Elus et producteurs mobilisés pour mettre du local dans l'assiette

D'un côté l'agglomération grenobloise, un mastodonte. De l'autre, cinq territoires (1) avec des expériences parfois très poussées en matière de politique agricole, de soutien aux filières ou de protection du foncier. Entre les deux, une volonté partagée, celle de construire « une politique agricole intégrée dans le territoire, directement liée à la demande alimentaire des habitants ». Un défi relevé depuis le mois de septembre par plus de 150 pionniers qui réfléchissent aux moyens de mettre davantage de produits locaux dans l'assiette. Les résultats de leurs travaux ont été présentés le 10 décembre à Grenoble, à l'occasion d'un séminaire de restitution présentant les grandes lignes de cette toute nouvelle « Stratégie agricole et alimentaire ».
Qualifiée d'« exceptionnelle » par Philippe Pointereau, agronome expert de ces questions, la démarche engagée par les six territoires a en effet permis à différentes sphères de se rencontrer et d'échanger de façon étonnamment constructive. On a ainsi vu se parler des producteurs, des gestionnaires et des consommateurs, des agriculteurs et des non agriculteurs, des élus et des techniciens, des responsables syndicaux et des membres d'association. Plus de 200 propositions d'actions ont émergé et, chose remarquable, il semble qu'« aucun territoire [n'ait] cherché à tirer la couverture à lui », note Claudine Chassagne. Vice-présidente en charge de l'agriculture et de la forêt à la communauté de communes du Grésivaudan, l'élue à Saint-Martin d'Uriage a participé à plusieurs ateliers : « Ce qui est intéressant, c'est que nous avons enclenché une dynamique qui prend en compte tous les points de vue. Nous n'avons pas les mêmes compétences, ni les mêmes pouvoirs : chacun a sa spécificité. L'objectif est de ne pas réinventer la roue dans chaque territoire, mais de voir ce que nous pouvons mettre en commun pour avancer tous ensemble. »
Complémentarité des approches
Au cours des ateliers, un consensus s'est dégagé pour appeler à la mise en place d'une gouvernance partagée à l'échelle des six territoires et à la mutualisation des pratiques, tout en s'appuyant sur la complémentarité des approches, des savoir-faire et des systèmes (vallée-montagne par exemple). Concrètement, il s'agit d'engager des actions interterritoriales pour glisser plus de produits locaux dans l'assiette des consommateurs d'un bassin de population de 600 000 personnes. A écouter l'ensemble des élus et professionnels participant aux débats, cette préoccupation partagée n'a rien d'une lubie de bobos écolos. Derrière se profilent des enjeux cruciaux pour les agriculteurs et l'économie des territoires. Outre la préservation et l'aménagement des espaces agricoles, ont été mis en avant la création d'emplois et de valeur ajoutée non délocalisables ainsi que l'approvisionnement des habitants en « produits de qualité » de façon à préserver les ressources tout en répondant aux enjeux de santé publique. Encore faut-il s'accorder sur ce qu'on entend par qualité, ont fait remarquer certains producteurs comme Sylvie Budillon-Rabatel, éleveuse et gérante d'un magasin de producteurs, qui s'agace de voir exclusivement associés « qualité » et « bio »...
Au-delà de ces enjeux très concrets, le projet entend également faire progresser la qualité environnementale des territoires (en repensant les modes de production, la distribution, la gestion des ressources et des déchets), mais aussi sensibiliser et mobiliser les consommateurs autour de la « cause » alimentaire, mobilisation qui pourrait engendrer des effets bénéfiques en termes de cohésion sociale : faire savoir aux consommateurs où et comment sont fabriqués les produits permettrait sans doute de déconstruire de nombreux a priori sur les pratiques des agriculteurs du département.
Passer de la parole aux actes
Mais il faut faire vite. Il en va de la pérennité de nombreuses entreprises. « Que l'on passe de la paroles aux actes, a enjoint Jean-Claude Darlet, président de la Chambre d'agriculture, le 10 décembre. Que l'on arrête de servir des produits d'importation dans les cantines et que l'on mette à la place des produits locaux : ce sera une première étape pour développer les circuits de proximité. » Les abattoirs de Grenoble, la plateforme Manger Bio Isère ou la société AB Epluche, qui fournit des légumes de quatrième gamme, lancent des appels du pied aux services de restauration collective depuis des mois. Avec un succès mitigé : les gestionnaires trouvent que c'est trop cher, les cuisiniers ne savent plus travailler les produits frais... Revenant sur cette épineuse question du surcoût induit, Gérard Seigle-Vatte, élu du Pays voironnais, lâche : « Il faut savoir ce qu'on veut : si on cherche une alimentation saine et de proximité, il faut accepter de mettre quelques centimes de plus. Sinon, on importe tout et on court un risque de désertification. » La balle n'est plus seulement dans le camp des producteurs et des techniciens : elle est aussi dans celui des élus.
Marianne Boilève
(1) Le Grésivaudan, le Pays voironnais, le CDDRA Alpes Sud Isère, les parcs naturels de Chartreuse et du Vercors.
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