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Collecte du lait

En montagne, l'avenir laitier passe par la qualité

Si certains craignent que la fin des quotas laitiers signent l'arrêt de la collecte en zone de montagne, nombreux sont les producteurs qui misent sur la qualité et les marchés de niche.
En montagne, l'avenir laitier passe par la qualité

En ce vendredi soir, la neige tombe dru sur le Trièves. Jérôme Lafraise entame la collecte de lait dans le secteur. Sa tournée va durer huit heures, le temps de parcourir les 350 kilomètres qui lui permettent de faire le tour des fermes... et de livrer le lait à Vienne. Sur les routes du Trièves, de la Matheysine ou de Belledonne, que le chauffeur connaît par cœur, les kilomètres semblent plus longs qu'en plaine, surtout quand la météo s'en mêle. Qu'importe : Jérôme Lafraise aime son métier. A la tête d'une flotte de trois camions de ramassage, il écume les montagnes du département pour le compte de Sodiaal, comme son père avant lui. En homme de son temps, le collecteur a informatisé ses véhicules et géolocalisé les clients, histoire d'optimiser les tournées. « Le but du jeu, c'est de faire le moins de kilomètres tout en ramassant le plus de lait possible », explique-t-il. Une gageure, surtout en montagne où une tournée nécessite de parcourir plus de 300 kilomètres pour ramasser 30 000 litres de lait quand il n'en faut que 150 en zone de plaine. « Ce n'est pas rentable, mais Sodiaal a besoin du lait de montagne », avance le chauffeur. Un argument suffisant pour que lui-même continue la collecte ? « Oui, parce que je suis d'ici et que c'est une passion », répond-il.

Rôdé à la collecte en zone de montagne, Jérôme Lafraise peut parcourir jusqu'à 350 kilomètres en une tournée, quel que soit la météo (photo : J. Lafraise).Collecteur pour Sodiaal, Jérôme Lafraise sait que la collecte en montagne n'est pas "rentable", mais qu'elle est indispensable (photo : J. Lafraise)

Collecte en péril ?

Lundi matin, 2 février. Thierry Benoist, responsable sud-est de l'approvisionnement de Lactalis, prend à peine le temps de répondre au téléphone : il a plusieurs camions dans le fossé et deux grues de 70 tonnes qui « tournent » depuis le matin. « Ce ne sont pas les intempéries qui nous feront laisser des producteurs sur le bord de la route », assure-t-il quand on lui demande si, justement, ce genre d'incidents n'est pas propre à remettre en péril la collecte du lait en zone de montagne. Même après la fin des quotas ? Apparemment... Le plus curieux, dans l'affaire, c'est que le lait ramassé par Lactalis à prix d'or n'est pas valorisé comme lait de montagne : il est mélangé avec le reste de la collecte. « Il n'y en a pas assez pour rentabiliser une ligne UHT », argue Thierry Benoist.

Choix éthique

On retrouve la même problématique avec le bio. Le Gaec des Vorsys, à Saint-Martin-de-Clelles, produit 330 000 litres de lait bio chaque année. Mise à part une petite partie valorisée en tant que tel par la laiterie du mont Aiguille, tout est collecté en conventionnel par Danone. Une aberration qui s'explique par le fait que la coopérative Biolait, à laquelle adhère le Gaec des Vorsys, ne peut envoyer un camion dans le Trièves. Cela étant, la laiterie coopérative compense la différence de prix chaque mois, ce qui permet au Gaec d'atteindre 410 euros les mille litres : « C'est un choix éthique de la part de Biolait, pour ne pas pénaliser ses adhérents », témoigne Christian Ville, l'un des deux associés du Gaec. Il faudrait en effet produire trois millions de litres de lait bio pour rentabiliser une collecte spécifique dans le secteur. On est loin du compte. « Nous avons fait des tentatives pour convaincre les producteurs de lait de se mettre au bio, mais seuls deux se sont convertis. Ce n'était pas suffisant. C'est pour cela que nous nous sommes lancés dans la transformation sur place. Aujourd'hui, cela nous permet de valoriser 60 000 litres de notre production. »

Au Gaec des Vorsys (Isère), le lait bio n'est pas collecté comme tel : il est ramassé comme du lait conventionnel par Danone (photo : C. Ville).

Marchés de niche

Pour Christian Ville comme pour nombre de ses collègues installés en zone de montagne, l'avenir laitier de ces régions souvent difficiles d'accès passe par la qualité. C'est pour eux la seule manière de résister au rouleau compresseur annoncé par la fin des quotas. « Nous avons un avenir laitier si nous nous positionnons sur la qualité et les marchés de niches, estime Christian Ville. Sinon, nous ne sommes pas trop bien placés pour faire de l'intensif. » A l'appui de son propos, le cas des producteurs qui livrent leur lait à de « petites » laiteries, comme Vercors lait, la fruitière Domessin ou la coopérative d'Entremont, à des conditions autrement plus intéressantes que chez Lactalis ou Danone. Eleveuse à Saint-Laurent-en-Beaumont et élue à la chambre d'agriculture, Valérie Séchier appelle ses collègues à s'organiser : « Avec la fin des quotas, nous savons que nous allons vers l'inconnu. Il faut que l'on s'organise au sein des OP pour élaborer des stratégies. Il y a un vrai enjeu : ce n'est pas aux industriels de décider quel producteur sera collecté sur quel bassin. » Sauf si la seule logique économique l'emporte.

Marianne Boilève