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Productions

Noix, vins et fromages, le trio gagnant

Entre la noix de Grenoble, le bleu du Vercors-Sassenage, le saint-marcellin et ses différents vins, le département de l’Isère est riche d’une tradition agricole.

Reconnue comme la première AOC fruitière de France, la noix de Grenoble a obtenu son appellation dès 1938. Son aire géographique couvre 259 communes dans trois départements dont 183 en Isère, 47 dans la Drôme et 29 en Savoie. Depuis son implantation, qui a fait suite à la culture de la vigne ravagée par le phylloxéra, la production a subi des hauts et des bas, au gré des aléas climatiques (épisodes de gel, de grêle, tempêtes…) qui se sont succédé et qui ont marqué la zone. Sur le plan commercial aussi, la production a été confrontée à des difficultés, avec des périodes où les cours étaient corrects, d’autres où ils étaient très élevés, puis où ils se sont effondrés.

Producteur à Beaulieu engagé dans la filière, notamment au sein du Comité interprofessionnel de la noix de la noix de Grenoble (CING), Alexandre Escoffier concède qu’« il y a certainement eu un temps où les producteurs se sont reposés sur leurs acquis, sur cette AOC devenue AOP (Appellation d’origine protégée). Mais depuis quelques années, il y a une prise de conscience, notamment des plus jeunes, et ils sont à nouveau investis dans la filière, prêts à se battre pour leur produit ». Ces dernières années durant lesquelles ils ont cumulé calamités et effondrements de prix, les ont incités à se rassembler et à davantage se structurer. Ainsi, ils ont travaillé à la création d’une association des producteurs de noix du Sud-Est et d’une noix de France, qui rassemble des producteurs de noix de Grenoble, du Périgord et du Cher. « L’État nous a incités à mettre en œuvre cette initiative, afin qu’il ait un représentant lors des échanges et négociations que nous avons avec lui », souligne le producteur.

Aujourd’hui, la filière est confrontée à de nombreux enjeux. « Nous connaissons des années assez compliquées à cause du réchauffement climatique, qui amène maladies et ravageurs. Il faut que nous puissions réaliser certains traitements, car nous devons avoir une production irréprochable sur le plan qualitatif. C’est ce qui nous permettra de tirer notre épingle du jeu », revendique Alexandre Escoffier, qui dit pouvoir compter sur l’appellation.

Démarches fastidieuses

Le saint-marcellin a obtenu son Indication géographique protégée en 2013, après de nombreuses années de démarches lancées par la profession. « Nous avons commencé à nous intéresser à ce sujet dès le début des années 1980. Nous voulions protéger le lait qui servait à produire le saint-marcellin, car nous étions inquiets de voir qu’il était fabriqué dans d’autres territoires de France, à moindre coût, raconte Bruno Neyroud, président du Cism (Comité interprofessionnel pour le saint-marcellin). Mais nos démarches furent longues et fastidieuses ». Initialement, les producteurs de lait voulaient que le petit fromage rond soit protégé par une appellation d’origine protégée. Un de leurs premiers succès fut la création du Cism en 1994, puis d’une CVO (Cotisation volontaire obligatoire) en 1997, qui leur a permis d’obtenir des financements pour poursuivre leur action. Ensuite, ils ont multiplié les démarches auprès de l’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité), pendant des années… Mais en 2006, Bruno Neyroud, pleinement engagé dans ce processus, en a eu assez. « On ne pouvait pas continuer ainsi. Il manquait toujours quelque chose pour que notre demande aboutisse. C’est à ce moment-là que nous nous sommes dirigés vers l’Indication géographique protégée. Nous avons appris bien plus tard que depuis les années 2000, l’organisme ne voulait plus accorder d’AOC à des fromages qui n’étaient pas à 100 % en lait cru », se souvient Bruno Neyroud. Pour finaliser leur demande d’IGP, les producteurs ont conservé le cahier des charges qu’ils avaient construit pour l’AOC et ont défini la zone de production (1). Le saint-marcellin a obtenu son IGP en 2013, « après des années de dur labeur, de rebondissements et de demandes complémentaires ». Aujourd’hui, le producteur installé à Varacieux, dans le Sud-Grésivaudan, se satisfait de la protection et de la reconnaissance acquises. « Grâce à ce label, nous avons maintenu, voire augmenté nos volumes. Nous avons des débouchés. Des producteurs nous ont rejoints. Notre produit profite d’une belle image en Auvergne-Rhône-Alpes et sa notoriété grandit partout en France. Cet IGP garantit des conditions d’élevage des animaux et de production de fromage de qualité. (2) Nous sommes fiers que notre fromage soit, au même titre que la noix de Grenoble et le bleu du Vercors-Sassenage, emblématiques de l’Isère », avance Bruno Neyroud.

