" Il faut que les exploitants vivent de leur travail"

Le premier PAEN isérois pouvait-il concerner un autre territoire que celui qui s'étend autour du Pays voironnais ? Taillé pour répondre aux questions foncières en régions périurbaines, ce programme correspond en effet aux attentes d'un secteur où la pression sur les terres interroge au quotidien. Le périmètre concerne neuf communes et s'étend sur une superficie de 3 170 hectares, l'élevant au rang d'un des plus grands PAEN de France. Il réunit trois fortes collectivités : la communauté de communes du Pays voironnais, la Métro et le Conseil général, porteur du projet.
L'élément déclencheur à la mise en place de ce périmètre est sans doute le premier dossier d'indivision qu'a eu à traiter la communauté de communes du Pays voironnais. Au terme d'un parcours adjudicatif, la collectivité a acquis 17 hectares de surfaces agricoles pour un montant de 340 000 euros, une opération menée en 2010 via la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), qui a exercé son droit de préemption. Les terrains ont ensuite été loués sous forme de baux ruraux à cinq exploitants agricoles choisis parmi 21 candidatures. En 2011, le cas de figure se présente à nouveau, mais à une échelle beaucoup plus conséquente. La succession Séguier d'Agoult concerne en effet 140 hectares et s'assortit d'une préemption de la Safer et du déblocage, par les collectivités, d'une enveloppe de 1,7 millions d'euros. « Ce sont des enjeux importants et le Pays voironnais porte le risque », insiste Jean-Paul Bret, son président. Sur 115 hectares de surface agricole stricte, seuls, pour l'instant, une trentaine a été allouée en dur et une cinquantaine en convention précaire, en raison des contentieux en cours et de la finalisation de projets portés par les agriculteurs. « La priorité a été donnée aux installations, aux circuits courts, bio ou non, confie Jean-Paul Bret qui voit, dans cette lourde opération, l'occasion de diversifier la production agricole en s'orientant vers des exploitations vivrières, à proximité des grandes agglomérations où il existe des besoins alimentaires. » Alors pour l'élu, les objectifs du Pays Voironnais ne diffèrent en rien de ceux des agriculteurs.
Calendrier électoral
Pour autant, la communauté a saisi l'opportunité d'un PAEN pour cesser de travailler au cas par cas, n'être pas seule à porter de tels dossiers et surtout « stopper la spéculation foncière. Que les terres agricoles se vendent au prix agricole et que nous n'ayons plus à intervenir ! » assène Jean-Paul Bret. « Le PAEN a été mis en place pour cela et non pour faire marcher les agriculteurs au pas ! » Selon le président de la communauté de communes, le plan a été largement élaboré en accord avec les agriculteurs, les maires des communes concernées et la chambre d'agriculture.
Alors d'où vient le malaise ressenti par les agriculteurs depuis cet été ? Une accélération dans le calendrier ? « Il a été scrupuleusement respecté », rétorquent les élus. « Si on veut que ce dossier existe alors, il faut tenir compte du rythme électoral », remarque néanmoins Eric Grasset, le vice-président de la Métro en charge de l'agriculture. Le malentendu a percé lorsque les communes ont eu à délibérer sur l'acceptation du périmètre. Outre le fait que deux d'entre elles, Veurey et surtout Moirans, se sont éloignées de la procédure, les agriculteurs et les maires ont découvert, à ce moment-là, une imposante note relative au plan d'action. « Lors de la dernière réunion en préfecture, (ndlr : le 19 avril 2013) le périmètre a été défini et les maires devaient le mettre en délibération en conseil municipal. Personne n'avait compris qu'à la fin du document, il y aurait le cahier des charges porteur des grandes orientations. Juridiquement, le PAEN est un document de trois pages : il y a donc un gros décalage avec la notice jointe de 21 pages. Il y est abordé des sujets comme le prix du foncier, l'agriculture de proximité, les aires de pique-nique : on est en zone agricole, il n'a jamais été prévu d'y tracer des sentiers de randonnée ! », regrette Christiane Genève, élue de la chambre d'agriculture et membre de la commission de concertation. « On a l'impression que tout est calé du côté des élus. Une prise de conscience de leur part est donc nécessaire. Leur impératif, ce sont les élections. Or, les agriculteurs ne partagent pas ce même impératif politique. Ils veulent prendre le temps nécessaire pour mettre en place les mesures et le cahier des charges. C'est le premier PAEN. La vitesse nuira à la qualité », insiste l'agricultrice.
