Hommes et noyers abattus

La détresse se lit dans les yeux. Certains sont fixes, d'autres sont rouges, au bord des larmes. Tous les producteurs se sentent groggies. Laurent Wauquiez, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a visité lundi matin l'exploitation de Vincent Caillat à Beaulieu. Le jeune homme vient de s'installer il y a deux ans, comptant sur l'assise d'une noyeraie replantée après la catastrophe de 1982 encore dans la mémoire des plus chevronnés. Pour d'autres, celle de 2008 sert aussi de référence même si elle était de moindre ampleur.
Vincent Caillat vient d'investir dans un beau bâtiment afin d'y loger du matériel de triage et séchage à son usage mais aussi en prestation de service. Les 700 arbres couchés vont lui manquer dans l'équilibre de son entreprise. Car ils avaient 35 ans, la force de l'âge pour un noyer en production. Un de ses collègues, Nicolas Bossu-Picat installé avec Jean-Paul Fayard à Vinay, a lui aussi 600 arbres à terre et 300 penchés. « On ne sait pas ce qu'ils vont devenir, explique-t-il. On peut en redresser certains, mais c'est du cas par cas et la remise en production est progressive ». Alors le moral n'y est pas.
A Saint-Antoine-l'Abbaye, Damien Philibert, arboriculteur installé depuis trois ans devait avoir sa première récolte fruitière. L'orage l'a détruite presque entièrement. Il lance un appel à don sur un site de financement collaboratif. Reportage de France 3 Alpes.
Milliers d'arbres à terre
Mais que dire de l'exploitation de Christian Bofelli à Montagne, non loin de Saint-Bonnet-de-Chavagne ? 15 hectares plantés en trois ans, 100 000 euros investis pour le lavage des noix en 2018, 150 000 euros en 2019 pour du matériel de séchage après récolte, alors que 600 arbres sont déracinés et 400 destabilisés. Et que la production a été anéantie à 100% dans cette exploitation dont 25 hectares sont en production. « N'oublions pas qu'avec de tels phénomènes, la récolte de l'année est concernée, mais également celle de l'année d'après », souligne Yves Borel, président du CING au ministre Didier Guillaume, lors de la visite au pas de course des parcelles touchées. Car les bourgeons fruitiers de l'année suivante se forment maintenant. Le ministre ne veut pas être aussi pessimiste et même si on le sent affecté par ce qu'il a vu durant ces deux jours de terrain en Drôme et Isère, il souhaite amener un discours d'encouragement. « La force des paysans, c'est d'être debout » et même s'il n'annonce rien, il assure que l'Etat sera là aux côtés des acteurs de la filière. Les premières estimations devraient remonter dans les prochains jours, dès que les assureurs auront été contactés par les agriculteurs.
Si on sait que la procédure va être longue, Laurent Wauquiez, lui, se veut plus pugnace et annonce débloquer dès la prochaine session (le 21 juin) une enveloppe de cinq millions d'euros en faveur d'une aide d'urgence. Mais cette somme concerne toutes les filières et tous les départements touchés par cet épisode météorologique.
Le ministre fait une analyse de la situation : pragmatisme et organisation nécessaires. (5 minutes, images de l'Agriculture Drômoise). Visite de Didier Guillaume dimanche matin)
Agonie
Jean-Claude Darlet, président de la chambre d'agriculture de l'Isère rappelle que cette catastrophe peut désorganiser toute la filière. Yves Borel avance même le chiffre de « seulement 30% de la production commercialisable » et considère que « l'AOP est à l'agonie » s'appuyant sur la concurrence féroce que mènent les Chiliens et les Américains avec des noix de qualité. Car manquer de marchandise, c'est ne pas être présent sur les marchés exports et donc perdre vraisemblablement une place. Et la noix ne rassemble pas seulement des producteurs mais aussi des collecteurs, des transformateurs dont l'impact sur l'économie locale est important. Laurent Wauquiez souligne la qualité de la noix de Grenoble. Il ne veut pas voir les producteurs baisser les bras et considère que le premier geste écologique est de produire et de vendre des noix locales plutôt que de les faire venir à traverser les océans, alors que les conditions de production ne sont pas les mêmes.
Cet impact économique et humain n'échappe pas à Alexandre Escoffier, membre du bureau de la FDSEA de l'Isère. Il souligne « la dimension économique au premier chef, mais également le retentissement sur les hommes et les femmes de la filière, que ce soit en noix ou dans les autres productions, élevage ou fruits et légumes. Les conséquences psychologiques et morales doivent être suivies de près. Nous serons là pur les accompagner et demander des décisions de solidarité auprès des banques, de la MSA ou des collectivités locales ou de l'Etat ».
Jean-Marc Emprin
Photo 1 (crédit Eric Greffe-Fonteymond) : Arbres et branches arrachées ont vite pris de la place au sol après l'orage. (Tullins)
Photo 2 et 3 : A Montagne, des pans entiers de la colline ont été soufflés. Le chemin communal a été complètement obstrué. (Phto lundi matin, lors de la visite de Didier Guillaume.
Photo 4 (Crédit Franck Michel, Coopenoix): Si les arbres ne sont pas tombés, la récolte est à terre, les feuilles aussi. (Beaulieu)
Photo 5 : A Montagne les maïs sont en piteux état.
Photo 6 (crédit Eric Greffe-Fonteymond) : Tullins : les fibrociment ont mal résisté aux grêlons.
Photo 7 (crédit Eric Greffe-Fonteymond) : Tullins. Les maïs commençaient à monter, mais auront du mal à repartir.
Photo 8 et 9 (Crédit Franck Michel, Coopenoix) : Les grêlons auraient pu être meurtriers au regard de leur taille.
Photo 10 : Le ministre s'est rendu chez Christian Boffelli, qui a perdu toute sa récolte 2019 et 600 arbres.
Photo 11 : Visite de Laurent Wauquiez dans l'exploitation Caillat à Beaulieu.
Photo 12 : De nombreux élus, les représentants de la profession (chambre d'agriculture, FDSEA, Confédération paysanne) de nombreux producteurs ont assisté aux discours chez Christian Boffelli.