michelin, plaisante Norbert Ancel, mais leurs critiques, bonnes ou mauvaises, nous permettent d'améliorer les recettes, de les faire évoluer ou de les retirer si elles n'ont pas du tout plu. » Comme ce crumble aux courgettes sucré-salé qui fut un « bide total ».
Reste l'exercice périlleux de l'approvisionnement local. Pour une structure qui doit produire près de 4 000 repas tous les jours (5 000 à Saint-Egrève et 5 300 à Echirolles), l'option circuit court ne représente-t-elle pas une contrainte supplémantaire ? Le capitaine du paquebot L'Isle-d'Abeau sourit : « Si on veut que ça fonctionne, il faut s'adapter. De mai à novembre, nous travaillons très bien avec les agriculteurs locaux. En saison creuse, les circuits sont différents. Mais notre façon de travailler ne change pas : notre boulot, c'est de faire plaisir aux gamins et de leur faire découvrir plein de choses. Et puis de démontrer qu'une cuisine centrale, ce n'est pas une usine à malbouffe ! »
Marianne Boilève