Fusion interdépartementale : un Guiers plus vif que mort

Elles ont tellement envie de se marier. Elles portent déjà – ou presque - le même nom. Les communautés de communes savoyardes de Val Guiers, du lac d'Aiguebelette et l'Iséroise Vallons du Guiers regroupent 45 communes et 37 000 habitants. Le Guiers les sépare. Saura-t-il demain les rapprocher, en dépit de la préconisation du Schéma départemental de coopération intercommunale (SDCI) isérois qui rattachait de préférence les Vallons du Guiers aux Vals du Dauphiné ?
Le rendez-vous de la dernière chance s'est déroulé jeudi dernier en préfecture de l'Isère, en présence du ministre de l'Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales, Jean-Michel Baylet.
Au mois d'avril, les partisans de ce rapprochement interdépartemental avaient, une nouvelle fois, été déboutés par la préfecture de l'Isère, qui a rejeté leur amendement (1).
La situation est devenue très complexe quand la Savoie, de son côté, s'est prononcée pour un regroupement de ce bord d'Isère avec l'Avant-pays savoyard.
Ces deux visions de l'Etat, différentes d'une rive à l'autre du Guiers, ne sont pas tenables. C'est la raison pour laquelle, d'ici mi-juin, « une solution devra être trouvée pour sortir de l'impasse », ainsi que le rapporte Robert Charbonnier, président de la Communauté de communes Val Guiers (Savoie).
Convoitée
On mesure les enjeux territoriaux : des rapprochements souvent logiques qui s'opèrent parfois au détriment des intérêts d'autres secteurs. Du statut d'isolée, dans le schéma départemental, la communauté de communes des Vallons du Guiers est passée au rang de collectivité convoitée, par les Savoyards d'un côté, par les Vals du Dauphiné de l'autre.
Les tenants d'un Territoire de Guiers ne sont pas à cours d'arguments. De nombreux syndicats mixtes pilotent déjà des services communs comme les déchets ménagers ou l'assainissement. Les collectivités gèrent ensemble des équipements au-delà des limites administratives (lycées, collèges, hôpitaux).
Les acteurs économiques avancent une coopération de longue date, un réel vœu démocratique s'est exprimé et il existe une cohérence géographique. Pour les élus désireux de fusionner avec la Savoie, lever le frein départemental permettrait de rationaliser les moyens et favoriser la structuration de la ville centre Pont-de-Beauvoisin.
D'autres rétorquent que le projet de fusion de la commune de Pont-de-Beauvoisin a du mal à se concrétiser.
Il y a aussi une logique iséroise qui préfèrerait voir les Vals du Dauphiné se renforcer. Le territoire est en effet soumis à une forte pression du côté de la Capi et du sud lyonnais.
Bassin de vie
Le monde économique n'est pas resté indifférent au débat. De nombreux acteurs sont venus porter main forte aux élus défenseurs du projet de fusion. « Il y a un vrai bassin de vie, qui se construit depuis des années », indique François Carre, qui a initié le mouvement du côté des entreprises.
Un des poumons économiques est la zone artisanale de Baronnie située à Pont-de-Beauvoisin, côté Savoie. Elle draine plus d'un millier d'emplois.
En Isère, ce sont les communes d'Aoste et de Chimilin qui concentrent le plus d'activités économiques et d'emplois, ainsi que les Abrets-en-Dauphiné.
François Carre, décrit une zone de chalandise et d'activité économique qui s'est structurée autour des Vals et des Vallons du Guiers.
D'autant que le redécoupage territorial peut être influencé par le désir des Abrets, depuis leur fusion avec La Batie-Divisin, de quitter Bourbre-Tisserands pour se rapprocher du Pays voironnais. Ce qui ne laisserait entre les Vallons du Guiers et les Vals du Dauphiné qu'un seul petit morceau de territoire limitrophe à la Bâtie-Montgascon. « Comment peut-on développer un territoire morcelé ? », interroge l'entrepreneur.
Le poids des enjeux économiques n'est donc pas étranger aux positions des parties. Ils peuvent se résumer à savoir à quelle intercommunalité échoiront les zones économiques d'Aoste et de Chimilin.
En attendant, le développement n'en sort pas gagnant. « Des projets, notamment dans la zone de Baronnie sont au point mort, car on ne sait pas ce qui va se passer ». L'entrepreneur défend une vision sur le long terme et ne veut pas rater le train des évolutions dans les années futures.
