L'avenir de l'agriculture : un devoir, un espoir

L'avenir est-il dans le pré ? Pas sûr en tous les cas que l'agriculture iséroise ait signé son déclin. En témoignent les participants de la table ronde organisée par Terre dauphinoise lors de la foire de Beaucroissant, qui délivrent leurs pistes pour l'avenir.
L'avenir, pour Roland Primat, président de la coopérative La Dauphinoise, s'inscrit plutôt à court terme, « se projeter à trois ans, c'est déjà difficile, mais nous avons un devoir de le faire ». Pour lui, il importe « que les agriculteurs s'unissent pour aborder les marchés. Notre avenir dépend de cela ». Afin de pallier le handicap structurel des exploitations régionales, il défend « la différenciation des marchés » par la qualité, l'image, certaines niches végétales ou encore la recherche de la valorisation en circuits plus raccourcis. Pour preuve la coopérative s'est engagée depuis longue date dans la production de semences et aborde aujourd'hui la production de soja dans le département. « C'est une des solutions parmi d'autres », lance Roland Primat. Les questions de compétitivité et d'innovation ont nourri le cœur des réflexions qu'il s'agisse de maraîchage, de grandes cultures ou d'élevage.
Pour François Ferrand, éleveur laitier et représentant de la Coordination rurale, l'avenir de la production laitière en Isère ne peut passer que par une structuration des exploitations. L'élevage isérois de référence s'établissant à 286 000 litres, si d'ici 15 ans selon les perspectives de l'Idele*, il en disparaît les deux tiers des 700 encore actives, faudra-t-il compter avec 200 exploitations produisant un million de litres ? C'est en tous les cas un des scénarios possibles. « Les agriculteurs sont obligés de produire plus car les marges se font sur les volumes », rappelle-t-il, en dénonçant par ailleurs le monopole des industriels sur les politiques tarifaires.
Une autre compétitivité
Michel Guglielmi, économiste et ancien directeur de l'Isara invite les agriculteurs à considérer l'avenir en s'emparant des éléments existant pour « fonder ce que l'on veut ». Il convient donc de tenir compte des caractéristiques régionales, de cette région urbaine, dense, touristique, à fort pouvoir d'achat, où la terre agricole est menacée par les autres activités... « Nous n'avons certes pas les moyens d'être compétitifs, mais il ne faut pas uniquement parler de coûts de production ». Pour l'expert, « la compétitivité peut être autre chose. Si l'on veut des céréales les moins chères possibles, on sera toujours perdant ». Il force le trait en prédisant la disparition quasi-totale de l'élevage laitier en Isère, arguant de la spécialisation de régions plus productives. « Mais il existe des tas de manières d'être compétitif en Isère », explique-t-il en reprenant l'exemple de la production soja, des circuits raccourcis, ou de « l'approvisionnement d'une population urbaine qui ne demande qu'à savoir où a été produit ce qu'elle consomme. » Ses pistes de « compétitivité » passent aussi par l'innovation technologique, commerciale, mais également individuelle ou collective. Il préconise le rapprochement avec les collectivités et les citoyens. Car ces derniers sont la véritable cible de l'agriculture rhônalpine : « Phosphorons pour imaginer toute forme de différenciation afin d'éviter de tomber sous la dictature des prix bas ».
Un monde capable
Pascal Denolly, maraîcher et président de la FDSEA mesure pour sa part le chemin qu'il reste à parcourir avant de pouvoir mettre les marchés de proximité à la portée de tous. Question de rentabilité des systèmes, d'éducation au goût, de « resegmentation des marchés de proximité » aptes à absorber des produits standards cultivés localement, d'adaptation aux attentes de la clientèle et de capacité à innover hors du diktat des grands groupes et du principe de précaution.
Quant au bio, il ne peut être considéré comme la solution miracle. « Y aller, cela relève du bon sens, de l'intérêt général, compte tenu des défis environnementaux, économique et sociétaux, note Sophie Guillon, productrice de fruits et répésentante de la Confédération paysanne. Mais on ne l'imposera pas. Le monde agricole est capable de faire face à la transition, même si cela ne va pas être facile.» Pour ne pas voir les deux-tiers des exploitations laitières disparaître, elle exhorte : « Nous devons assumer notre territoire. Si le lait de montagne disparaît, c'est toute la montagne qui crève...». Qualité, transformation et structuration des filières lui semblent également des pistes d'avenir.
Françoise Soullier, horticultrice et présidente des JA, se veut, en tous les cas, positive. « Aujourd'hui, on devient agriculteur par choix, par passion ». Les jeunes agriculteurs se posent en entrepreneurs face à des choix stratégiques pour le développement de leurs exploitations. « L'agriculture est en perpétuelle mutation. Se projeter à 15 ans, est difficile quand on sait qu'un plan de développement est déjà caduc à trois ans ». Pour autant la présidente des JA défend la diversité de l'agriculture iséroise et des territoires et relève deux défis pour l'agriculture de demain : sa capacité à innover et à « réinventer son lien avec la société ».
Isabelle Doucet