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Portrait

Eleveur : métier passionnément transmissible

Très impliqué dans l'organisation du Concours d'élevage, Joseph Bozon achève son dernier mandat à la tête de la Société d'agriculture du canton du Grand Lemps. Mais il n'entend pas pour autant se mettre en marge du métier…
Eleveur : métier passionnément transmissible

« Joseph ? Il est à la paille ! » Pas la peine d'essayer de le joindre chez lui : Joseph Bozon n'y est pas. Ou rarement. Surtout en ce mois de juillet où l'heure est aux moissons et aux réunions de préparation pour le concours d'élevage. Certes, le jeune retraité pourrait couler des jours paisibles puisqu'il a cédé sa ferme et son troupeau il y a sept ans. Mais ça, il ne sait pas faire. Impossible de décrocher : il travaille d'ailleurs comme entrepreneur de travaux agricoles, n'hésite pas, au-delà de ses prestations, à faire quelques heures supplémentaire pour filer un coup de main à David Bouquet, le jeune qui a pris sa suite à la tête de son exploitation de Burcin. Non que le jeune éleveur ne sache pas se débrouiller, mais il est seul avec 80 vaches dont 70 en traite. Alors Joseph l'aide. « Il a 400 000 euros sur le dos et ne se paie pas de salaire, justifie-t-il. Et puis quand on voit le prix du lait aujourd'hui... » Solidarité naturelle entre deux générations que tout oppose. L'un a commencé par traire les vaches à la main, l'autre est né avec un Smartphone entre les mains. Mais comme « c'est dur » et que « ça a toujours été un peu dur, le lait », Joseph vient volontiers en appui à son jeune repreneur. « C'est un éleveur passionné, ça lui fait mal de voir que les prix vont mal. Alors il aide David moralement et physiquement », témoigne un collègue de Biol qui le connaît bien.

Filiation

Joseph Bozon a cédé son exploitation à David Bouquet, mais n'hésite pas à lui donner un coup de main quand il le faut.

 

Sans que ce soit vraiment dit – les deux hommes sont du genre taiseux quand il s'agit de parler de soi –, on sent comme un lien solide et précieux entre les deux éleveurs. Comme si David était un peu le fils que Joseph n'avait pas eu. La filiation se perçoit aussi dans le propos. « Nous somme le noyau d'une économie, d'un pays, lâche David, quand on lui demande comment il analyse la crise actuelle. S'il n'y a plus d'agriculture, il n'y a plus de vie dans les campagnes, plus de tourisme, plus rien. » Il n'empêche :au quotidien, sur l'exploitation, c'est chacun sa partie. David conduit désormais le cheptel à sa façon : « J'avais des montbéliardes, il a mis des corbillards dedans... », sourit Joseph. Mais pas question d'empiéter sur les plates-bandes de l'autre. Un équilibre qui convient bien à l'ancien éleveur de montbéliardes : il peut continuer à exercer son métier, sans en subir les difficultés. Reconnu par ses pairs pour son professionnalisme, et notamment son travail de sélection génétique, Joseph Bozon a pourtant failli tout envoyer promener en 2003, cinq ans avant de prendre sa retraite. Son frère venait de quitter le Gaec familial, il se retrouvait seul face à deux options : arrêter ou continuer. « Ça m'a pas mal empêché de dormir, se souvient-il. J'ai eu envie d'arrêter, mais quand on se retrouve au pied du mur, ce n'est pas pareil... » Il a senti le besoin de « faire un bout de chemin tout seul, avec sa femme ».

Travail de sélection

Quand David s'est installé, il était prévu que les vaches s'en aillent : « Le troupeau avait payé le crédit. » Mais les vaches sont restées : grâce à David, Joseph n'a pas eu à renoncer à cette part de lui-même, l'ossature de sa vie professionnelle, ce troupeau qu'il a patiemment constitué, année après année, sélectionnant une bête, puis une autre, et une autre encore. « Mon père avait démarré avec cinq vaches. C'était de la bricolerie. Le troupeau a grandi au coup par coup. On faisait emprunt sur emprunt. Dans les années 50, on produisait 20 000 litres. On est monté à 380 000 au moment des quotas, aujourd'hui, on en est à 580 000. » On sent de la fierté dans le propos. Cette même fierté qui a sans doute conduit l'éleveur à « prendre des petites responsabilités » tout au long de sa vie : 20 ans à la présidence du syndicat des montbéliardes, 15 à la tête de la Société d'agriculture du canton du Grand Lemps, organisatrice du comice éponyme.

Sa carrière au service de la « cause », Joseph va l'achever cette année en participant activement à l'organisation du Concours départemental d'élevage. Une jolie consécration que l'éleveur regarde avec lucidité : « Le métier, il pourrait vivre sans les syndicats de race et sans les comices. Mais ça aide à tenir, ça permet de rigoler, d'échanger sur l'avenir de la race. Et puis c'est un maillon de la chaîne de l'élevage. Celui qui a besoin d'un petit taureau pour son exploitation, il cherche des références. Les comices et les concours, c'en sont de bonnes. »

Marianne Boilève

Concours
Question d'équilbre

« Avec Joseph, ce qui est dit est dit : c'est quelqu'un de parole. Par contre, quand il faut trancher, il ne tourne pas autour du pot : il tranche. » En acceptant de co-organiser le Concours départemental d'élevage, le président de la Société d'agriculture du canton du Grand Lemps ne s'attendait sans doute pas à jouer les médiateurs entre ses deux partenaires, les Eleveurs de l'Isère, en charge de partie concours proprement dite, et Festi'Biol, qui s'occupe de l'animation et de la restauration. C'est bien pourtant le rôle qu'il endosse depuis quelques semaines. Car il y a parfois des petites dissonances entre les attentes, les manières de voir et de faire de chacun : planifier un repas festif, une féérie des eaux ou un concours de races implique des contraintes techniques et organisationnelles sensiblement différentes. D'où la nécessité d'arbitrer. « Nous avons des réunions en pagaille, avec des commissions thématiques. En général, ça se passe plutôt bien. Mais quand il faut mettre les pieds dans le plat : je n'hésite pas. Et notamment quand il y a des responsabilités à prendre, on les prend. » Et Joseph Bozon d'apaiser les petits désaccords, de faire entendre aux uns qu'il ne faut pas transformer le Concours en « usine à gaz » ou de faire comprendre aux autres l'intérêt du « relationnel » dans ce type de manifestation. « Il a un vrai talent d'organisateur, lui reconnaît un éleveur de Belmont. Avec lui, on peut toujours discuter pour trouver la meilleure façon de faire. »
MB

 

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