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Installation

Ferme communale de Jarrie: la vie de château

Soucieux de maintenir une activité agricole dans le domaine du château de Bon Repos, l'équipe municipale de Jarrie a monté un projet de ferme communale. Les "Pêcheurs de légumes", un trio de maraîchers bio, ont mordu à l'hameçon. Premières récoltes prévues au printemps prochain.
Ferme communale de Jarrie: la vie de château

L'ombre tutélaire du château de Bon Repos plane sur les « Pêcheurs de légumes ». Installée en 2013, la jeune Earl (exploitation agricole à responsabilité limitée) spécialisée en maraîchage bio s'apprête à lancer ses premières productions dans le domaine de Bon Repos, propriété de la commune de Jarrie. Betteraves, oignons nouveaux, poireaux, salades, radis et carottes sortiront de terre au printemps. « Nous allons cultiver 1,25 hectare en pleine terre la première année et 1 000 m2  de légumes sous serre », annoncent Natacha Martinez, Alexandre Guerle et Vincent Poncet, les trois « fermiers communaux » qui, après des mois de travaux et de démarches administratives, voient enfin leurs efforts récompensés.

L'histoire de cette toute jeune ferme communale commence en 2009, lorsque la commune de Jarrie décide d'installer sur une partie du domaine de Bon Repos une exploitation agricole « respectueuse de l'environnement et privilégiant les débouchés locaux ». Constitué de 25 hectares de terrains agricoles attenants, dont 14 utilisés par un centre équestre, le site présente la particularité de devoir concilier vocation agricole, enjeu touristique et démarche environnementale. Avec ses quatre tourelles d'angle, le château, classé monument historique, attire en effet de nombreux visiteurs, mais aussi une avifaune rare (choucas des tours, chouette effraie, chevêche d'Athéna, faucon crécerelle...) qui lui a valu de devenir refuge LPO (1) en 2010. L'équipe municipale, qui souhaite maintenir une activité agricole sur le site tout en préservant sa valeur patrimoniale et écologique, recherche donc un profil d'agriculteur capable de s'adapter à ces contraintes. Mais elle veut aussi que la ferme communale profite aux administrés. Il faut donc que l'exploitant accepte de commercialiser en circuit court, en priorité auprès des habitants de Jarrie.

Projet solide

Lancée en 2009, la démarche aboutit trois ans plus tard, le temps d'acquérir le foncier nécessaire. Un appel à projet est lancé. Au printemps 2012, un comité de pilotage composé d'élus et de techniciens de la chambre d'agriculture reçoit cinq dossiers. Celui des « Pêcheurs de légumes » séduit par sa pertinence et son sérieux. Agés d'une trentaine d'années, les trois membres de la petite équipe sont tous en reconversion professionnelle : Natacha est juriste de formation, Alexandre et Vincent ont suivi des études agricoles. « Au départ, nous voulions acheter une petite ferme, mais nous n'avions pas les moyens », confie Alexandre. Aussi, lorsqu'ils voient passer l'appel à projet de la mairie de Jarrie, avec l'atout de la location par bail, les 3,8 hectares labourables, le demi-hectare pouvant recevoir 3 500 m2 de serres, le tout appuyé sur des bâtiments en voie de rénovation, les trois associés font acte de candidature. Banco : les « Pêcheurs de légumes » sont retenus. « Ils avaient le projet le plus solide du point de vue économique, avec un fort potentiel, qui répondait bien à nos attentes, tant du point de vue de la production que de la protection du site », explique Jean-Pierre Aubertel, adjoint à l'environnement de Jarrie.

Pour les trois jeunes agriculteurs, l'affaire est presque trop belle. Les terrains proposés par la commune sont d'un seul tenant, l'eau ne manque pas, notamment grâce au réservoir des Chaberts alimenté par les sources de Bon repos, et le corps de ferme proprement dit est en cours de rénovation. Les travaux sont menés de concert avec les maraîchers afin que les aménagements répondent à leurs besoins. Salle de lavage, stockage, bureaux, espace de vente, tout est pris en charge par la commune. Quant aux clients, ils sont tout trouvés : outre les habitants de Jarrie, très intéressés par une vente de légumes bio à deux pas de chez eux, le bassin grenoblois constitue un fort potentiel de clientèle. De fait, côté investissements, l'effort consenti par l'Earl se monte à 100 000 euros, pour financer les serres, l'irrigation et l'achat de matériel.

Droit de regard

Revers de la médaille : le site étant classé, il faut déposer un permis de construire pour les serres... et composer avec les contraintes environnementales, notamment la présence des choucas. « Le château de Bon Repos représente la plus grande colonie de l'Isère. Il va falloir trouver un moyen pour qu'ils ne mangent pas nos graines... », convient Alexandre en scrutant le vol noir des oiseaux au dessus des champs. Autre inconvénient dont les Pêcheurs de légumes doivent s'accommoder : « Nous ne sommes pas chez nous : la mairie a toujours un droit de regard sur notre activité ». Un moindre mal, vu que le projet correspond aux attentes de la commune, y compris dans ses prolongements futurs. A terme, la production maraîchère devrait en effet être complétée par des cultures de safran, de plantes aromatiques et de légumes anciens, ainsi que par une activité de transformation (conserve). Les Pêcheurs de légumes envisagent également la création d'une Amap (association pour le maintien d'une agriculture paysanne) et d'un site internet pour permettre aux clients de composer leur propre panier. Reste à récolter les premiers légumes.

Marianne Boilève

(1) Un refuge LPO (Ligue de protection des oiseaux) est un terrain dans lequel le propriétaire s'engage à préserver et à valoriser la nature. Il en existe près de 20 000 en France.

 

 
Ferme communale : une formule pour préserver les terres agricoles... et aider les jeunes à s'installer
Une collectivité peut acquérir des biens agricoles, voire les améliorer et faire des travaux, pour les mettre à disposition d'un jeune agriculteur. En maîtrisant tout ou partie du foncier et du bâti, elle maintient ainsi une activité agricole sur son territoire. Les terrains concernés peuvent être identifiés au cours du travail d'élaboration du PLU. Chaque commune peut choisir la formule qui lui convient le mieux (ferme communale, ferme relais...) : il n'existe pas de règles générales de fonctionnement.
Si elle choisit de créer une ferme communale, la commune installe un « gérant » et conserve le patrimoine qu'elle a acquis. Mais Hervé Weisbrod, de la chambre d'agriculture, prévient : « Dans ce type de projet, la question qui se pose toujours est de savoir s'il faut d'abord entreprendre les travaux ou s'il faut commencer par recruter le candidat. L'important est de penser le projet en terme de transmissibilité. Il ne faut pas séparer les terrains du bâtiment. »
Pour le jeune installé, la ferme communale présente deux avantages : le problème du foncier est résolu (pas d'achat de terres ni de bâtiment) et la mairie, soucieuse de justifier ses investissements auprès de ses administrés, se fait gratuitement relais de communication.
MB