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Tourisme

L'empereur cherche compagnie, désespérément

La route Napoléon constitue la colonne vertébrale de la Matheysine. Un atout touristique bien longtemps ignoré par le territoire.
L'empereur cherche compagnie, désespérément

« Nous disposons de peu de chiffres pour les sites matheysins et jusqu'à maintenant, peu de choses ont été faites autour de la route », reconnaît Patrick Reynier-Poète, le vice-président de la communauté de communes de la Matheysine, du Pays de Corps et des Vallées du Valbonnais (CCMCV), en charge du tourisme. A la veille du Bicentenaire de la Rencontre, l'empereur est bien seul là-haut dans sa prairie de Laffrey. Cette route historique, qui a vu Napoléon rentrer de l'île d'Elbe en mars 1815, traverse des paysages sublimes et des sites extraordinaires. Elle offre un potentiel touristique inégalé et inexploité. Moins de 100 chambres d'hôtel, 37 gîtes, un peu plus de 400 emplacements de camping : la modestie de l'offre en hébergement touristique de la Matheysine contraste avec le potentiel du territoire. Un territoire qui a fait de la lutte contre la désindustrialisation son impératif économique. Alors le tourisme... Il faut dire que la Matheysine a connu des déboires en la matière, entre le naufrage de la station fantôme de Saint-Honoré au tournant des années 2000 et l'arrêt brutal du train de La Mure en 2010, il y a de quoi décourager les initiatives. Dans une analyse récente, le CCDRA* pointe les faiblesses du tourisme en sud Isère : disparité territoriale de l'offre touristique, offre peu structurée, absence d'image de territoire, alors que « les espaces remarquables sont nombreux ». « Il y a beaucoup de choses à développer en Matheysine, mais ce territoire part de plus loin que les autres », renchérit Cécile Picot, chargée de mission CDDRA. Seule la ville de Corps semble tirer parti de cette route. Et encore. Sur 4 000 visiteurs de la Maison du tourisme en juillet–août, un tiers évoque la route Napoléon, les autres venant principalement pour la gastronomie, c'est-à-dire la table de l'Hôtel de la Poste, les autres pour le sanctuaire de La Salette.

 

Patrick Reynier-Poete, vice-président de la communauté de communes de la Matheysine, du Pays de Corps et des Vallées du Valbonnais.

Une mine d'or

« Le Bicentenaire est une chance dans la prise de conscience de l'intérêt touristique de cette route. C'est une mine d'or qu'il faut exploiter. Le problème est celui de la mise en tourisme de la route », explique pour sa part Roland Monon, directeur de l'Office de tourisme de Vizille. « Nous ne savons pas comment les gens construisent leurs étapes. Nous savons seulement qu'énormément de monde fréquente cette route. Les touristes ne demandent qu'à s'arrêter, à condition qu'il existe des lieux où s'arrêter, » poursuit Roland Monon. Au niveau de la rampe de Laffrey, la RD 85 est fréquentée par 10 000 véhicules par jour. Certes, il y a les déplacements pendulaires, mais pas seulement.

Patrick Reynier-Poète, le reconnaît : « La Matheysine ne portait pas un grand intérêt pour le tourisme du temps de la mine. En termes de campings et de gîtes, l'offre est correcte, mais très mauvaise en termes de capacité hôtelière. Nous allons confier à l'ADM** une mission économique sur le tourisme. » Christian Pichoud, vice-président du conseil général en charge de l'économie touristique, le confirme : « Il n'y a pas de culture du tourisme dans ce territoire traversé par la route Napoléon. Il y a 10 ans, nous avons engagé les états généraux du tourisme autour des questions de la route, des lacs, du train de La Mure.» Renforcer les hébergements, favoriser l'apparition de projets locaux : la route est longue.

