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Il fait du blanc avec du vert

Dominique Lachenal a reçu la médaille d'or de l'académie d'Agriculture pour son parcours scientifique sur le blanchiment propre de la cellulose.
Il fait du blanc avec du vert

Quand Dominique Lachenal parle de cellulose, tout paraît simple. C'est l'apanage des grands chercheurs : parvenir à rendre accessible le fruit d'une vie de travaux scientifiques.

 

Dominique Lachenal, professeur à Grenoble-INP Pagora.


Ce professeur de l'école papetière Grenoble-INP Pagora, dont il a été directeur jusqu'en 2008, est ingénieur chimiste de formation. Ses travaux de recherche sur la chimie du bois, et donc de la cellulose et de la lignine, ont permis des avancées significatives pour les industries de la pâte à papier. C'est donc l'ensemble de sa carrière qui a été récompensé d'une médaille d'or décernée en octobre 2015 par l'Académie d'Agriculture de France.

Blanchir propre

Les recherches de Dominique Lachenal se sont déroulées en plusieurs étapes. En tant que chimiste, il s'est tout naturellement penché sur l'extraction de la cellulose. « Le bois est composés de 40% de cellulose, de 30% d'un produit y ressemblant, l'hémicellulose, et de 30% de lignine », rappelle le professeur. « Pour extraire la cellulose et obtenir des fibres, il faut retirer la lignine. La lignine est un produit peu réactif, qui sert à protéger la cellulose ou l'arbre ». Les travaux de Dominique Lachenal s'attachent dans un premier temps à retirer la lignine « de la façon la plus écologique possible. On savait comment procéder depuis longtemps, mais avec des procédés polluants ».


Une fois les fibres de cellulose obtenues, celles-ci revêtent encore la couleur marron si caractéristique du papier kraft. « Car il reste de la lignine », indique le professeur.
La deuxième étape de la carrière du chercheur portera donc sur le blanchiment du papier avec des procédés propres ou bleaching. Et les résultats ont été au rendez-vous. « Les enjeux sont que la production de cellulose croît dans le monde. L'industrie papetière est en plein essor avec 1 à 1,5 point de croissance annuelle. Les applications sont bien sûr le papier d'impression, dont le marché continue à progresser dans les pays en voie de développement, alors qu'il est en retrait dans les pays développés. Le secteur de l'emballage représente quant à lui la moitié du papier produit dans le monde : les cartons, le packaging alimentaire tirent l'industrie du papier vers le haut. Le troisième secteur en fort développement est le papier à usage sanitaire et domestique », détaille Dominique Lachenal.

Dompter l'ozone

Il se construit ainsi une usine de pâte à papier par an au Brésil, d'une capacité de 1,5 million de tonne par unité, c'est-à-dire l'équivalent de la production de la France. Cette industrie est fortement consommatrice de produits chimiques, notamment de dioxyde de chlore destiné au blanchiment du papier. Le chlorate, fabriqué à Jarrie en Isère, a d'ailleurs pour seule application l'industrie papetière. « Les enjeux sont donc forts, qui consistent à remplacer le chlorate par de l'oxygène », reprend le scientifique.

Les grands industriels de la chimie ne sont pas restés insensibles à la problématique, contribuant aux travaux de recherche. « Le blanchiment à l'oxygène existe depuis les années 70. Son procédé a été inventé à Grenoble Pagora, explique celui qui a été un de ses principaux contributeurs. Mais il est nécessaire de combiner l'oxygène avec de l'eau oxygénée et de l'ozone. Dans le monde, des usines ont franchi le pas de l'utilisation de ces trois réactifs. Les résultats des recherches sont connus. L'ozone est le réactif qui présente le plus haut potentiel. Cependant, il abîme la cellulose. »

 

 
C'est l'objet de la thèse de Frédéric Pouyet qui a mené ses travaux à Pagora sous la direction de Dominique Lachenal. Son objet : éviter que l'ozone ne dégrade la cellulose. Les travaux ont notamment porté sur la maîtrise des coûts de cette technologie verte, l'industrie n'étant prête à franchir un pas technologique qu'à coût et qualité égale. Les travaux du jeune chercheur ont été couronnés du prix de l'Ingénieur de demain, décerné par le magazine Usine nouvelle. Un coup double pour Pagora qui s'est fortement investie dans le blanchiment... du papier. Au terme d'un développement qui a pris près de 20 ans, le procédé est désormais maîtrisé.

A coût égal

Reste à faire venir les industriels dans le champ de l'application de cette nouvelle technologie. « La législation actuelle permet encore l'utilisation de dioxyde de chlore. Il n'y a pas d'incitation. Pour passer, cette technologie doit être la moins chère. » La principale difficulté réside dans la production d'ozone, qui est un gaz qui ne se stocke pas. En cas de panne de générateur, l'usine s'arrête, « d'où le besoin d'avoir deux ozoneurs ». Pas très économique.
Pour contourner la difficulté, les chercheurs se sont rapprochés de l'industrie textile, la cellulose du coton étant proche de celle du bois. Ils ont plus particulièrement ciblé les industries à haute valeur ajoutée (nanocellulose, intissés, acétates de cellulose). Comparés aux produits pétroliers, ces matériaux sont réputés verts, à condition qu'il n'aient pas été traités au chlore, d'où le virage de cette industrie vers les procédés à l'ozone. Et les papetiers ne sauraient rester les seuls pollueurs.

Exploiter la biomasse

Fleuron de la recherche au service de l'industrie papetière, Pagora ne cesse de réinventer le bois. Mais pour Dominique Lachenal, en France, la filière bois et la biomasse sont sous-exploitées. « Il serait possible de mieux faire en bois d'œuvre, et que le marché soit mieux structuré pour que la France soit riche de son bois ». Il plaide pour des modèles d'usines intégrées, où, après avoir extrait la cellulose, la lignine serait récupérée pour en faire des produits chimiques. C'est d'ailleurs le sens qu'il a donné à son discours à l'académie d'Agriculture. « J'ai parlé de ma vision de la bioraffinerie d'avenir à partir d'exemples de papeteries industrielles », explique le chercheur.

Isabelle Doucet

 

Ingénierie papetière

Une école unique

L'école d'ingénieurs Pagora est l'héritière de l'Ecole française de papeterie (EFP) créée en 1907 par l'Union des fabricants de papier. Membre du groupe Grenoble INP, cette Ecole internationale du papier, de la communication imprimée et des biomatériaux prend le nom de Pagora en 2008. « Les métiers de la papeterie sont spécifiques et avaient besoin d'ingénieurs avec de solides formations en génie des procédés et dans la conception des machines », explique Dominique Lachenal, qui en a été directeur jusqu'à la fusion des six écoles d'ingénieurs grenobloises.
Les travaux des étudiants portent sur la biomasse.
Depuis quelques année, l'école s'intéresse de très près à la valorisation de la biomasse à partir du bois. Bien sûr la pâte à papier en fait partie, « mais il existe beaucoup d'autres applications », mentionne le chercheur. 
Pagora est la seule école du papier en France et une des plus importantes d'Europe avec l'Université technologique Helsinki (Finlande), qui possède un département papier. Elle accueille environ 350 étudiants : des ingénieurs en formation, deux licences professionnelles, une année de spécialisation Post master et 40 doctorants. Mais sur la batterie d'étudiants qui préparent des thèses sur la biomasse, seuls une poignée s'intéressent spécifiquement au papier.

 

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