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Economie

Entre crise et reprise, les entreprises naviguent encore à vue

Le gouvernement veut y croire et les chiffres sont (presque) là : en France, les clignotants de l'activité économique semblent se mettre au vert. Alors que la loi Macron pour la croissance et l'activité est examinée par les députés, la reprise pointerait-elle enfin le bout de son nez ? Enquête en Isère.
Entre crise et reprise, les entreprises naviguent encore à vue

Méthode Coué ou réelle perspective d'embellie ? En ce mois de janvier, les projections économiques pour 2015 s'éclaircissent. En Rhône-Alpes, « l'activité dans l'industrie et les services semble se consolider » et « les carnets de commande s'étoffent », indique le dernier point de conjoncture régionale de la Banque de France. En prise directe avec le terrain, le directeur commercial du Crédit mutuel Sud Est confirme avoir « beaucoup d'activité depuis le 1er janvier, même en agriculture » : « On sent un dynamisme qui n'existait pas l'an dernier, ni l'année encore avant », confie Hervé Faivre. Un souffle d'optimisme conforté par quelques bonnes nouvelles à l'international, à commencer par les baisses de l'euro et du prix du baril de pétrole, ainsi que par la récente annonce du plan Juncker (315 milliards d'euros d'investissements publics et privés libérés au niveau européen).

Les freins se desserrent

Dans l'Hexagone, le mouvement s'est amorcé à l'automne. L'Insee évoque une croissance mollassonne dans la zone euro (+ 0,2%), « avec une quasi stagnation en Allemagne et en Italie, alors que l'activité en France s'est révélée un peu plus dynamique que prévu, et que la reprise s'est confirmée en Espagne ». « Les freins se desserrent un peu », analyse l'Institut national de la statistique. Concrètement, l'accès au crédit des PME françaises (hors TPE) progresse, mais « dans un contexte de demande toujours faible » (2). En clair, 79% des PME obtiennent totalement ou en grande partie les crédits de trésorerie demandés (contre 68% il y a un an), et le chiffre s'élève à 93% en ce qui concerne les crédits d'investissement. Donc, sur le front des statistiques, ça frémit.

Du côté des acteurs économiques, les choses sont un peu plus compliquées. Entre les faits objectifs (progression de 16% des « procédures collectives », autrement dit des redressements judiciaires et des liquidations en septembre 2014 pour le Crédit mutuel Sud-Est) et les « ressentis » plus ou moins optimistes des uns et des autres, difficile d'affirmer que la reprise est là. Ou pas. Au Crédit agricole Sud Rhône-Alpes, on reconnaît que « les trésoreries sont tendues », mais on ne constate pas d'explosion des défauts de paiement. Le « taux de défaillance » des entreprises régionales est même l'un des plus bas de France. A la Banque populaire des Alpes (BPA), on parle d'une « ambiance morose », sauf dans le secteur agricole : « On n'a jamais autant prêté, affirme Loïc Guitton, directeur de secteur à la BPA. L'exercice 2014 est très bon. »

Navigation à vue

Ailleurs, c'est encore la soupe à la grimace. Les secteurs les plus touchés sont ceux du bâtiment et des travaux publics, le commerce de proximité et l'hôtellerie-restauration. Une enquête de conjoncture de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CGPME), réalisée mi-novembre, indique que « le climat des affaires s'est détérioré », et s'est même particulièrement « dégradé dans le commerce et le bâtiment ». Toujours selon cette même enquête, « 91% des patrons de PME estiment que le climat des affaires ne devrait pas s'améliorer dans les mois à venir ». La plupart disent toujours « naviguer à vue ». Une situation compliquée, que les banques prétendent « accompagner » de leur mieux. « L'activité fonctionne par à-coups, explique Christian Rouchon, directeur général du Crédit agricole sud Rhône-Alpes, banque leader sur le marché régional. Les chefs d'entreprise n'ont aucune visibilité. Leurs chiffres d'affaires sont très erratiques et se réalisent dans des conditions chaotiques. Mais du côté des banques, le volume des crédits consentis aux entreprises augmente plus vite que la croissance économique. » Pour appuyer son propos, le banquier évoque une augmentation de 5% de l'ensemble des crédits accordés en 2014, contre une croissance de 0,4% du produit intérieur brut.