La vie en bleu

Le fromage bleu du Vercors-Sassenage a repris des couleurs au tournant des années 90, sauvé par quelques agriculteurs du massif du Vercors. La filière comprend aujourd’hui 57 agriculteurs. Elle a vu, au cours des 15 derniers mois, l’arrivée de onze jeunes qui se sont installés dans les exploitations. Cela représente 20 % de l’effectif de producteurs. La production compte une coopérative, Vercors lait, qui rassemble 34 exploitations et a produit 434 tonnes en 2024. Il y a aussi dix producteurs fermiers, qui ont produit 83 tonnes l’an passé, la production totale s’établissant à 517 tonnes. Elle était de 39 tonnes en 1998, 171 tonnes en 2006 et 365 tonnes en 2016 (3). Fin janvier, en quittant la présidence de la coopérative Vercors lait qu’il a occupée pendant 18 ans, Paul Faure pouvait avoir l’esprit tranquille et affichait la satisfaction d’avoir relevé, avec les producteurs laitiers du Vercors, un important défi. Redresser une filière, relever une coopérative, reconquérir des marchés : la route a été très longue, semée de défis, mais aujourd’hui, l’outil de production, « victime de son succès », cherche du lait.
Le Bleu du Vercors-Sassenage est un fromage bleu au lait de vache qui a obtenu en 1998 son Appellation d’origine contrôlée (reconnaissance nationale) et en 2001 son Appellation d’origine protégée (reconnaissance européenne). La zone AOP est entièrement incluse dans le périmètre du Parc naturel régional du Vercors. Trois races de vaches de montagne sont autorisées dans le cahier des charges, la montbéliarde, l’abondance et la race locale patrimoniale la villard-de-lans ou villarde, obligatoire dans tous les troupeaux des exploitations en AOP à raison de 3 %. Cette race à très petit effectif, sauvée à partir des années 70, dispose d’un plan de sauvegarde et compte aujourd’hui environ 500 femelles. Les villardes ont une robe couleur froment en portent des cornes en lyre.

Le fromage à pâte persillé est fabriqué selon des méthodes traditionnelles de transformation. Les éleveurs, la coopérative et les producteurs fermiers ont pris des engagements forts pour conserver tradition, savoir-faire et qualité. Enfin, depuis 14 ans, le Vercors s’expose au Salon de l’agriculture, emmené par le Parc naturel régional. Le stand fait la promotion de sa vache villard-de-lans, de son cheval du Vercors de Barraquand et de son fromage, le bleu du Vercors-Sassenage. Cette aventure collective resserre les liens des producteurs, toutes générations confondues, qui portent haut la défense et la promotion de leur patrimoine vivant.

Une identité viticole

Dernière des filières renaissantes en Isère, les vins IGP ont bénéficié de l’entêtement de quelques passionnés pour sauver et replanter des cépages patrimoniaux, dans le Grésivaudan, les Balmes dauphinoise, le Trièves et la vallée du Rhône. Le département compte aussi des vignerons en AOP vin de Savoie dans la commune de Chapareillan. « De 33 000 ha de vignes en 1850, le vignoble isérois ne compte plus que 300 ha épars en 1980 », explique l’étudiante Emma Orsolini, dans le cadre d’un travail universitaire. Subsistent alors quelques irréductibles vignerons dans les Balmes Dauphinoises.

Le renouveau du vignoble isérois se nourrit de trajectoires individuelles et collectives. Les nouveaux vignerons entendent créer un vignoble à vocation commerciale, ce qui n’a jamais été le cas auparavant. 23 vignerons sont en activité en Isère aujourd’hui dont 20 se sont installés après 2000. Cinq nouveaux vignerons sont installés sans récolte. Les pionniers sont arrivés peu avant 2000. Certains sont en transmission familiale directe, d’autres, les plus nombreux, ont repris un noyau viticole familial puis procèdent par extensions. Chez les derniers arrivés, la création d’un domaine peut se faire ex nihilo. En dépit de la disparité géographique des exploitations, tous convergent vers la recherche d’une identité iséroise. Les nouvelles plantations s’accompagnent aussi d’un élan de structuration. En 2008 est créée l’association Vignes et vignerons du Trièves, un des vignobles les plus hauts d’Europe. En 2009, les deux syndicats, Balmes dauphinoises et Grésivaudan, se réunissent pour créer le Syndicat des vins de l’Isère. 

La demande de reconnaissance en IGP aboutit en 2011 avec 20 cépages autorisés : 10 blancs et 10 rouges. La révision en 2024 a permis l’introduction de 14 nouveaux cépages locaux dont le bia blanc en blanc et l’onchette en rouge. L’IGP Isère (Trièves, Coteaux du Grésivaudan et Balmes dauphinoise) couvre une superficie de 72 ha avec une production annuelle de 2 000 hl. L’IGP Collines rhodaniennes s’est considérablement développée et totalise 21 domaines pour 60 ha de vignes et une production annuelle de 1 500 hl. Enfin, l’AOP Savoie offre la plus grande superficie avec 111 ha de vignes, 16 domaines et une production de 6 200 hl.

Isabelle Brenguier et Isabelle Doucet

Images

(1) 274 communes
(2) 130 exploitations iséroises et sept fromageries sont habilitées IGP ; la collecte 2024 a été de 45 millions de litres de lait, et il s’est vendu 2 757 tonnes de fromages
(3) Source Wikipédia.