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Portrait

L'auberger du Haut-Bréda

A la Ferrière, en Isère, l'Aubergerie est un endroit singulier, chaleureux et convivial. Thomas Sibille, l'ancien berger devenu restaurateur, a façonné ce lieu qui lui ressemble et participe à la vie de la vallée du Haut-Bréda en Belledonne.
L'auberger du Haut-Bréda

Un jour de 1990 il a posé son troupeau à Fond de France, terminus de la vallée du Haut-Bréda, en pays allevardin.

« J'ai été berger pendant 10 ans, un peu partout en France », confie Thomas Sibille. Mais il choisit Belledonne et cette vallée qui a bien plus que des histoires de mineurs à conter. Ou peut-être est-ce la vallée qui a choisi son berger, son dernier paysan ?

« Puis ça a été le coup de foudre pour la maison ». La ferme, lovée au pied de la forêt du Saint-Hugon, arbore crânement ses murs en pierre patinés par les siècles. « Nous avons retrouvé des traces de la bâtisse des XVII et XVIIIe siècles », assure le propriétaire.

 

L'Aubergerie : un peu plus qu'un restaurant ou qu'une chambre d'hôtes, un lieu d'échanges.

 

 

« Une belle maison au milieu des pâturages et d'une zone agricole » : les bases sont jetées pour que Thomas Sibille façonne son projet.

Un lieu d'échanges

Avec un troupeau d'une centaine de brebis laitières, il se lance dans la transformation et la vente directe à la ferme de fromages et d'agneaux.

L'exploitation évolue rapidement. Il faut dire que Thomas Sibille est un homme de contact. Souriant, le regard franc, on devine une humanité et le besoin de partager.

L'envie de rencontres le conduit à proposer un accueil à la ferme, « ainsi que des repas, de temps en temps, puis un refuge, car il n'y en avait peu à cette époque », explique Thomas Sibille.

« L'Aubergerie est très vite devenue un lieu d'échanges, reprend-il. Les gens ont aimé ce lieu et la vallée. »

 

« Il a fallu faire un choix »

La convivialité de la maison et une cuisine appréciée de ceux qui y ont goûté attirent une clientèle de fidèles. Avec elle, l'Aubergerie se transforme.

« La charnière sont les années 2000-2002. La ferme tournait à fond, fromage, agneaux, restaurant, il y avait beaucoup de demande, indique Thomas Sibille. Il a fallu faire un choix et j'ai eu envie de ne me consacrer qu'à un seul métier. » Il décide donc « d'assumer son attirance pour la cuisine ».
La ferme est confiée en location et l'Aubergerie se dote au fil des ans de cinq chambres d'hôtes. « Avec les moyens du bord, l'une après l'autre.»

 

Des chambres d'hôtes cosy.

Réseaux sociaux

La vallée du Haut-Bréda est accueillante pour qui prend le temps de la sonder. « C'est une vallée rurale de haute-montagne, décrit Thomas Sibille. On y retrouve des paysans, des villages vivants et cela n'a rien d'artificiel. Tout le monde participe à la fête du village ».

Le berger devenu aubergiste fait partie de ces enfants qui se sont laissés adopter par cette vallée empreinte d'humanité et qui le lui rendent bien. Il parle d'une « richesse rare » et c'est bien cette « campagne vivante » que ses clients recherchent. « Un public varié, dont une grande partie est composée d'une clientèle urbaine et européenne. »


C'est par le bouche-à-oreille que ces touristes-là se retrouvent à Fond-de-France, pour un jour ou une semaine, selon l'humeur et la saison. Le restaurateur a très vite compris l'intérêt des réseaux sociaux pour « avoir une vitrine urbaine ».

« Montrer sans être générateur de spectacle »

Sa fille lui ouvre une page Facebook en 2000. « Il faut susciter une envie, montrer sans être générateur de spectacle », explique-t-il.

Twitter, Instagram, Tripadvisor : « Il faut aussi accepter une communication à double sens, donner la parole aux gens, les laisser réagir. Même les avis négatifs permettent de mieux identifier le produit qu'on propose. Oui, il y a des toiles d'araignées, c'est loin de tout et ce n'est pas un hôtel. Il faut l'assumer ! »

 

Chaleur et patine se dégagent de la vieille bâtisse.

Agneau et épices

Le soir, après la balade en fond de vallée ou jusqu'au pic de la Belle étoile, tout le monde se retrouve à l'Aubergerie. Il y a les gens du coin, les amis de passage, les voyageurs et leurs promesses de retour.

L'agneau est roi et le tajine mitonne doucement. Thomas Sibille propose « une cuisine d'ici et d'ailleurs. Des sautés d'agneaux aux écrevisses - un clin d'œil au poulet - des tatins d'agneau que j'accommode avec des épices orientales et que je cuis sous une pâte... ».

