Entremont-le-Vieux, un village de montagne sauvé par... les vaches

La cloche de l'église bat le rappel en douceur. Celles des vaches qui broutent dans le pré au-dessus lui répondent paisiblement. En contrebas, la cour de l'école résonne de rires et de cris d'enfants. Jour ordinaire à Entremont-le-Vieux, village au destin peu ordinaire. Avec son bourg et ses 26 hameaux satellites, Entremont, 650 habitants (et 200 résidences secondaires), revient de loin. Situé en Chartreuse, à une demi-heure de Chambéry, le village aurait facilement pu devenir un village-musée ou une commune résidentielle pour urbains en mal d'espace, naturellement vert et non pollué. Mais il a résisté.
Il y a une vingtaine d'années, lorsque les élus se sont penchés sur le plan d'occupation des sols, il leur aurait été facile de céder aux sirènes de l'urbanisation : 60 hectares étaient potentiellement constructibles... « Ça, ça a été un choc pour tout le monde », se souvient Daniel Perrin, ancien adjoint en charge de l'urbanisme et président de la coopérative des Entremonts. Dans le même temps, tout le monde constate que, le nombre d'exploitations se réduisant comme peau de chagrin (une dizaine actuellement), les paysages de la vallée des Entremonts se ferment : la broussaille et la forêt ne cessent de gagner du terrain du fait de l'abandon de certains secteurs par les agriculteurs, que ce soit pour des questions d'accessibilité ou d'approvisionnement en eau. Difficile en effet de faire passer un tracteur sur un petit chemin muletier...
Ne pas perdre son âme
Partant de là, les élus se demandent comment développer le village sans perdre son âme. Une réflexion s'engage. En Chartreuse, pour dynamiser une commune et rouvrir des paysages, il n'y a pas 36 solutions. « Il fallait maintenir de l'activité en remettant de l'agriculture près des villages et en confortant les exploitations en place, car c'est l'agriculture qui permet d'entretenir les paysages », explique le maire, Jean-Paul Claret. Pour cela, il faut un outil qui motive tout le monde. Entremont a la chance d'en posséder un : la coopérative laitière construite en 1935 par les paysans du village.
Soutenus par l'intercommunalité, qui a compétence pour l'agriculture et la gestion de l'espace, les élus construisent donc une série d'actions en partenariat avec les agriculteurs. Des zones à enjeux sont définies et de grosses opérations de défrichement sont lancées, les exploitants s'engageant à entretenir les espaces ainsi rouverts. « Les paysages font partie de notre patrimoine, souligne le maire. Cette opération a profité aux éleveurs, bien sûr, mais aussi aux activités touristiques qui ne peuvent pas faire bon ménage avec un urbanisme débridé. »
Travailler sur place
Hébergement, camping, auberge, musée de l'ours des cavernes (construit juste en dessous de la coopérative), artisanat d'art et activités de loisirs en tout genre (ski, randonnée, balade à dos d'ânes...) se sont ainsi développés, permettant aux habitants de vivre et travailler sur place. Sur ce cercle vertueux se sont également greffés des commerces et des services (production de viande et de fromage en vente directe, entreprises du bâtiment, paysagiste, horticulteur, scierie...) qui participent au dynamisme local. Au cœur de ce dispositif, la « Sica », le magasin de vente attenant à la coopérative, est peu à peu devenu un « lieu incontournable » tant pour les gens de passage que pour les habitants qui se plaisent à venir y faire leurs courses autant que faire se peut. « On ne peut pas se fournir pour tout à la Sica, mais on y trouve pas mal de chose : c'est un bon complément », apprécie cette jeune femme active qui a le sentiment que le cœur du village s'est un peu déplacé de ce côté-ci du torrent.
Cette alchimie réussie a permis aux élus de faire preuve d'une ultime audace : lors de la révision du plan local d'urbanisme, en 2014, 57 hectares potentiellement constructibles ont été supprimés et rendus à l'agriculture, les possibilités d'urbanisation étant resserrées autour des hameaux existants. Un tour de force qui a fait grincer quelques dents sur le moment, la décision contrariant certains projets et les terrains perdant de leur valeur foncière théorique. Mais l'équipe municipale a assumé et mené un patient travail de pédagogie, expliquant inlassablement que « l'avenir de la commune passe par un urbanisme maîtrisé dans le temps ». Un discours d'autant plus facile à tenir qu'il se traduit de convaincante manière dans le paysage. Dans la vallée des Entremonts, bon gré mal gré, chacun a fini par en prendre conscience et sait qu'il est un petit maillon de ce bel équilibre. Et que celui-ci tiendra tant que tout le monde jouera le jeu du local.
Marianne Boilève
« Le coup de génie, c'est qu'on invente nos produits »


La coop en chiffres
La coopérative des Entremonts collecte 4,5 millions de litres de lait auprès de 27 coopérateurs d'Isère et de Savoie, installés dans le périmètre de la communauté de communes Cœur de Chartreuse, qui s'inscrit elle-même dans le parc naturel de Chartreuse. Payé 430 euros la tonne au producteur, le lait collecté est transformé tout au long de l'année par cinq opérateurs (dont un fromager). Avec 450 tonnes de fromage produites chaque année, la coopérative génère un chiffre d'affaires de trois millions d'euros. La production est commercialisée pour partie par la coopérative, pour partie (15%) par le magasin de vente attenant. Celui-ci est géré sous la forme d'une société d'intérêt collectif agricole (Sica), ce qui lui permet de vendre les produits de coopérative, ainsi qu'une large gamme de produits locaux. La « Sica » attire ainsi plus de 40 000 personnes chaque année.