Gardiens du patrimoine avicole

N'allez pas confondre : Arnaud, Jean-Claude, Julien ou Guy ont la passion des pigeons, mais ils ne sont pas colombophiles pour autant. Leur goût pour l'élevage d'espèces rares et remarquables les propulsent au rang de « colombiculteurs », et non pas de simples amateurs de pigeons voyageurs. La différence est de taille. Car les colombiculteurs assurent la délicate mission de préserver un patrimoine génétique avicole qualifié de « magnifique » par Guy Lazzaroni. L'homme, intarissable sur les alouettes de Cobourg, ces pigeons à l'œil vif et aux jolis tons pastel, préside avec simplicité l'Union avicole de l'Isère. Sa flamme pour les pigeons, née alors qu'il était enfant, ne l'empêche pas d'être lucide. « Lorsque la passion de nos éleveurs s'éteindra, les races s'éteindront avec eux », prévient-il avec tristesse. Un tel propos pourrait faire sourire. Il ne fait que révéler la fragilité d'un édifice qui ne tient que grâce à la ferveur d'une poignée d'aviculteurs bénévoles, tout entiers dévoués à la cause des demi-bec bernois, des postiers rouge cendré écaillé et autres ailes colorées de Saint-Gall bleu barré.
Voyage
Il suffit de se rendre dans une rencontre d'envergure nationale pour comprendre l'intérêt du phénomène. En février dernier, l'Union avicole iséroise organisait sa 68ème exposition nationale à Beaucroissant. Bien au chaud à l'abri du gymnase du village, des centaines de volatiles et de lapins de compétition y ont vu défiler amateurs et curieux, venus admirer des spécimens hors du commun. La simple lecture du catalogue de l'exposition est un voyage : capucin hollandais, culbutant danois, triganino shietto, boulant de Norwich, combattant indien, brahma perdrix maillé doré... La déambulation entre les cages tient du spectacle vivant. L'exposition accueillant le championnat de France des pigeons de races suisses, le championnat régional des pigeons texans et le challenge régional des lapins de Vienne, les animaux rivalisent de plume, de poils... et de gloire.
Ça cocoricote, ça glougloute et ça caquète de tous les côtés. On flâne au milieu des tourterelles rieuses, des pigeons caronculés, cravatés et tambour, des poules, des pintades, des palmipèdes et des lapins venus de France et des quatre coins de l'Europe, d'Asie et d'Amérique. Ici, une alouette de Cobourg barré picore avec curiosité sa fiche de jugement (le jury aurait souhaité une « couleur des rémiges plus en harmonie avec celle des barres »). Là, un elmer thurgovien se laisse gentiment caresser. Plus loin, un combattant indien acajou s'impatiente, l'air maussade, bien moins causant que ses voisins, les javas coucou, les pékins bleus ou les faveroles allemandes saumoné-foncé.
Conservation de la race
Superbes, tous ces oiseaux, et les lapins qui leur tiennent compagnie le temps de cette biennale avicole, sont le fruit d'un long et patient travail de sélection, conduit par des éleveurs amateurs, retraités ou actifs. Ces aviculteurs ont une caractéristique commune : ils ne tirent aucun revenu de leur élevage. Ce qui les motive, c'est la conservation et l'amélioration des races pour lesquelles ils se passionnent. En Isère, ils sont une soixantaine d'adhérents au sein de l'Union avicole. La plupart ont la tempe grisonnante ou le cheveu chenu, au grand regret de Guy Lazzaroni : « Nous avons un peu de mal à faire entrer des jeunes », reconnaît le président. Il y en a pourtant qui, comme Arnaud Besson, jeune éleveur de Saint-Quentin-en-Isère, ont attrapé le virus du pigeon cravaté ou du figurita bleu barré. « J'ai repris le flambeau de mon beau-père, confie le jeune homme, imprimeur de métier. Ça représente de l'argent et du temps, notamment pour rechercher les meilleurs sujets. Mais qu'importe ? Ce qui m'intéresse, c'est de préserver la race et son patrimoine génétique. »
Parfois, l'aventure débute comme un simple passe-temps. Roger Ferrand, éleveur de fauve de Bourgogne à Saint-Victor de Cessieu, a commencé à s'intéresser aux lapins au moment de la retraite, « pour s'amuser », dit-il. Rapidement, le jeu est devenu passion. A force de recherches et d'échanges avec les autres éleveurs, Roger a appris à maîtriser les formes, les couleurs, la longueur des oreilles. « Nous travaillons ensemble pour avancer dans la conformité de la race, explique-t-il. Peu à peu, nous arrivons à obtenir des sujets parfaits Avant, c'était plus amateur. Il y a avait plus de différences entre les lapins. Aujourd'hui, le moindre petit défaut, ça vous coûte 0,5 points ! » Lors des concours, le jury est en effet sans pitié. La fourrure d'un fauve doit être parfaitement uniforme, ni enfumée ni marbrée (les poils blancs sont enlevés à la pince à épiler...). La longueur des oreilles doit être comprise entre 11,5 et 13 cm. Quant au poids, il doit osciller entre quatre et quatre kilos et demi. Ni plus, ni moins. Que deviennent les animaux non conformes ? « Les beaux, nous les vendons pour la reproduction, indique un éleveur. Ceux qui ne sont pas jolis, on les mange... »
Marianne Boilève
Le challenge rhônalpin des lapins de Vienne
Le lapin de Vienne a aussi son heure de gloire à Beaucroissant. Une soixantaine de spécimens, blancs, bleus, gris ou noirs, sont venus concourir pour le challenge régional, finalement remporté par Jérôme Ballet, éleveur à Montcarra. Le lapin de Vienne, un bel animal au corps musclé, à la tête large, particulièrement docile, est « animé d'un caractère agréable », soulignent les membres du Club français du lapin de Vienne. Basé à Montcarra, en Isère, le club réunit les éleveurs soucieux de travailler à l'amélioration et à l'extension de cette race de lapin originaire d'Autriche.
Des Suisses en Isère
Organisé à l'occasion de l'exposition nationale avicole de Beaucroissant, le championnat de France des pigeons de races suisses a permis de réunir 160 sujets dans de nombreuses races, démontrant, s'il en était besoin, la belle diversité des races helvétiques. Cette année, nul Isérois dans le palmarès. Mais la région Rhône-Alpes s'en tire honorablement, puisque c'est un demi-bec bernois rouge originaire de Saône-et Loire qui décroche le titre suprême au championnat, emportant également le grand prix de la ville de Beaucroissant.• Grand champion : demi-bec bernois rouge à Laurent Godin (éleveur en Saône-et-Loire).
• Champion groupe Bernois : coucou bernois queue bleue à Laurent Godin.
• Champion groupe Thurgoviens : thurgovien farine barré à Michel-André Girard (éleveur à Chavornay, Suisse)
• Champion groupe Lucernois : lucernois unicolore jaune cendré écaillé à Alain Seletto (éleveur Valeyres, Suisse)
• Champion groupe spéciaux : demi-bec bernois rouge à Laurent Godin
• Prix d'élevage : postier rouge cendré écaillé à René Dautel (éleveur en Moselle)