De bruit et de fureur autour de la Chartreuse

Place au théâtre dans les caves de la Chartreuse à Voiron. Peut-être pas du Shakespeare, mais des extraits de Chanteclerc de Rostand, certainement. Un petit détour par l?Affaire du collier de la reine, aussi. En invitant la compagnie Les ateliers de Casalibus et bien d?autres enfants de la balle, le fabricant voironnais de l?élixir quatre fois centenaire, réitère le pari déjà mené en 2012 de proposer un programme d?animations estivales aux visiteurs des caves. L?établissement accueille chaque année plus de 80 000 personnes, ce qui le place parmi les sites les plus visités de l?Isère et de Rhône-Alpes. Mais, au-delà de la découverte d?une des plus grandes caves au monde, de la distillerie et de l?espace scénographique, soit 600m2 d?exposition, la vénérable maison voulait offrir une plus large palette d?animations à son public. L?éclectisme de la programmation veut répondre à la multitude de profils qui fréquentent les lieux. A croire que tous les âges, toutes les CSP, toutes les régions de France et du monde convergent vers Voiron.
Chaque jour de l?été aura sa chasse au trésor pour retrouver le manuscrit disparu, celui que le Maréchal François Hannibal d?Estrées remit aux pères Chartreux en 1605 et sur la base duquel, la fameuse Chartreuse verte sera élaborée à partir de 1764. Pas sûr pour autant que la recette de la distillation des 130 plantes nécessaires à la réalisation du pieux breuvage, tenue secrète depuis plus de 400 ans, soit divulguée un soir d?été 2013.
Herboristerie
Les caves de la Chartreuse ne se contentent donc plus d?être un site touristique, elles se revendiquent lieu de vie et travaillent donc à cultiver un accueil personnalisé. Elles étoffent ainsi leur offre intra-muros en mettant l?accent sur la distillerie. Davantage d?informations techniques sont désormais à la disposition des visiteurs. Mais, relevant la tradition d?herboriste qui a forgé l?histoire de l?ordre et lui a apporté son succès, les caves désirent également ouvrir au grand public des pans de cette connaissance millénaire. « C?est une connaissance unique au monde, concernant les plantes et les épices. Nous espérons pouvoir la rendre accessible d?ici trois à cinq ans », annonce Philip Royer, responsable de la communication.
Isabelle Doucet
ENTRETIEN / Philip Royer assure la communication des caves de Chartreuse, une SA un peu atypique et mondialement connue.«L'international représente un formidable vivier»
Notre configuration est incomparable dans le monde. Nous réalisons un chiffre d?affaires de 13 millions d?euros dont 50% l?export. La fabrication est uniquement réalisée à Voiron. Nous produisons plus d?un million de cols par an, dont 65% de Chartreuse verte. C?est la plus grande cave à liqueur du monde (en longueur, soit 164 mètres) et cela ne suffit pas. Nous sommes obligés d?installer des cuves dans les greniers. Le marché des Etats-Unis explose. Nous enregistrons des croissances de nos ventes de plus de 20 à 25% dans une trentaine d?états, portées de façon exponentielle par l?engouement pour les cocktails. La mode du mix, ces mélanges subtils, s?est emparée des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne.
Comment faites-vous pour être mondialement connu ?
Il convient d?être innovant en matière de promotion des liqueurs. L?international représente un formidable vivier. Courant juin, nous recevrons tous nos importateurs à Voiron. Il faut être attentif. Nous travaillons beaucoup avec les barmen. Nous avons même monté des masterclass et nous en profitons pour présenter l?ordre des chartreux. Cela fonctionne bien sur de gros marchés comme l?Australie.
Quelle est la gouvernance de cette entreprise ?
C?est une SA avec un président coopté par les chartreux. Les autres actionnaires sont des descendants des personnes qui ont défendu les chartreux lors de leur expulsion en 1903. L?entreprise emploi 50 personnes. Deux pères chartreux distillent en permanence.
Quelle image véhicule une entreprise adossée à un ordre religieux ?
C?est toujours un plus, une source d?émerveillement pour nos clients. Nous sommes présents dans cinquante pays, de la Nouvelle-Zélande à l?Allemagne en passant par les États-Unis et l?Espagne, un pays qui a une forte tradition de consommation de Chartreuse depuis 1903, lorsque les pères chartreux se sont réfugiés à Tarragone. En revanche, des marchés comme la Russie et la Chine sont plus compliqués à aborder.
Propos recueillis par Isabelle Doucet
Des visites : Les Caves de la Chartreuse, à Voiron, tous les jours d?avril à Toussaint, et la semaine, de Toussaint au 31 mars. Visite gratuite. Contact : 04 76 05 81 77 ou www.chartreuse.fr
Et pour poursuivre :
Le musée du monastère, La Correrie à Saint-Pierre de Chartreuse, tous les jours jusqu?au mois de novembre. 04 76 88 60 45 ou www.musee-grande-chartreuse.fr
Un peu d?histoire
L?ordre des Chartreux a été fondé en 1084 par Saint-Bruno. D?abord agriculteurs, ils se tournent vers le travail du fer à parti du XIIème siècle puis deviennent forestiers. Si le fameux manuscrit où est inscrite la recette des 130 plantes permettant de réaliser le premier élixir leur est remis en 1605, il faut attendre 1737 pour que la formule soit finalisée au Monastère de la Grande Chartreuse. La Chartreuse verte est mise au point en 1764. Mais la Révolution française coupe court à sa diffusion. Le manuscrit connaît alors de nombreuses péripéties pour retourner finalement au monastère au début du XIXème siècle. La Chartreuse jaune date de 1838. En 1903, les chartreux emportent la recette à Tarragone en Espagne où la Chartreuse est fabriquée jusqu?en 1989 ! Parallèlement, elle est aussi produite à Marseille entre 1921 et 1929, ainsi qu?à Fourvoirie, à Saint-Laurent-du-Pont, de 1860 à 1903, puis de1930 à 1935, date à laquelle la distillerie est détruite par un éboulement de terrain. Le site de Voiron devient l?unique site de production en 1935.