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Biodiversité

"Défendre la nature tout en prenant en compte les contraintes des agriculteurs"

La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) organise son 47ème Conseil national en Isère. Une façon de reconnaître l'important travail réalisé sur le terrain par la section iséroise du premier réseau de protection de la nature en France. Entretien avec Serge Risser, président de la LPO Isère.
"Défendre la nature tout en prenant en compte les contraintes des agriculteurs"

L'Isère accueille pour la première fois le Conseil national de la LPO. Un grand moment ?

L'Isère est très active en matière de protection d'oiseaux. Organiser notre instance de réflexion et de proposition dans le département, c'était une manière de faire reconnaître ce dynamisme au niveau national. Indépendamment de la LPO, de nombreux associations sont engagées dans la protection des espèces. Le conseil général mène une politique très volontariste, notamment au travers des espaces naturels sensibles (ENS), et nous avons plusieurs partenariats privés, que ce soit dans les carrières, avec ERDF ou avec des agriculteurs. Nous conduisons par exemple un projet de lutte contre les campagnols avec les semenciers, qui a permis d'installer des nichoirs pour les chouettes (chevêche et effraie) à proximité des parcelles. Un couple de chouettes installé sur une exploitation, c'est plusieurs milliers de campagnols prélevés chaque année (1), ce qui représente l'équivalent de deux tonnes de grains épargnés.

Une cigogne électrocutée par une ligne à haute tension, du côté de Monestier-du-Percy, en Isère (photo LPO).

Quels sont les dossiers qui préoccupent la LPO en Isère ?

Il y en a essentiellement deux, que l'on retrouve aussi à l'échelle nationale. Le premier concerne la perte de biodiversité, le second est lié au développement de l'urbanisation. Les surfaces de prairies sont de plus en plus morcelées, on arrache des haies, on cure les fossés et les cours d'eau, on assèche les mares... Autant de milieux qui abritent une grande diversité d'oiseaux. Dans les prairies, les fauches sont de plus en plus précoces, avec des engins de plus en plus rapides : les jeunes se font surprendre et l'impact sur l'avifaune peut être important. Mais le phénomène le plus inquiétant, qui touche aussi l'agriculture, c'est le développement de l'urbanisation. Le mitage du territoire constitue pour nous la principale menace.

Concernant la biodivisersité, comment peut-on faire évoluer les choses ?

En discutant avec les agriculteurs et leurs relais professionnels, que ce soit la chambre d'agriculture ou les syndicats. Il faut voir ce que l'on peut faire ensemble pour protéger les espèces tout en prenant en compte l'équilibre des exploitations. Il faut que chacun s'y retrouve et prenne conscience des contraintes de l'autre : celles des agriculteurs et celles des oiseaux. L'important, c'est la démarche. La LPO est une grande organisation de protection de la nature, mais elle est assez modérée et surtout ouverte au dialogue. Nous menons par exemple beaucoup d'actions contractualisées avec les agriculteurs dans le cadre des mesures agro-environnementales. Il peut s'agir par exemple de différer un peu la fauche en échange d'une rémunération ou de faire déplacer les nids selon un protocole bien précis. Ça a bien marché dans la plaine de la Bièvre avec les busards cendrés. En Matheysine aussi, où nous menons une politique de suivi depuis 10 ans avec la filière bovine, ou encore dans le Trièves, où nous travaillons avec Sitadel, dans le cadre de mesures agro-environnementales orientées polyculture-élevage. Quatre cent hectares ont ainsi été contractualisés en 2014.

Et puis il y a les dossiers qui fâchent, comme celui du vautour...

Le vautour, nouvel ennemi des éleveurs?

La présence des vautours en Isère est très récente. Les éleveurs méconnaissent les mécanismes de l'espèce. Le vautour est un charognard pur, mais dans de très rares cas, il peut anticiper la mort d'un animal. C'est très impressionnant. A partir de là, on ne peut que comprendre l'émotion d'un professionnel qui perd une bête.

Certes, mais certains éleveurs ne veulent même pas entendre parler de ce nouveau "prédateur", arguant qu'ils ont bien assez à faire en se défendant contre le loup...

Le vautour n'est pas un prédateur. A nous, LPO, de travailler avec les agriculteurs et de mener des actions de sensibilisation. Nous devons notamment faire comprendre la physiologie du vautour et les enjeux de la cohabitation sur le long terme. Nous avons également demandé qu'à chaque incident, il soit fait appel à un vétérinaire référent et qu'un "numéro vautour" soit mis en place pour que l'on puisse s'organiser. Il faudrait aussi obtenir une autorisation légale pour installer une placette de nourrissage, comme cela se fait dans la Drôme, ce qui permet de faire passer 400 tonnes de carcasses et de ne pas apporter les bêtes à l'abattoir. Ce système est intéressant pour les vautours, pour les éleveurs et la collectivités. Et ça marche dans de nombreuses régions. A condition de le gérer de façon pertinente, notamment au regard de la période de reproduction des vautours.

 

 Pour Serge Risser, l'important est d'engager le dialogue avec les agriculteurs.

Propos recueillis par Marianne Boilève

Retrouvez l'intégralité de l'interview sur terredauphinoise.fr

 

(1) Un rapace nocturne consommant quatre à cinq proies par jour, une chouette peut éliminer près 1 500 campagnols par an. Un couple reproducteur en mangera donc 3 000, et une "famille" (un couple et quatre jeunes) plus de 5 000.