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Parc des Ecrins

L'atlas sensible des Ecrins

Le Musée dauphinois célèbre les 40 ans du parc national des Ecrins à travers une exposition originale, constituée d'une trentaine de portraits sonores et photographiques retraçant la vie des acteurs du territoire. Des "caractères d'altitude" qui dépoussièrent l'image des parcs nationaux.
L'atlas sensible des Ecrins

Enserrer un territoire plus de 90 000 hectares dans un cloître : l'idée ne manque pas d'audace. Sage et tranquille, le jardin du cloître du Musée dauphinois accueille depuis quelques semaines une « allégorie » du cœur du parc national des Ecrins. Sur des poteaux de bois, familiers des randonneurs, des photos. La Meije, la Barre des Ecrins, le Pelvoux, le Bec de l'Homme, la Muzelle... Rien ne manque. Un paysage mental se dessine sur la page immobile du lieu, rehaussé par les sonnailles et le verbe de ceux qui ont coutume d'arpenter le massif. « Les gens qui pratiquent la montagne développent un imaginaire, une certaine perception poétique de la nature », entend-on. Des voix, une cloche, des bruissements... « C'est un environnement, avec tout ce que ça a de rude, de doux, tout ce que ça impose sans imposer. C'est un véritable voyage. » L'oreille reconnaît un timbre, se laisse emporter par un autre : Bernard Amy, Lionel Daudet, Paul Keller, pratiquants de la montagne comme d'une religion. Les voix conduisent le visiteur à travers un territoire méconnu, vécu par des gens de caractères.

Pas de nature sans humanité

Pour célébrer les quarante ans du parc des Ecrins, le Musée dauphinois a souhaité rendre hommage à ces «caractères d'altitude». Plutôt que d'établir un bilan des actions de protection, il est allé questionner les femmes et les hommes qui pratiquent le territoire au quotidien, qu'ils soient agriculteur, vétérinaire, boulanger, instituteur, pisteur ou artisan. « Le public se plaint que nous ne présentions pas d'objets, sourit Jean Guibal, directeur du Musée dauphinois. Mais ce qui est intéressant, c'est de faire parler les gens. Il n'y a pas de nature sans humanité. Il faut arrêter de dire que la montagne est vierge : ça fait des milliers d'années que les hommes la pratiquent. Il n'y a plus un caillou en place... »

Cartographie imaginaire

La structure de l'exposition elle-même est calquée sur celle du parc : « La zone centrale, que l'on nomme également le cœur du Parc, est restituée au milieu du cloître de Sainte-Marie-d'en-Haut grâce à une scénographie de Hervé Frumy qui a créé une cartographie imaginaire des sommets du massif avec des photographies panoramiques, appuyée sur une création polyphonique de Pascal Perrot », explique Franck Philippeaux, conservateur au Musée dauphinois. L'aire d'adhésion, constituée de l'espace entourant la zone protégée du parc, est quant à elle illustrée par une série de récits de vie et de portraits d'habitants. Ce parti pris ne doit rien au hasard. Les Ecrins, comme tous les parcs nationaux, a pour mission de veiller à la préservation du « caractère » du massif sous toutes ses formes. A la politique de protection de la flore et de la faune s'est ajoutée, depuis la loi de 2006, une politique culturelle visant la connaissance et la valorisation du patrimoine culturel des communautés montagnardes. D'où l'accent mis dans l'exposition sur ces « caractères d'altitude », déclinés en portraits sonores et photographiques.

Une belle récolte de POM

Prolongement d'un travail de terrain engagé en 2011 dans le cadre du projet « Portraits de l'Alpe », les portraits croisent habilement approches artistique et ethnographique. Il en résulte une récolte de 31 POM (« petite œuvre multimédia »), mêlant photographies et témoignages oraux, recueillis dans le cadre d'une initiative conjointe du Centre de l'oralité alpine (service patrimonial du conseil général des Hautes-Alpes) et du parc des Ecrins. On croise ainsi Jean-Philippe Bernier, opérateur de centrale hydro-électrique au Bourg-d'Oisans, qui voit dans ces portraits l'occasion de ne plus être « l'industriel invisible de la vallée ». Vincent Billard, boulanger dans le hameau du Granolet, nous raconte comment il a choisi de s'installer là avec sa famille et de façonner son pain sous l'aile protectrice de la montagne. Et l'on fait un bout de chemin avec Marie Puissant, éleveuse et productrice de fromage de chèvre au Désert en Valjouffrey, qui se « lève tous les jours avec bonheur pour aller voir ses chèvres (...) même si, avec l'âge, on a moins d'énergie pour faire le travail ». Ces 31 récits de vie, simples et sans fard, racontent un territoire, un réel bien vivant, difficile souvent, heureux pourtant, qui renvoie du parc national une image toute autre que celle d'un espace sous cloche. Et ça fait du bien.

Marianne Boilève

L'Alpe - Des natures et des hommes

La revue l'Alpe a consacré un numéro entier au quarantième anniversaire du parc national des Ecrins. Intitulé pour l'occasion "Des natures et des hommes", le périodique évoque tous les aspects du territoire, des plus sauvages aux plus humains.
L'Alpe - numéro 61. Editions Glénat/Musée dauphinois, 2013, 15 euros.

 

 

« Du cinéma pour les oreilles, de la radio pour les yeux »

L'originalité de l'exposition du Musée dauphinois tient à la nature des enquêtes réalisées auprès des habitants des sept vallées du parc national des Ecrins. Preneurs de son et photographes sont partis en binôme à la rencontre d'acteurs du territoire, choisis en fonction d'un équilibre géographique, d'une représentativité de métiers (agriculteur, berger, bûcheron, artisans, guides, accompagnateur en montagne...) et de sexe. Ce travail d'enquête minutieux a donné naissance à un « atlas sensible du territoire » (dixit Marc Mallen, du Centre de l'oralité alpine). Composé d'une trentaine de portfolios sonores, cette approche a permis de superposer « des calques de subjectivité pour former une image composite du « caractère » des Ecrins », analyse Claude Dautrey, responsable de la mission culture-éducation au parc. D'où un effet kaléïodoscope, qui illustre bien la dimension hétéroclite des Ecrins. « Le parc ne peut pas avoir un seul visage, ne serait-ce que par les différences qui existent entre les sept vallées, poursuit Claude Dautrey. La perception du parc diffère en fonction des usages du territoire. C'est ce mélange et cette magie que nous avons voulu rendre sensibles dans l'exposition pour que se précise le fait de « se sentir des Ecrins. » » A défaut se sentir « des Ecrins », le visiteur-spectateur verra sans doute naître l'envie de les arpenter.
MB
Présentée au Musée dauphinois jusqu'au 12 mai (jusqu'à fin janvier dans sa forme développée), l'exposition « Caractères d'altitude » entamera ensuite une carrière itinérante à travers différents sites du parc des Ecrins.
Musée dauphinois
30, rue Maurice-Gignoux, à Grenoble
Tel : 04 57 58 89 01
Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h sauf le mardi, les 1er janvier, 1er mai et 31 août. Entrée gratuite.