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Enquête

L'agriculture, grande productrice de... stéréotypes

Les apprentis BTSA production animale du CFPPA de la Côte-Saint-André ont mené une enquête sur la place des hommes et des femmes en agriculture. Résultat : une belle moisson de clichés.
L'agriculture, grande productrice de... stéréotypes

Aux hommes le tracteur et les biscotos, aux femmes la cuisine et les marmots. Les clichés ont le cuir dur. La promotion 2014 d'apprentis BTSA production animale du CFPPA de la Côte-Saint-André en a fait l'amère expérience cette année en menant un travail de réflexion sur la place des femmes et des hommes en agriculture. Pour ces futurs agriculteurs, la première surprise est venue du sujet lui-même. Obligés de plancher sur un thème « imposé » par l'équipe pédagogique, les apprentis se prêtent d'ordinaire à l'exercice avec plus ou moins de bonheur. Mais cette année, l'ordinaire s'est transformé pour certains en cauchemar. L'établissement ayant décidé de répondre à un appel à projets lancé par la région afin de « soutenir l'émergence et la conduite d'expériences innovantes pour promouvoir l'égalité femmes-hommes en agriculture et milieu rural », les étudiants ont été contraints de s'interroger sur leurs propres représentations du métier, plutôt que de travailler sur un thème « classique », comme le bien-être animal ou la transformation des produits fermiers. « Dès l'annonce du sujet, nous avons été plutôt sceptiques à l'idée de travailler sur ce thème, raconte Pierre Biffrare, l'un des étudiants de BTSA. Nous nous attendions à un sujet plus en rapport avec notre formation en productions animales. » Un propos qui traduit le malaise des jeunes gens quand il s'agit de « penser » les rapports homme-femme.

Aux garçons les tracteurs... ... aux filles les fromages et la

Stéréotypes

Déstabilisée, la promotion, filles et garçons confondus, avoue rapidement sa « difficulté à s'imprégner du sujet ». L'équipe pédagogique appelle à la rescousse Béatrix Vérillaud, une formatrice impliquée dans de nombreux travaux sur la place des femmes en milieu rural. A peine le sujet est-il posé sur la table que les stéréotypes surgissent. Du côté des garçons, on pense que les hommes ont « plus de force physique » et que l'« on doute moins de la capacité à réussir d'un homme que d'une femme », mais on reconnaît que les femmes disposent d'un « bon esprit critique » et de « qualités de rigueur et de minutie qui peuvent compenser leur force physique ». Chez les filles, on aborde tout de suite les questions de maternité et d'apparence. Au sein de la classe, les jeunes filles sont nombreuses à penser que « les femmes sont plus patientes et compréhensives, mais aussi plus ouvertes d'esprit et réfléchies ». Certaines confient cependant qu'elles « préféraient être un homme, car elles pensent que les hommes n'ont pas à se soucier de leur apparence et c'est une solution de facilité d'être un homme ». Est-ce leurs difficultés à trouver une place en apprentissage qui leur fait penser cela ? Sans doute, mais pas seulement. Car si la plupart des filles considèrent que les sexes sont égaux, les garçons sont nombreux à penser que le fait d'être un homme est un « gros avantage », en termes de « force, condition physique et facilité d'embauche ».

Pas de préférence à l'embauche

Après avoir questionné leurs propres représentations, les étudiants du CFPPA sont allés enquêter sur le terrain, profitant de la foire de Beaucroissant pour demander aux agriculteurs et aux agricultrices de détailler la répartition des tâches au sein de l'exploitation et leurs « préférences » en matière d'embauche. Et là, nouvelle surprise : une grande majorité d'hommes (72%) et de femmes (79%) disent ne pas préférer embaucher un homme ou une femme, l'important pour eux étant de trouver des personnes « compétentes, motivées, dynamiques, soignées », manifestant « une volonté de bien faire leur travail ». Cela étant, parmi les hommes, un agriculteur sur cinq reconnaît favoriser l'embauche d'un homme en raison de sa « force physique » et de son aptitude à conduire les engins agricoles.

