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Filière

L'agneau veut reconquérir les alpages

Les éleveurs ovins voudraient retrouver la valeur ajoutée d'un savoir-faire de moins en moins usité, celui de l'agneau d'alpage. Mais il faut qu'une dynamique de filière émerge associant les producteurs et les metteurs en marché, afin d'en faire un produit haut de gamme.
L'agneau veut reconquérir les alpages

C'est un projet qui pourrait leur échapper, mais ils s'en réjouiraient car cela voudrait dire que l'idée était bonne. Des éleveurs ovins, la Fédération des alpages de l'Isère (FAI), la chambre d'agriculture s'interrogent sur l'opportunité et surtout la faisabilité de produire « un agneau d'alpage ». N'y aurait-il donc plus d'agneaux en alpage de nos jours ? Bien sûr que non, mais cette dénomination ne concernerait que des jeunes ovins nourris exclusivement à l'herbe jusqu'au jour de l'abattage.

Stockage

« Aujourd'hui, les alpages sont essentiellement utilisés pour le stockage d'animaux et non pour une production avec valeur ajoutée économique », indique-t-on du côté de la FAI, mettant ainsi le doigt sur une évolution des pratiques agricoles. « Les bergers et les transhumants savaient utiliser les quartiers à agneaux, explique Hélène Baudoux, technicienne ovine à la chambre d'agriculture de l'Isère. Ce sont des endroits aux caractéristiques (floristiques, d'exposition, géographiques) particulières favorisant une bon élevage des agneaux. Mais sous la pression de l'agrandissement des troupeaux, la réduction de la main-d'oeuvre en montagne, l'accentuation de la prédation, ces zones favorables ne sont plus exploitées à leur juste valeur. En même temps, les agneaux ont souvent été gardés en plaine pour les engraisser » afin de répondre à un approvisionnement constant des marchés. L'agneau d'alpage ne répond qu'à une saisonnalité naturelle, avec une naissance en mars/avril, une croissance et une finition entre juillet et septembre pour un abattage au début du mois d'octobre : l'exact contraire du dessaisonnement prôné depuis plusieurs années pour répondre à la demande de consommation. Mais l'agneau d'alpage veut couvrir un marché saisonnier et à valeur ajoutée. « Ce type de produit est obtenu de façon vertueuse, insiste Denis Rebreyend, président de la FAI. On sait faire mais on ne met pas en avant. Et cela touche l'économie montagnarde, car ce type de production, même si elle est pour l'instant confidentielle, contribue à une montagne habitée et vivante . » 

Déphasage

Le projet repose avant tout sur des bases économiques. Un élément déclencheur vient rappeler aux éleveurs que les choses ne sont pas gravées dans le marbre : la date de la fête musulmane de l'Aïd-el-Khébir, en lien avec les phases lunaires, avance chaque année d'une dizaine de jours. Ce moment sert de débouché important aux producteurs, car si une partie permet d'écouler quantité de bêtes de réforme, nombreux sont les éleveurs qui avouent vendre à bon prix leurs agneaux à ce moment-là. Jusqu'à 200 euros sur pied pour 35 kg, alors que le prix du marché est de 120 euros. Dans quelques années, le déphasage calendaire ôtera un revenu important aux producteurs. Il est impératif pour eux de penser à de nouveaux débouchés. « L'idée d'une production spécifique et de qualité permet de répondre à la fois à des préoccupations de filière et de territoire, constate Didier Villard, vice-président de la chambre d'agriculture. C'est en donnant aussi ce type de perspectives valorisantes que l'on peut donner le goût à des jeunes de s'installer en ovins. »

Attente départementale

Mais la démarche n'est pas encore gagnée. Il faut d'abord savoir si une réelle attente existe. Au début de l'année, une étude a été réalisée auprès de distributeurs par la FAI. Un retour est également attendu de l'aval, boucher ou restaurateur, à la suite d'une mise en situation réalisée en octobre. Le conseil général se déclare également intéressé « car c'est une initiative qui répond à l'attente du Département en matière de circuits courts, d'offres de produits locaux et d'entretien des alpages. » Une enquête est donc prévue dans l'agglomération grenobloise vis-à-vis des attentes sur les produits de montagne. « Une communication en matière de produits locaux sera effectuée en 2014, notamment à la foire de Beaucroissant », indique Christine Bosch, du conseil général.

Il faudra ensuite qu'un cahier des charges définisse la notion exacte d'agneau d'alpage avec ses caractéristiques d'élevage ou de conformation. Ainsi que la zone concernée. « Il faut un début et nous avons pensé à l'Oisans et à la Chartreuse », avance Bruno Caraguel, directeur de la FAI. « L'initiative est iséroise, souligne Florent Salvi, président d'alpage, mais à terme, elle pourrait nous échapper car il faut que ce soit la montagne qui y gagne, car ce sont avant tout un imaginaire, une qualité, une goût par rapport à l'alpage qui légitiment la démarche. Le vrai enjeu est d'arriver à une ouverture à tous les alpages quel que soit le département. » La démarche est donc ambitieuse, reste à caler dans les détails, mais propose un réel challenge à la filière en matière d'image et de valeur ajoutée.

 

Jean-Marc Emprin