Energie gaspillée
Au cœur de cette bataille d'Hernani, le projet du méthaniseur d'Aoste est une fois de plus au ralenti. Climat politique et problèmes techniques ne plaident guère en faveur de l'avancée du dossier. Pourtant ce projet innovant est un exemple de coopération interdépartementale puisqu'il réunit 43 éleveurs de Savoie et d'Isère.
Mais qui se souci d'agriculture dans ce territoire qui porte pourtant une forte empreinte rurale ? « Le monde agricole ne fait pas partie du débat, constate une élue. Une fusion ne mettra pas le prix du lait au niveau de la Savoie. Le malaise est bien plus profond et les agriculteurs ne seront pas mieux payés. »
Elle a passé du temps et de l'énergie pour faire aboutir ce projet de fusion interdépartementale, mais dit son amertume face au manque de soutien politique du département de l'Isère. Quant aux agriculteurs : « c'est à eux de rebondir sur les avancées de la société, sans tenir compte des débats politiques ».
Sébastien Poncet, président des JA Isère et du projet Aoste Métha terre, à la tête d'une exploitation à La Bâtie-Montgascon confirme : « il n'y a pas plus d'enjeux agricoles que ceux qui limitent les appellations de l'autre côté du Guiers. » Le prix du lait n'est pas près de traverser la rivière et « ce n'est pas fait que les savoyards nous acceptent. » Le reste est surtout politique.
« Il faut laisser la démocratie aux élus », plaide Gérard Seigle Vatte, le président des élus ruraux de l'Isère. Il estime que l'Etat devrait laisser jouer son rôle au bassin de vie.
« Nous avons le sentiment d'avoir été écoutés », déclarent enfin Michel Serrano, le maire de Pont-de-Beauvoisin (Isère) et Robert Charbonnier.
Isabelle Doucet
(1) Amendement porté par les élus locaux (excepté trois communes des Vallons du Guiers, c'est-à-dire le Aoste, Granieu et Chimilin) pour modifier le SDCI de l'Isère et création d'une CC Vallons du Guiers et Avant-pays savoyard.
Entreprises /
La chocolaterie de Marlieu : une halte à mi-chemin
La chocolaterie de Marlieu a passé 100 ans à La Tour-du-Pin. Elle s'est installée il y a cinq ans dans la zone industrielle Grand Fontaine à Chimilin, 20 kilomètres plus loin en direction de la Savoie. « Cela n'a rien changé. C'est trop récent », estime son dirigeant, Pierre De Parscau. Il ne mesure pas encore l'impact que pourrait avoir une fusion interdépartementale des communautés de communes sur son activité et considère la problématique surtout politique.
« Nous travaillons sur toute la France, pas mal en région Rhône-Alpes et beaucoup en Isère. » Il se décrit « comme une petite PME dauphinoise » et revendique son ancrage territorial. « Nous essayons de travailler en local quand nous le pouvons, depuis les emballages jusqu'aux matières premières, comme les noix, en passant par nos catalogues. Cela donne du sens à ce que nous faisons. Nous avons d'ailleurs reçu le trophée « Mon entreprise crée de la valeur ajoutée » décerné par la chambre de commerce, pour notre capacité à créer un cercle vertueux entre notre activité de producteur, les consommateurs et les collectivités. Nous privilégions l'emploi local, la fabrication locale et la consommation locale. » Un parti pris auquel sont sensibles les collectivités, la chocolaterie réussissant à se positionner sur des appels d'offres publics.
L'entreprise emploie 15 salariés permanents et jusqu'à 80 en saison, c'est-à-dire pour les périodes de Noël et de Pâques, pour un chiffre d'affaires supérieur à 3 millions d'euros. En termes de notoriété, elle rivalise avec les Jambons d'Aoste ou les Brioches Pasquier puisqu'elle est l'entreprise la plus visitée lors des Journées portes ouvertes organisées par la CCI Nord-Isère.
Le bâtiment neuf de 4 200 m2 est visible et accessible depuis l'autoroute A43. Si bien que les grands jours de migration, les vacanciers coincés dans les bouchons s'arrêtent volontiers. Petite et performante, véritable gardienne d'un savoir-faire, elle fait partie des fleurons entre Vals du Dauphiné et Vallons du Guiers.ID