Des projets sous le signe de la diversité

« C'est compliqué, mais ce n'est pas foutu ! » Jocelyn Dubost, jeune agriculteur en charge du dossier installation chez les JA38, est un homme de conviction. Et de passion. « Il y a beaucoup de fermiers qui vont partir à la retraite d'ici peu, a-t-il rappelé aux jeunes participants de la journée de l'installation à Vif, le 14 mars dernier. Il faut absolument qu'on installe des jeunes ou des moins jeunes à leur place, sinon il risque d'y avoir concentration, abandon et désertification. Ce serait dommage. »
Le jeune agriculteur sait de quoi il parle. Il s'est installé en 2015 avec son oncle dans une exploitation familiale créée dans les années 50. Ils cultivent 250 hectares de céréales, dont 80 hectares irrigués, dans le Nord-Isère, en zone vulnérable.
La question de l'eau a toujours été présente sur ces terres à faible potentiel agricole, de sorte que la moitié de l'exploitation est en prairie et le reste en semis direct depuis 40 ans.
La marge plus que le rendement
Face aux étudiants, Jocelyn Dubost expose sa stratégie : « Je recherche la marge à l'hectare plus que le rendement. La réduction des produits phytosanitaires est un levier certes écologique, mais surtout économique ».
Le deuxième axe de cette stratégie sont les cultures sous contrat, à forte valeur ajoutée. Ainsi, les blés sont label rouge, ce qui suppose le respect de quelques règles. « Mais à la fin, ce n'est que du bonus », insiste le jeune exploitant.
Il fait aussi valoir « la force du réseau », autant celui des JA que celui des fermes Déphy « pour ne pas être isolé sur sa ferme ». Selon lui, « c'est l'occasion de voir des gens, de discuter. Nous faisons tous le même métier, mais nous avons rarement les mêmes systèmes. Avec les fermes Déphy, en deux ans, j'ai appris des choses dont je ne me doutais pas. Et participer aux organisations professionnelles, cela permet de donner un avis. D'être moteur dans sa profession ».
A en croire les échanges qui se sont noués au gré des tables rondes durant la matinée, les jeunes partagent un peu tous cette vision dynamique et prospective du métier.
Quel que soit leur projet futur, leur profil (fils d'agriculteur ou hors cadre familial), en formation initiale ou en reconversion, ce qui frappe, c'est de les voir parfaitement conscients des défis que l'agriculture est sommée de relever. Changement de pratiques, transition, adaptation au changement climatique, instabilité des cours, difficulté à trouver du foncier, autonomie, pénibilité du travail, articulation avec la vie privée : les futurs installés ont les pieds bien ancrés sur terre et dans leur époque, si difficile soit-elle.
C'est d'ailleurs sans doute ce qui explique la diversité des approches et l'émergence de nouvelles productions.
« Depuis un an ou deux, nous avons de nouveaux ateliers, comme la spiruline, le houblon ou le tofu, observe Cécile Lauranson, responsable des équipes Emploi, formation, conseil aux entreprises à la chambre d'agriculture de l'Isère. En 2018, nous avons eu pas mal de projets en production végétales (34% contre 20% depuis 2015), alors que l'Isère est un département traditionnellement tourné vers l'élevage. »
Parmi les 41 projets d'installation avec DJA comptabilisés l'an dernier, 25 sont tout de même en élevage (19 en bovins lait, 3 en caprins avec transformation et 3 en élevage hors sol), contre trois en grandes cultures, cinq en maraîchage et plantes aromatiques, cinq en arboriculture, nuciculture et petits fruits. Ce qui n'exclut pas une grande diversité de profils hors DJA (deux tiers des installations environ), parfois avec des niches très rémunératrices (noix, safran, tofu, escargots...).
« La recherche de valeur ajoutée permet de compenser le fait qu'en Isère, on ne s'installe pas sur 500 hectares, souligne Cécile Laurenson. Et c'est d'autant plus judicieux qu'entre le déploiement du Pôle agroalimentaire et la marque Is(h)ere, il y a des opportunités à saisir. »
Revenu suffisant
La preuve par l'exemple : à l'une des tables rondes, un jeune de 18 ans explique qu'il aimerait « reprendre une grande exploitation orientée soja », mais qu'il ne peut s'installer à temps plein, faute de pouvoir se dégager un revenu suffisant. Il songe à la conversion bio... Autour de la table, les autres l'écoutent avec attention.
Un trentenaire, en reconversion professionnelle, pointe une « aberration de la PAC, qui pousse à s'agrandir sans voir si l'agriculteur peut se dégager un revenu ». Un autre évoque la piste de la diversification...
A côté, un élève en BTS à la MFR de Chatte expose son projet d'installation en bovin lait dans le Nord Isère.
Il pose un regard très lucide sur l'agriculture actuelle. « Ces dernières années, on cumule les années "exceptionnelles" en pensant que ça va aller mieux, remarque-t-il. Mais l'exception est en train de devenir la règle. Et l'on n'essaie rien d'autre, parce qu'on en n'a pas les moyens. Le cycle agricole est très long. Dans une vie, on n'a le droit qu'à une quarantaine d'essais. Or, pour prouver que quelque chose marche, il faut poursuivre pendant au moins quatre ou cinq ans. C'est compliqué quand on a le couteau sous la gorge. » Et le jeune homme d'expliquer que l'important pour lui, « c'est l'autonomie ».
A une autre table, on parle conditions de travail. « J'ai été en stage chez des maraîchers : depuis des années, ils lavaient les carottes dans une brouette en se cassant le dos, raconte un ancien ouvrier agricole, actuellement en BPREA. Je leur ai proposé de surélever la brouette. Ça leur a changé la vie. Quand on s'installe, il faut se demander si l'on va pouvoir tenir 35 ans comme ça, à porter des cagettes de 30 kg et à se casser le dos. Ce sont des choses que l'on doit penser dès le début. »
Les futurs installés évoquent également le temps de travail, les congés, la vie de famille. Ils revendiquent une tout autre approche de la vie professionnelle que leurs aînés. « Il y a une histoire générationnelle à se tuer au travail », relève un étudiant. Non sans raison.
Marianne Boilève
Avec Isabelle Doucet
Chiffres clés
Avec 415 personnes accueillies en 2018, le Point accueil installation isérois démontre que le métier reste très attractif. Si un tiers des candidats abandonnent leur projet après le passage au PAI (souvent pour des raisons personnelles), la plupart des autres réalisent et suivent un plan de professionnalisation personnalisé qui leur permet de monter en compétence et de s'installer dans les deux ans qui suivent.Les parcours sont extrêmement divers. Sur les quelque 170 installations recensées en 2018, seuls 41 porteurs de projet ont opté pour la Dotation aux jeunes agriculteurs (DJA). Pourtant son attribution a été considérablement assouplie et la subvention revalorisée : de 25 000 euros en moyenne en 2016, son montant est passé à 38 000 euros en 2018 (27 000 euros en zone de plaine et 48 000 en zone de montagne). A noter qu'une partie des DJA de la fin 2018 ont été reportées sur 2019 (56 projets accompagnés).