Pour ce qui est de la répartition des rôles au sein de l'exploitation, le schéma reste néanmoins très traditionnel. Les femmes ont en charge le soin aux animaux, le travail en fromagerie, la vente sur les marchés et à la ferme et bien sûr la « paperasse » (comptabilité et gestion), tandis que les hommes s'occupent des « gros travaux », et notamment des cultures et des traitements. Ce partage s'expliquerait en partie par des questions d'affinités (nombreuses sont les femmes qui disent apprécier particulièrement de s'occuper des animaux) ou de compétences (dans une exploitation, c'est souvent l'homme par exemple qui s'intéresse aux « machines » ou qui a reçu la formation Certiphyto lui permettant de réaliser les traitements sur les cultures). « Sans vouloir entrer dans les clichés, il est vrai que les femmes sont plus attentives aux animaux, admet Alexandre Dollé, 34 ans, exploitant installé en Earl à Saint-Martin-de-la-Cluze (bovin viande et élevage de poney), maître de stage de l'un des étudiants enquêteurs. Ma femme, par exemple, elle voit tout de suite si une bête a un « tonche » sur le sabot. A part ça, pour moi, il y a égalité de partout entre hommes et femmes, sauf peut-être pour certains travaux. Chez nous par exemple, le terrain est très en pente et les hommes sont parfois plus téméraires au volant des machines. Voire trop ! Sinon, j'estime que la personne qui travaille avec moi doit être capable de tout faire, qu'elle soit garçon ou fille. » Mélisa Decotte-Genon, exploitante à Voiron, qui, est passée elle aussi par le BTSA PA de La Côte-Saint-André, nuance le propos de son collègue : « La parité, oui, mais il ne faut pas nier qu'il y a certaines tâches qu'on a plus de mal à faire. Dans notre exploitation, nous travaillons en entraide et en valorisant les compétences de chacun. » Mélisa s'occupe de ses chèvres, son mari des vaches. Propos que Béatrix Vérillaud synthétise ainsi : « L'égalité ne se signifie pas forcément « faire le même travail », mais plutôt que les rôles soient reconnus et qu'ils aient la même valeur. » Reprenant l'exemple de la « paperasse », Alexandre Dolle souligne qu'il « n'aime pas ça », mais « est-ce que les femmes aiment cela, elles ? Pourtant, l'administratif, entre les déclarations Pac ou les déclarations de naissance, c'est ce qui rapporte la moitié du revenu de l'exploitation ».

Les filles ont souvent du mal à se trouver un stage en agriculture.

Isabelle, l'une des étudiantes enquêtrices du BTSA, lui emboîte le pas : « Nous faisons le même travail que les hommes. Ce n'est pas parce que nous sommes des filles que nous ne pouvons pas porter des sacs de 25 kilos, ni être en veau de boucherie ! Dans l'exploitation où je fais mon stage, tous les mois les veaux partent à l'abattoir. Et je ne pleure pas pour autant ! C'est la même chose pour les machines. Moi, le tracteur, les cultures, ce n'est pas mon truc. Mais je suis capable de tout faire ! » Malheureusement, les hommes n'en sont pas forcément convaincus. Nombreuses sont celles qui sont confrontées à un problème de crédibilité. Et cela commence très jeune : dès la recherche d'un maître d'apprentissage. Beaucoup de jeunes filles ont du mal à trouver des stages parce qu'elles sont des filles. D'ailleurs, celui d'Isabelle est... une femme.

Marianne Boilève

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Où sont les femmes ?

Les statistiques montrent que la profession agricole ne se féminise pas, mais que la situation s'améliore doucement. En Rhône-Alpes, en 2010, 22% des agriculteurs étaient agricultrices. Elles étaient 26% dix ans plus tard. Si les femmes travaillent souvent en association (depuis la loi de 2010 autorisant un Gaec entre un mari et une femme, le nombre d'associés a sensiblement augmenté), elles sont trois fois plus nombreuses que les hommes à travailler en tant que conjointes collaboratrices (20% contre 6,6% des hommes sur l'échantillon de personnes interrogées par les élèves de BTSA PA à la foire de Beaucroissant), et deux fois plus nombreuses que leurs collègues masculins à travailler avec un statut de salarié, statut plus choisi que subi car il leur permet d'être « plus disponible pour élever les enfants ».

 

Monsieur Muscle versus madame Cervelle

L'enquête de terrain réalisée par les étudiants de BTSA PA de La Côte-Saint-André indique que les femmes sont majoritairement plus diplômées que les hommes. Si les filles sont aussi nombreuses que les garçons dans les lycées agricoles, les garçons s'installent plus jeunes. Cette singularité s'explique par le fait que les femmes s'installent tardivement, souvent dans le cadre d'une reconversion professionnelle, ou que, dans les familles d'agriculteurs, les parents préfèrent céder leur exploitation au garçon, la fille poursuivant ses études. Béatrice Vérillaud, qui travaille depuis longtemps sur la place de la femme en milieu rural, confirme : « Progressivement, on va se diriger vers une société où les femmes seront diplômées, souvent à haut niveau, alors que les hommes, plus forts, auront un bagage d'études plus restreint. Ce sera un peu monsieur Muscle en face de madame Cervelle. »