Car ce qui était inscrit doit encore faire l'objet de négociations pour le monde agricole. « Ce que demande la société au monde agricole est de produire ce que souhaite consommer la société. Mais la priorité reste que les agriculteurs puissent en vivre. On ne fait pas de PAEN pour aller vers des difficultés », explique Eric Grasset, qui raisonne en termes de bassin, mesurant l'intérêt pour l'agglomération grenobloise que représente un tel périmètre, qui s'étend de Tullins jusqu'à Sassenage. Mais l'équilibre économique semblerait encore plus difficile à définir que le périmètre. « On nous demande d'exploiter des terres selon les orientations politiques des élus. Or, c'est l'économie qui prime : il faut que les exploitants vivent de leur travail. La plaine est concernée, mais la plaine nourrit le coteau », insiste la représentante du monde agricole. Une quarantaine d'agriculteurs sont même venus manifester leur inquiétude à ce sujet, lors de l'inauguration de la foire de Beaucroissant, le week-end dernier, provoquant l'ire du vice-président du conseil général, Christian Nucci.
Equilibre économique
Autre point de crispation, le sujet des expropriations et de la préemption. « C'est bien de protéger les terres agricoles, mais qui a modifié leur affectation à l'origine, avec les changements de PLU, de Scot et autres plans ? Les agriculteurs ne font confiance qu'à la Safer. S'il y a un besoin, c'est la Safer qui sera maître d'ouvrage », insiste l'élue de la chambre d'agriculture. Pour Eric Grasset, il est logique que la convention cadre qui lie la Safer et le conseil général intègre le PAEN, lors de son renouvellement ou dans le cadre d'un avenant. Car les interrogations portent sur les montages financiers à venir et la question de la création d'un établissement public foncier (EPF).
Si le monde agricole en appelle à la concertation en demandant des garanties au regard du plan d'action et de la gestion du foncier, du côté des collectivités, c'est le rétropédalage. A commencer par le conseil général. « Il n'appartient pas aux collaborateurs de fixer, de rédiger, de préparer des textes qui ont une dimension politique », affichait Christian Nucci, conseiller général délégué à l'agriculture, en rappelant que si le département, de par la loi, est porteur de l'initiative, celle-ci doit être conduite en partenariat. « Il n'y aura pas de distribution de documents qui n'auraient pas reçu l'aval des différents partenaires ». Du côté du Pays Voironnais, on pointe plutôt un problème de procédure. « Pour être soumis à enquête publique, le dossier comporte des éléments de rédaction qui peuvent donner l'impression que l'ensemble est ficelé », explique Jean-Paul Bret, pour lequel la concertation se poursuit tout au long de l'élaboration du programme d'action ; un travail qui s'inscrit sur le moyen terme. Mais le maire de Voiron, Roland Revil, rappelle tout de même quelques grands principes : « lorsque la collectivité apporte un accompagnement économique au monde agricole, il est normal qu'il y ait des contreparties ». Pour l'élu voironnais, ce programme, résultat d'un travail collaboratif, s'accompagne d'un droit de regard sur les productions. Une nouvelle réunion avec le comité de pilotage aura lieu le 24 septembre. D'ici là, les parties auront sans doute su se parler. « Il est logique et sains que des questions se posent et qu'il y ait des négociations », fait d'ailleurs remarquer Eric Grasset.
Isabelle Doucet
MOIRANS / Gérard Simonet, le maire de Moirans, conteste la forme prise par le PAEN et défend une autre manière de protéger les terres agricoles.
« Le PAEN ne servira à rien aux vrais agriculteurs »
« Je ne suis pas un anti PAEN », assure Gérard Simmonet, le maire de Moirans, qui refuse que toutes les terres communales intègrent le PAEN. Et il y en a beaucoup. Moirans, c'est en effet 2 000 hectares, avec plus de 70% de terres agricoles recevant des activités de nuciculture, céréalières et de maraîchage. « Nous avons aussi de très bonnes terres alluviales », insiste le premier magistrat. Sur le fond, il n'est pas contre le PAEN qu'il qualifie de « démarche honorable ». Sur la forme, il s'interroge sur la possible récupération de ce programme, strate supplémentaire d'un millefeuille administratif dont il estime qu'il sert plus l'écologie que l'agriculture. « Le PAEN ne servira à rien aux vrais agriculteurs. Ce n'est pas le bon outil pour protéger l'agriculture ». Il ne jure que par le Plan local d'urbanisme (PLU), grâce auquel, il a d'ailleurs réussi à rendre 200 hectares cultivables dans sa commune. Son seul regret : que la loi SRU n'ait pas introduit plus de rigidité pour encadrer les espaces agricoles.ID
Un PAEN, c'est quoi ?
Pour conserver les espaces agricoles périurbains, la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a créé un nouvel outil dont la gestion revient aux départements : les Périmètres de rotection et de mise en valeur des espaces agricoles naturels et périurbains (PAEN). Sa mise en ?uvre repose sur deux principes : celui de l'adoption d'un périmètre de protection ainsi que d'un programme d'action par les communes concernées.
Le périmètre est délimité suivant un plan parcellaire. Il est accompagné d'une notice décrivant l'état initial des espaces, la motivation de leur choix et les objectifs en termes agricole, forestier et environnemental. Le plan d'action précise les aménagements et les orientations de gestion.