Donner plutôt que jeter

En France, un tiers des aliments sont produits pour être jetés. Ce qui représente, pour la seule région Rhône-Alpes, plus 300 000 tonnes de nourriture envoyées à la benne chaque année. Ou au compost dans le meilleur des cas. Les raisons de cet immense gâchis sont multiples. En agriculture, il suffit parfois d'un aléa climatique, de fruits et de légumes mal calibrés ou d'une récolte trop bonne pour condamner tout ou partie d'une production. Et voir se perdre un champ de céleri ou un palox de pommes de terre, pour un agriculteur, c'est un crève-cœur. Il existe pourtant un débouché : le don en nature aux associations. Depuis des années, Claude Guillet-Revol, producteur d'œufs et de volailles au col de Clémencières, préfère « donner les petits œufs de ses jeunes poulettes à des gens qui en ont besoin plutôt que de les envoyer à la casserie »... même s'il perd de l'argent. « Avant d'être paysan, je suis citoyen », revendique-t-il. Sabine et Luc Veyron, maraîchers à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, cèdent surplus et écarts de tris à des associations comme les Restos du Cœur ou la Banque alimentaire. « Ce n'est pas régulier, explique Sabine. C'est surtout en fonction de ce que nous avons dans nos frigos et qu'on ne peut écouler à la vente. Là, nous venons de donner aux Restos du Cœur une quinzaine de caisse de radis. L'été dernier, nous leur avons fourni des tomates, des courgettes, des melons, des concombres... »
Pénurie de produits frais
En Isère comme ailleurs, le don alimentaire est orchestré à 90% par trois associations : la Banque alimentaire, les Restos du cœur et le Secours populaire. Jouant la complémentarité sur l'ensemble du territoire isérois, chacune de ces associations a ses réseaux d'approvisionnement : la Banque alimentaire collecte essentiellement les surplus de la grande distribution, les Restos du Cœur achètent de la nourriture avec les dons qu'ils reçoivent et le Secours populaire se fournit auprès des plateformes logistiques de la grande distribution. Or toutes les trois manquent dramatiquement de produits frais, fruits, légumes, œufs, viande ou produits laitiers... en quantité significative. Les associations n'ont en effet guère les moyens ni le temps de se déplacer pour un seul cageot de pommes. Et les dons en nature se font rares.
Fin novembre, la Fédération départementale des chasseurs de l'Isère a organisé des battues aux sangliers dans le Trièves, le Valmontehys et l'Oisans au profit des Restos du Cœur. Sympathique, l'initiative représente une goutte d'eau au regard des besoins en viande fraîche de l'association. Les agriculteurs ne pourraient-ils pas prendre la relève ? Certains reconnaissent qu'ils n'y pensent pas, d'autres estiment qu'ils ne peuvent pas « se rajouter une contrainte supplémentaire », d'autres enfin arguent qu'ils ne savent pas comment faire ni à qui s'adresser. « C'est vrai que cet effort peut être vécu comme une contrainte, mais il suffit de décrocher son téléphone », sourit Luc Veyron.
Réduction d'impôt
Donner n'est effectivement pas si compliqué. Plusieurs outils modernes et efficaces permettent de mettre en relation producteurs de denrées alimentaires et associations d'aide. La chambre d'agriculture régionale a récemment rédigé un Guide réglementaire et pratique des produits agricoles aux associations d'aide alimentaire (1) qui donne aux agriculteurs les clés pour s'engager dans une démarche de dons. En sept fiches pratiques, le guide fait le tour des questions esentielles (qui contacter, comment s'organiser, les réglementations à respecter...) et présente les avantages fiscaux liés aux dons en nature. En effet, comme pour les dons financiers, les entreprises qui font des dons en nature peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt à hauteur de 60% des dons et dans la limite des 5/1000 de leur chiffre d'affaires. Attention: la valeur de stock d'un produit est estimée par rapport à sa commercialisation. Si la DLUO est dépassée, aucune valorisation n'est possible.
Outils internet
Autre outil pratique, mais qui nécessite un minimum d'anticipation : la bourse aux dons. Mise en place l'an dernier par le ministère de l'agriculture, cette plateforme interactive d'échanges permet de mettre en relation les professionnels qui souhaitent donner des denrées alimentaires et les associations (ou les centres communaux d'action sociale) qui en ont besoin. Le principe est simple : on s'inscrit sur le site de la Bourse aux dons (2), on dépose une offre et les receveurs potentiels sont immédiatement prévenus. Le donneur visualise les receveurs intéressés et choisit celui avec lequel il souhaite entrer en contact. Un coup de fil et le tour est joué. « La bourse aux dons n'est là que pour du don ponctuel, explique Elisabeth Manzon de la Draaf Rhône-Alpes. La seule contrainte, c'est qu'il faut avoir anticipé son inscription. C'est rapide, gratuit, mais il faut quatre à cinq jours pour obtenir un code d'accès, le temps, pour les services du ministère, de vérifier que l'entreprise est conforme et apte à donner des denrées alimentaires. La bourse au dons, ce n'est pas le Bon coin : la sécurité alimentaire doit être garantie. »
Dernière arrivée dans la trousse à outil du donateur branché : la carte interactive. Initiative pilote de la Draaf Rhône-Alpes, cet outil cartographique permet aux donateurs de repérer, en Isère et dans tous les départements de la région, les associations d'aide alimentaire en recherche de dons et en capacité de ramasse. « L'originalité de cet outil, c'est qu'il ne se contente pas de localiser une structure à côté de chez soi, indique Elisabeth Manzon. Il donne aussi les coordonnées et les caractéristiques de la structure, le nombre de bénéficiaires, les effectifs, les possibilités de transport, les jours de disponibilité. C'est bien plus qu'un annuaire. »
Marianne Boilève
(1) Le Guide est téléchargeable sur le site de la Draaf Rhône-Alpes (draaf.rhone-alpes.agriculture.gouv.fr)
(2) alimentation.gouv.fr/bourse-aux-dons
Que peut-on donner?
Invendus, produits à date limite de consommation courte, surplus de production, écarts de tris : tous les produits frais sont les bienvenus, qu'ils soient à stocker à température ambiante, en froid positif ou en froid négatif. Seul impératif: les denrées doivent être sûres et saines. Ceux donc la date limite de consommation (DLC) est dépassée ne peuvent être donnés. Les producteurs donateurs doivent donc veiller à prendre en compte le délai entre le don et sa distribution (DLC à j-2 au minimum). En revanche, ceux dont la date limite d'utilisation optimale (DLUO) est dépassé peuvent être donnés. Pour les dons de lait, si un éleveur pense dépasser son «droit à produire annuel» (quota laitier), il peut décider de donner une partie de l'excédent à des organismes agréés, de type Banque alimentaire. «Nous sommes habilités à recevoir des dons de lait, confirme le directeur de la Banque alimentaire de l'Isère. Il faut juste que nous trouvions quelqu'un pour le conditionner. Nous pouvons participer et payer les frais de transformation et de transport. Mais comme la collecte de ces dernières semaines nous a permis de collecter 60 000 de lait, nous avons donc ce qu'il faut pour les prochains mois. En revanche, à l'avenir, nous sommes volontiers preneurs.»MB