150 000 visiteurs

A la veille des manifestations, certaines initiatives ont émergé, à l'image de la réalisation d'un Roadbook numérique « qui incitera les gens à s'arrêter, à la Mine image, au bord des lacs, dans les fermes. Il faut valoriser les sites, mettre des chalets dans les campings pour qu'ils soient fréquentés. On va beaucoup parler de la route avec le Bicentenaire, mais nous sommes en retard sur les équipements. » insiste Roland Monot. C'est la raison pour laquelle le CDDRA a soutenu ce projet, de même que des travaux de modernisation de trois hôtels, dont le Murtel à La Mure.
Surtout, le conseil général, qui ne veut pas faire à la place de, mais qui ne pouvait pas non plus laisser l'Empereur à l'abandon, a engagé un travail avec la communauté de communes sur la Prairie de la Rencontre pour redonner à l'endroit son aspect originel. « Des travaux paysagers ont été engagés à hauteur de 400 000 euros et seront suivis d'un visiocenter, c'est-à-dire d'un local où seront expliqués les événements ainsi qu'un restaurant et des boutiques à l'emplacement du camping, d'ici à 2 ans, » annonce Patrick Reynier-Poète.
La troisième partie de ce travail sera le maillage des promenades, autour des lacs et de la maison du compositeur Olivier Messiaen, qui sera rénovée en 2015 par la Fondation de France et Aida. Elle deviendra une maison d'accueil pour les artistes en résidence, des musiciens et des ornithologues. Un Espace naturel sensible est aussi en cours de création autour du lac. A terme, le site attend 150 000 visiteurs par an, de quoi impulser une dynamique touristique.

Isabelle Doucet

CDDRA* : Contrat de développement durable Rhône-Alpes

ADM** : Agence de développement de la Matheysine


Un peu d'histoire
La Prairie de la Rencontre et la statue équestre de Napoléon à Laffrey marquent le lieu où les troupes du 5e de ligne de Louis XVIII venues arrêter Napoléon déposèrent les armes et se rallièrent à l'empereur, le 7 mars 1815. Avec Waterloo en Belgique, ce sont les deux seuls sites au monde où vraiment reste une trace historique napoléonnienne.
La Route Napoléon (anciennement RN 85), longue de 314 km, a été baptisée en 1932.

 

Retrouvez le programmes des festivités des 6 et 7 mars

 

Jean-François Manent et Sylvie, liquoristes à Corps, lancent la cuvée Napoléon.             La cuvée Napoléon spécialement créée par la distillerie artisanale Salettina à Corps.

 

Corps/

Une liqueur pour la route

Les premières liqueurs ont été fabriquées à Corps en 1870. Dans cette même maison où Maximin Giraud, un des trois enfants ayant vu la vierge de La Salette, a grandi, est installée la distillerie artisanale La Salettina. Pour le Bicentenaire, Jean-François Manent, qui a repris la distillerie en 1978, a créé le génépi Napoléon 1815. Il s'agit d'une liqueur issue à la fois de la macération et de la distillation. Le top. Car il y a deux façons d'obtenir des liqueurs à base de plantes sauvages ou de fruits. La macération est la plus simple, il s'agit de laisser tremper des plantes fraîches dans l'alcool pendant un certain temps. La distillation consiste en un assemblage de plantes sélectionnées dans lesquelles on recherche un parfum caractéristique. La liqueur Salettina compte ainsi 20 plantes sauvages des montagnes autour du génépi, dont l'origan, le lautier cornicule, l'hysope, la lavande ou le meillot jaune. Un extrait titrant 80° est tiré de l'alambic, puis remélangé et filtré. Le produit final, la liqueur, titre 40, 45 ou 50°. 70 litres d'extrait de distillation donnent 1 400 litres de liqueur.
Cueillette quotidienne

La petite distillerie accueille environ 5 000 visiteurs par an. « Mais nous ne savons pas s'il s'agit de touristes ou de pèlerins », explique Sylvie Manent qui travaille avec son époux. « Il y a beaucoup d'étrangers qui font la Route Napoléon », constate-t-elle. « Depuis une dizaine d'années, les gens ont un regain d'intérêt pour le patrimoine. Ils s'arrêtent de plus en plus, découvrent les ruelles de Corps et viennent à la distillerie dans le vieux village ». Patiemment les deux liquoristes expliquent leur passion aux visiteurs. Ils racontent comment, tous les jours, de mai à septembre, ils vont ramasser les plantes sur les coteaux du Champsaur. « Il faut tenir compte de l'ensoleillement, de la fleur. C'est un savoir-faire. Nous prélevons seulement ce dont nous avons besoin », ajoute Jean-François Manent. La verveine, la mélisse, la menthe, le serpolet, la marjolaine, la sauje, l'origan ou la vulnéraire font partie du panier moyen. Ils s'approvisionnent en petits fruits auprès de producteurs locaux. Il faut 15kg de plantes sèches par distillation. La distillerie produit 6 à 7 000 bouteilles par an pour un chiffre d'affaires de 70 000 euros environ. La cuvée Napoléon est le 20ème produit mis au point par la Salettina. Ses créateurs espèrent la pérenniser même si sa fabrication réclame une manipulation supplémentaire.