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Répartition des marges

L'agriculture laisse des plumes à l'aval

L'année 2014 a globalement vu l'aval de l'agriculture reconstituer ses marges a estimé Philippe Chalmin en présentant le 21 avril le 4e rapport pour 2015 de l'Observatoire des prix et des marges. Trois chiffres résument la situation : l'agriculture a subi globalement un recul de 5% de ses prix par rapport à 2013, l'industrie agroalimentaire a vu les siens reculer de 2% et la grande distribution a subi une baisse de ses prix de vente de seulement 0,7%, « première
baisse annuelle observée depuis plusieurs années », estime le président de l'Observatoire.
L'agriculture laisse des plumes à l'aval

« Il n'y a ni vainqueur ni vaincu mais des blessés partout », aurait dit à Philippe Chalmin, président de l'Observatoire des prix et des marges, un membre de ce comité à propos de l'année 2014. De fait, la synthèse qu'a présenté Philippe Chalmin du rapport de cet observatoire montre une situation bien compliquée pour l'ensemble des filières alimentaires. En cause, la situation économique générale qui se résume à une désinflation coûteuse. Mais si tout le monde est blessé, c'est plus ou moins gravement selon les maillons. La preuve : les prix à la production agricole ont baissé de 5%, ceux de l'industrie agroalimentaire ont reculé de 2% et ceux de la grande distribution se sont effrités de 0,7%... seulement.
Tous les produits ne sont pourtant pas logés à la même enseigne. Le cas exemplaire est celui des produits carnés dont la baisse des prix à la production s'est située entre 6% et 8% tandis que les prix au détail ont légèrement augmenté (moins de 1%). De quoi laisser penser à Philippe Chalmin que les marges de la grande distribution se sont bien redressées.

Les rayons boucherie en négatif

Mais pour des informations plus précises et par rayon, le président de l’Observatoire n’a encore que les données de 2013. Elles montrent que les rayons boucherie, boulangerie et marée dégagent des marges nettes négatives. La raison : le poids du personnel à rémunérer sur ces rayons et le fait qu’il s’agisse souvent de produits d’appel sur lesquels la concurrence est féroce. Les rayons charcuterie, volailles, produits laitiers sont au contraire positifs. Au sein d’une même filière, les situations peuvent être très contrastées. Exemple, le secteur laitier. Les prix du lait UHT augmentent mais ne répercutent pas entièrement la hausse des prix du lait sortie élevage ou laiterie. Dans ce cas, la marge de l’aval s’est légèrement rétractée. Même constat pour l’emmental où l’amortissement de la hausse des coûts de production par l’industrie et les distributeurs est encore plus forte.

Au contraire, alors que l’industrie n’a pas vendu plus cher ses yaourts en 2014 par rapport à 2013, selon Philippe Chalmin, les distributeurs ont fait progresser leurs tarifs au consommateur. Ce sont donc les distributeurs qui ont profité de 2014 pour redresser leur marge. D’autres exemples de cette nature pourraient être présentés. Le jambon cuit en est un. En 2014, le prix au détail a légèrement augmenté en moyenne depuis l’année précédente (de 10,93€ à 11,05 €). Mais, à la production, l’équivalent du prix au kilo a baissé de 3,70 euros à 3,46 euros entre 2013 et 2014 ; la marge de l’abattage découpe a légèrement augmenté (0,72€ à 0,87€), celle des charcutiers-salaisonniers aussi (1,76 à 1,82€) et surtout la marge brute des GMS a progressé de 4,17 à 4,32 €. Attention, met en garde Philippe Chalmin, il s’agit de la marge brute, qui sert notamment à payer des services et salariés et non de bénéfices. Le bénéfice dépend aussi de facteurs tout autres comme l’immobilier qui peut d’ailleurs améliorer la situation des GMS plutôt que la détériorer.

Maillon fragile

Le plus grave, dans cette équation, est de voir que le maillon production est fragilisé par ce partage de valeur ajoutée alors qu’il a lui-même affaire à des coûts de production en hausse. D’où la recommandation du président de l’Observatoire des prix et des marges pour des structures de production plus solides, plus importantes. « Pas question d’encourager des structures du type de la ferme des 1000 vaches, répondait le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll lors de la présentation de ce rapport. Les agriculteurs doivent mieux s’organiser eux-mêmes avec des structures mutualistes ». Le ministre a également présenté les GIEE, créés par la loi de modernisation de l’agriculture, comme une solution mutualisée pour améliorer la compétitivité des exploitations agricoles. Pour lui, l’important est que l’agriculture continue d’être assurée par des exploitants indépendants et non des salariés employés grâce à des capitaux extérieurs. D’ores et déjà, les organisations d’agriculteurs ont réagi. Selon l’APCA (Assemblée permanente des chambres d’agriculture), ces données « confirment que, lorsqu’on y inclut la rémunération de la main-d’œuvre familiale, les coûts de production des agriculteurs ne sont pas couverts par les prix, ni même par les prix et les aides dans certaines filières. » D’où un appel aux politiques publiques « qui pourraient contribuer à remédier aux déséquilibres préjudiciables aux exploitations et aux filières. » « Le consommateur paye-t-il le juste prix des produits ? » interroge pour sa part la FNSEA. « En ces temps de crise, la question est délicate mais néanmoins centrale », insiste la centrale syndicale en rappelant que « sur 100 euros de consommation alimentaire en 2010, seuls 8 euros rémunèrent l’agriculture et 39 euros le commerce et les services ! » De fait, selon Philippe Chalmin, le seul vainqueur de ces relations tendues au sein des filières, c’est le consommateur. « Mais il ne le sait pas ! »

HP

 

 

Valeur ajoutée des agriculteurs : 8 euros sur 100

Sur 100 euros d’achats alimentaires, explique le rapport de l’Observatoire des marges, seuls 8 euros concernent les agriculteurs tandis que le commerce ressort à 20 euros. La part des industries agroalimentaires n’est que de 10,4%, celle d’autres industries de 3,7%. Par ailleurs, la part des importations finales (directement consommées) est de 13% mais celle des importations qui entrent par exemple dans la production agricole est de 13,6%. Il faut noter que la part des taxes est de 10,1% soit davantage que la valeur ajoutée des agriculteurs. Une autre manière de calculer ce qui revient à chaque maillon de la filière est de prendre les prix attribués à chaque étape (charges de production comprises). A ce moment, la production agricole représente 19% tandis que l’aval (transformateurs + distributeurs) représente 58% et que les importations atteignent 13% (taxes : 10%). En 1995, la production agricole domestique, dans la filière, représentait 23% du produit alimentaire. En 2010 elle n’en représente que 19,3%.
 

 

 

Grandes surfaces : des marges qui s’améliorent

Evolution des marges brutes des Grandes surfaces en €/kg au détail
                                                                                             2013       2014
Longe de porc                                                                      3,4        3,39
Jambon cuit                                                                         4,17      4,32
Viande bovine                                                                      1,81      2,09
Viande ovine (industrie+distribution)                                   3,79      3,85
Volailles de chair                                                                 1,69      1,78
Lait UHT 1/2 écrémé                                                           0,15      0,13
Yaourts                                                                                0,28      0,34
Beurre                                                                                  1,16      1,02
Pain (total aval de la meunerie)                                           2,82      2,84
Pâtes alimentaires (industrie+distribution)                           1,17      1,03
Source : Observatoire des prix et des marges