A côté de ces mets d'inspiration, une carte plus traditionnelle satisfait les inconditionnels de la montagne. « Le menu change tous les jours avec l'énergie de la création, confie le chef. J'ai appris à cuisiner par gourmandise. » Ce plaisir largement partagé a fait sa réputation.

Vers le haut

Mais l'Aubergerie, c'est encore un peu plus que cela. C'est aussi un repère, un endroit où l'on fait société, un lieu qui accueille des concerts et du théâtre.

« L'été, je fais beaucoup de restauration car il se passe beaucoup de choses dans la vallée comme les nuits du Haut-Bréda », signale encore l'aubergiste.

Une dynamique vertueuse tire la vallée vers le haut, si bien que les professionnels de l'hôtellerie et du tourisme des communes du Pinsot et de la Ferrière ont monté un comité depuis deux ans, « car nous avions envie de nous développer ensemble ».

 

Produits de la ferme

Alors qu'il était le seul agriculteur installé en 1990, Thomas Sibille regarde avec contentement la région retrouver sa vocation agricole.

Le métier lui manque-t-il ? Il concède un petit regret. « J'ai la chance de le partager à travers les produits des fermes alentour, glisse-t-il avant de poursuivre : j'aimerais bien reprendre une activité d'élevage, avoir de petits ateliers viande pour mettre dans les assiettes des produits originaux, cochons, veaux, volailles... dès que possible. »

Rénovation

Les projets ne manquent pas. En 2015, il a entièrement rénové la cuisine, l'accueil, le bar et le salon.

Il compte sous peu déplacer deux chambres pour créer une pièce évolutive afin de mieux recevoir les groupes.

Autant de chantiers destinés à pérenniser l'auberge et employer du personnel à temps plein.

Isabelle Doucet

Caillette, la mascotte de la maison.

 

Tranches de vie

Sur les sentiers de Radio Fond de France

En lançant son premier sentier sonore à l'automne 2016, Radio Fond-de-France a bénéficié d'une large couverture médiatique.
La web-radio existe depuis le printemps 2012.
« L'idée est partie de trois ou quatre personnes en fin de soirée. Aujourd'hui, nous sommes une vingtaine à participer à cette expérience », lance Thomas Sibille, un de ses artisans médiatiques. Il y a notamment les piliers comme Annie et Louis Roche, retraités de l'Education nationale, mais aussi Cédric Roche, le génie technique, Elsa Eberstein, la voix de la radio, tout comme Caro, Mathieu, Pierre et les autres.
Tous se retrouvent à la Maison de la nature de Fond de France qui héberge la radio. « Nous racontons la vie dans la vallée du Haut-Bréda ».
De reportages audio en rencontres, les bénévoles tissent un lien indéfectible entre les habitants, les générations, les vacanciers.
Histoire locale
« Puis, nous avons eu envie de nous essayer à des montages un peu plus construits. C'est ainsi qu'est né le projet de sentiers sonores, explique le restaurateur-animateur. Il s'agit d'audio-guides installés dans la nature qui racontent ce qui ne se voit pas. »
Les sentiers sonores sont une initiative originale de Radio Fond de France.

Grâce à une application, on accède depuis chaque balise à un morceau d'histoire locale, celle des mines de fer, du développement touristique, de l'hydroélectricité, du CAF, du colportage etc.
« On n'a pas fini, reconnaît Thomas Sibille. On a mis le doigt dans un engrenage et c'est passionnant. Les gens sont fiers de raconter cette histoire. C'est un travail de transmission, de mémoire. »
Le premier sentier sonore fait le tour du lac de Fond de France à la Ferrière en 15 totems.
Le prochain sentier sortira de terre autour du musée de Pinsot.
Forte de ce succès, la radio a aujourd'hui besoin de nouveaux moyens pour se développer et continuer à assurer des contenus de qualité.
 

 

Témoigner

Homme de conviction, Thomas Sibille, affiche la force tranquille de ceux qui ont tracé leur route.
Pendant un an, il a accueilli un réfugié iranien, « une rencontre humaine ».
La crise migratoire, la peur de l'étranger l'interpellent. « C'est une démarche individuelle, dans un lieu public, le restaurant », insiste-t-il. Un « témoignage de fait », qui dans son sillage, à incité « une dizaine de familles et d'amis à faire des démarches dans ce sens. Ils se sont rendu compte que c'est possible de faire quelque chose. »
Thomas Sibille est allé un peu plus loin en accompagnant son ami le journaliste Raphaël Krafft dans la réalisation de son livre-reportage sur le passage* des migrants à la frontière franco-italienne.
« J'y suis allé car j'avais envie de toucher du doigt la réalité ».
Passeur, de Raphaël Krafft.

Un présent qui trouve un écho glaçant dans la plaque érigée au col de Fenestre à la mémoire des juifs qui, par centaines, en 1943, ont fuit la persécution antisémite par cette même route de l'exil.
*Passeur, Raphaël Krafft, editions Buchet-Chastel, 160 pages, 14 euros (à partir du 19 janvier)