La Compagnie nationale du Rhône, 80 ans de gestion sans tempête

La Compagnie nationale du Rhône (CNR), seule société à majorité publique gérant la totalité d'un fleuve, fête mercredi 80 ans d'existence sous la bénédiction de l'Etat qui l'érige en modèle face à la mise en concurrence des barrages réclamée par Bruxelles.
Hasard de calendrier ? La CNR fête son anniversaire mercredi en grande pompe près du barrage de Pierre-Bénite (Rhône), en présence de la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, au lendemain du vote à l'Assemblée du projet de loi sur la transition énergétique comprenant un chapitre relatif aux concessions hydroélectriques.
« La CNR est une société atypique en France puisqu'elle est la seule à avoir la gestion complète d'un fleuve », cette concession ayant été prolongée vendredi soir à l'Assemblée au-delà de 2023, à la grande satisfaction de l'entreprise et des élus locaux, « et la seule aujourd'hui à être un peu plus moitié publique que moitié privée », se plaît à souligner Elisabeth Ayrault, sa présidente.
En France, les barrages sont majoritairement exploités par EDF (à 80%). La CNR entend préserver son statut puisqu'elle est une société anonyme d'intérêt général avec pour actionnaire privé GDF-Suez à 49,97%. Elle compte 183 actionnaires publics (à 50,03%) dont des collectivités et la Caisse des Dépôts.
Créée en 1933 par Edouard Herriot, maire de Lyon et ancien chef du gouvernement et Léon Perrier, député puis sénateur de l'Isère, l'entreprise a eu dès son origine des actionnaires privés et publics: « Tout ceci est une longue histoire, les 80 ans vont amener la CNR à finalement être aujourd'hui ce que les fondateurs ont voulu au départ », ajoute Mme Ayrault.
Au fil de l'eau, à partir de 1934 jusqu'à 1948, la CNR a développé 19 barrages hydroélectriques sur le Rhône, puis créé 27 sites industriels et portuaires et 14 écluses à grand gabarit, notamment.
Des aménagements monumentaux sont gravés dans les mémoires: en 1935, la CNR entame les travaux du barrage de Génissiat (Ain), ralentis par la Seconde Guerre mondiale. Pour que l'ouvrage ne profite pas à l'ennemi, ce dernier est inondé en juin 1940, tandis que de nombreux ouvriers du chantier rejoignent le maquis.
Dans le "cocpit", de la météo au trading
Si EDF a obtenu la mainmise sur les centrales hydroélectriques de 1948 à 2001, la CNR continuant à construire les ouvrages sur le Rhône, l'événement « le plus important » fut la libéralisation de l'énergie en 2001, qui a permis à la CNR de « redevenir producteur d'énergie et commercialisateur », souligne sa présidente.
L'ouverture du capital en 2003 avec l'arrivée de GDF-Suez s'est accompagnée d'une loi empêchant l'actionnaire privé de monter au capital au-delà de 50%.
« Aujourd'hui, Bruxelles souhaite que l'hydroélectricité française soit ouverte à la concurrence, l'idée du gouvernement est de rassembler ces ouvrages », explique la dirigeante, en clin d'oeil à son modèle qui « rassemble »: « nos dix-neuf ouvrages sur le Rhône sont pilotés dans un lieu unique, il est très important que les élus et les territoires puissent avoir un seul interlocuteur ».
Ce « lieu unique » baptisé « Cocpit », créé en 2001 au siège de la CNR à Lyon, assure la gestion de tout le fleuve, de la Suisse à la Méditerrannée. De nombreux corps de métiers y cohabitent: surveillance des barrages et des centrales, prévisionnistes météo, jusqu'aux traders rivés devant des écrans pour vendre l'électricité sur le marché de gros, « afin de maximiser le chiffre d'affaires », explique Frédéric Storck, directeur de l'énergie à la CNR.
« Ces activités regroupées sur un même plateau, c'est très rare, cela nous a permis d'accroître la valorisation de cette énergie hydroélectrique », ajoute-t-il. Le Rhône produit une moyenne annuelle de 14,3 terrawatts heure, soit 3% de la production nationale.
Avec ses missions d'intérêt général, la CNR « permet aussi aux riverains du Rhône de se réapproprier le fleuve », fait valoir Cécile Magherini, directrice régionale sur le secteur de Vienne, citant une vélo-route aménagée le long du fleuve - la « Viarhôna » - la réhabilitation de berges et une remise en état des « lônes », d'anciens lits du fleuve protégés.