Manque de réactivité

Mais alors pourquoi les chefs d'entreprise ont-ils le sentiment de « faire face à un manque de soutien du secteur bancaire » (3) ? Quand on leur pose la question, les banquiers ont beau jeu de démontrer qu'ils soutiennent leurs clients, même si certains avouent parfois un manque de réactivité. « Il est vrai que parfois, nous ne décidons pas assez vite, reconnaît Christian Rouchon. Le problème vient de ce que le dossier ne passe pas bien dans les grilles habituelles et qu'il nous faut dix jours au lieu de trois pour donner une réponse. » Du côté des clients, la perception est un peu différente : « L'an dernier, nous devions nous mettre au norme pour les silos, raconte un éleveur laitier dans le secteur de Saint-Marcellin. La banque a traîné, nous nous sommes retrouvé à découvert de 20 000 euros. Moi, je l'ai mal vécu. » Ce qui n'empêche pas les enseignes d'affirmer qu'elles soutiennent les « projets de qualité », notamment ceux qui sont audacieux, pertinents (nouveaux débouchés par exemple) ou innovants. «  Les consignes sont claires : il faut y aller, déclare Loïc Guitton. L'originalité ne nous fait pas peur. Mais dans le cas d'entreprises en difficulté, quand on voit les choses se dégrader d'année en année, forcément, la discussion avec le client se complique. » Même son de cloche au Crédit mutuel : « Nous accompagnons les clients que nous connaissons bien, même s'ils rencontrent des difficultés, prétend Hervé Faivre, directeur commercial du Crédit mutuel Sud Est. Mais on ne peut pas soutenir les entreprises qui n'ont pas de perspectives. » Christian Rouchon estime pour sa part que le Crédit agricole « assure au maximum », mais que ses troupes « ne peuvent pas avancer à l'aveugle ». Pour les trois experts, le soutien d'un projet passe par la présentation d'un dossier bien pensé, avec chiffres, prévisionnels et business plan à la clé. « Parmi les opérations que nous faisons aujourd'hui, beaucoup sont destinées à améliorer le fonctionnement de l'entreprise, témoigne le directeur du Crédit agricole. Il peut s'agir d'un nouvel équipement pour améliorer la qualité ou pour économiser des coûts de fonctionnement par exemple. Si le dossier est bien étayé sur le plan économique, nous suivons facilement. » Du coté de la Banque de France, on confirme : si les « fondamentaux » sont là, les banques iséroises jouent le jeu. Une nouvelle bonne à prendre.

Marianne Boilève

(1) Note de conjoncture de décembre 2014.

(2) Enquête trimestrielle de la Banque de France (décembre 2014).

(3) Enquête de conjoncture de la CGPME (novembre 2014).

 

BTP et commerce de proximité : pourquoi ça déraille ? Analyse à retrouver sur terredauphinoise.fr

 

Isère : terre promise... à une belle année ?

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Fondé il y a 150 ans, ARaymond fait partie de ces entreprises iséroises innovantes qui ont su tirer leur épingle du jeu et se développer à l'exportation. (Crédit ARaymond)
L'Isère a trois atouts « colossaux » : c'est une voie de passage, une terre d'innovation et un département exportateur net. En ces temps de baisse de l'euro, ce dernier détail a son importance. « Les entreprises qui exportent ne peuvent que voir leur activité soutenue », prédit Christian Rouchon, directeur général du Crédit agricole sud Rhône-Alpes. Une analyse qui vaut également pour l'agriculture, du fait notamment de la crise ukrainienne et de l'embargo russe. Pour les autres entreprises, à commencer par celles qui innovent ou se trouvent de nouveaux débouchés, 2015 ne s'annonce pas mal non plus. Les carnets de commande se remplissent, lentement mais sûrement. A la Banque populaire des Alpes, on voit « ressortir des projets que l'on pensait enterrés » : « C'est la preuve que les gens reprennent confiance », estime Loïc Guitton, qui ajoute : « 2015 ne verra pas d'embellie immédiate. Nous allons rester sur une situation de taux et d'inflation plate. Mais les perspectives sont favorables, notamment parce que des projets innovants et de nouveaux marchés, comme la rénovation des bâtiments ou l'isolation, émergent. » Les banquiers voient également d'un bon œil les « phénomènes de renégociation » des crédits immobiliers qui, s'ils rognent sur leurs propres marges, dégagent du pouvoir d'achat pour les ménages, mais leur permet aussi de capter, voire de fidéliser, une nouvelle clientèle. « Depuis septembre, on sent une reprise de l'investissement sur des biens un peu plus importants, comme l'automobile. Et ça continue en ce début 2015 », se réjouit Hervé Faivre, du Crédit mutuel Sud Est. Pour un peu, on croirait voir le bout du tunnel...