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Conditions de travail

Et si on parlait du travail d'agriculteur ?

Entretien avec Josiane Voisin, ergonome, auteur d'une étude* réalisée avec le service santé sécurité au travail de la MSA Ardèche Drôme Loire, qui retrace l'activité de plusieurs exploitants et témoigne des difficultés et des solutions qu'ils ont trouvées pour mieux vivre leur travail. Qu'est-ce que la profession d'agriculteur aujourd'hui et comment se construit une bonne santé au travail ?
Et si on parlait du travail d'agriculteur ?

Pourquoi réaliser une étude sur le métier d'agriculteur et la santé au travail ? Comment l'avez-vous menée pour « coller » à la réalité du terrain ?

« A l'origine, un groupe d'agricultrices qui participaient à des ateliers et des formations sur le stress témoignaient que, malgré tout ce qui pouvait être fait par ce biais-là, il y avait encore dans les campagnes des gens qui n'allaient pas bien.
La caisse centrale de la MSA s'est emparée du sujet et a souhaité se pencher sur le métier même d'agriculteur qu'on ne connaît finalement pas si bien. Nous avons donc mené une étude auprès d'éleveurs. Les entretiens et observations ont été faits en gardant toujours le même objectif de « coller » à la réalité du terrain. Certains thèmes qui méritaient d'être creusés, comme les notions d'astreinte, de remplacement, de prise de décision... ont été approfondis avec les exploitants en fonction de leur expérience et de leur réalité. Ils ont été associés à chaque étape de l'étude et ils ont pu valider et com¬pléter les restitutions qui étaient faites ».

Quelles sont les différentes facettes du métier d'agriculteur, qu'est ce qui fait sa particularité ?

« C'est une question essentielle. D'une façon générale, les différents aspects du travail d'agriculteur ne sont pas suffisamment valorisés. Le travail d'agriculteur comporte des tâches dites « opérationnelles » (le labour, la traite, la récolte...). C'est un travail qui exige des compétences fortes et qui couvre des champs d'activité très divers.
Mais, il y a aussi d'autres facettes du métier oubliées par l'en¬vironnement agricole et par les exploitants eux-mêmes, ou mises au second rang. C'est le rôle de dirigeant et de cadre.
Le travail de pilotage qu'effectue l'exploitant en tant que dirigeant couvre les prises de décisions stratégiques, les choix d'orientations... C'est ce qui fait que ça va marcher ou pas.
C'est un aspect moins visible du travail de l'agriculteur. Il est pourtant essentiel et il peut devenir un véritable casse-tête si l'exploitant ne prend pas le temps nécessaire pour réfléchir.
L'agriculteur fait des choix importants pour son exploitation : le biologique, l'intensif, l'utilisation de matériel collectif, la sous-traitance, l'emploi de salariés... Ce sont souvent des réflexions qu'il va mener seul, tout en faisant autre chose, en conduisant le tracteur, en soignant les animaux. Il se dit « on va s'en débrouiller... ».
À ces deux casquettes se rajoute celle du cadre, celui qui met en oeuvre, organise. Tout repose sur la même tête. Si l'exploitant rencontre des pro-blèmes, il risque de ruminer, de se replier sur lui. D'où l'intérêt des réseaux et des appuis extérieurs car, échanger peut aider à trouver des solutions et à simplifier les choses ».

Quelles sont les difficultés qui ressortent concrètement ?

« La difficulté majeure qui ressort, c'est la surcharge de travail des exploitants et la difficulté qu'ils ont à « couper ». Il n'y a, dans les exploitations, que des excuses pour travailler tout le temps : les animaux, la météo...Cela engendre une réelle fatigue. Certains n'ont plus la capacité à prendre du recul pour piloter.
Il n'est pas facile de couper, cela engendre de la culpabilité, des difficultés à déléguer mais il faut y travailler. Car l'homme n'est pas fait pour travailler tout le temps.
Les solutions ne sont pas les mêmes pour tous. On n'a pas tous besoin du même type de coupure. Pour certains, ce sera partir un week-end de temps en temps, pour d'autres une de¬mi-journée plus fréquemment, une heure de marche tous les soirs avec son chien, une heure de lecture de bon matin... L'essentiel est de se détacher du travail de l'exploitation, de trouver des bouffées d'air... A chacun de trouver ce qui lui va.

Pourquoi parler du travail des exploitants au travers d'un film et d'une réunion d'échange ?

« On parle rarement du travail dans les exploitations agricoles. On parle technique, rendement, on échange avec des conseillers, mais on ne parle pas du travail. Or, il y a des choses qui coincent et les exploitants sont peu accompagnés sur ce registre. Le travail, c'est une valeur forte pour eux, c'est même encore un sujet tabou. On n'a pas le droit de se plaindre dans les fermes et on a du mal à dire « je suis débordé ». Or, les agriculteurs ont besoin de parler entre eux du travail.
Le film, qui sera diffusé à l'occasion de ces réunions-débats, est un point de départ aux échanges. Les agriculteurs peuvent se donner des idées, partager avec leurs collègues sur les ressources qu'ils ont trouvées ou sur les éléments qui représentent encore des difficultés».

 

* « Bien vivre le métier d'agriculteur »

 

Ardèche Drôme Isère Conseil Elevage et la MSA organisent deux journées à destination des éleveurs laitiers sur la thématique du travail en élevage les 9 et  15 novembre prochain respectivement à Tournon (07) et la Côte St André (38) avec ses partenaires des chambres d'agriculture.
Téo Lannié, CCMSA images
Ces journées seront articulées autour de la projection d’un film documentaire, suivi d’un débat animé par Josiane Voisin ergonome. Une large place sera consacrée aux témoignages d’éleveurs lors d'ateliers thématiques.