La conversion bio d'une exploitation laitière du Trièves

« La sensation d'avoir atteint les limites d'un système qui comportait trop de charges opérationnelles et une trop grande dépendance vis-à-vis des fournisseurs, l'envie de découvrir autre chose » : telles sont les motivations qui ont conduit Christian Ville, éleveur laitier au sein du Gaec des Vorsys à Saint-Martin-de-Clelles, dans le Trièves, à convertir son élevage en bio en 2000. Depuis, les choix de changements de pratiques se sont succédées. Certains se sont révélés fructueux, d'autres non. Le témoignage de Christian Ville, exposé dans le cadre de la quinzaine de la bio permet de vérifier qu'il est possible de faire des choix, puis de revenir en arrière si cela s'avère nécessaire.
Des débuts difficiles
Pour Christian Ville, la conversion bio de son élevage a représenté un changement radical, survenu concomitamment à des changements humains au sein du Gaec et à la construction d'un bâtiment de 2 500 mètres carré avec séchage en grange. Les débuts de la conversion se sont avérés difficiles, puisque l'éleveur a vu passer la production de ses montbéliardes de 8 000 à 5 000 litres par vache et par an et apparaître des problèmes de cellules. En cause notamment, l'utilisation du bâtiment et de son aire pentue (qui ne permettait pas toujours une bonne évacuation des déjections), l'utilisation d'une plus grosse partie de foin grossier (pour répondre aux obligations du cahier des charges AB qui était plus contraignant il y a quelques années), la décision de ne plus écorner les bêtes (qui a généré du stress au sein du troupeau), l'arrêt complet des antibiotiques, remplacés par des traitements homéopathiques et phytothérapiques. « Nous avions opéré des choix trop radicaux. Je me rends compte aujourd'hui que nous sommes allés trop loin. Nous avions suivi des formations, auxquelles nous avions adhéré, mais il faut trouver le bon réglage. Le conseil que je pourrai donner avec le recul est de ne pas bouleverser trop de choses rapidement », estime aujourd'hui Christian Ville. « Nous savons nous remettre en question quand on quitte le conventionnel. Il faut aussi le faire quand on est en bio », ajoute-t-il.
Bonnes pratiques
Après quelques années d'ajustement, Christian Ville et son nouvel associé depuis trois ans, Thomas Jouen, ont revu leurs pratiques et constatent une amélioration de la production des vaches et du taux de cellule. Pour le soin des animaux, ils réalisent un curage de l'aire paillée toutes les deux semaines. Ils ont fait leurs armes dans les traitements alternatifs, mais ils n'hésitent pas non plus à utiliser les antibiotiques quand cela s'avère nécessaire (trois traitements allopathiques par an sont tolérés au sein du cahier des charges). Quant à l'alimentation, le foin séché en grange apporte une bien meilleure qualité que celle qu'ils avaient auparavant. Pour Patrick Pellegrin, technicien à Isère conseil élevage, en charge du suivi du réseau d'une trentaine de fermes de références Agriculture biologique régionale, « ce qui compte, c'est la mise en œuvre de bonnes pratiques, que ce soit au niveau du logement ou de l'alimentation des bêtes. La question du sanitaire pose problème avant la conversion, mais une fois que les éleveurs sont en bio, ils n'en parlent plus ». Son expérience révèle aussi « qu'il n'existe pas de système parfait, qu'il faut adapter celui qui correspond à la structure de l'exploitation. Les résultats du réseau des fermes mettent en évidence également qu'il y a toujours plus d'écart entre des éleveurs d'un même système qu'entre les moyennes de tous les systèmes ».
Moins soumis aux aléas conjoncturels
Aujourd'hui, le Gaec des Vorsys, malgré de fortes annuités liées au bâtiment et d'importantes charges salariales (le Gaec est configuré pour trois associés, or ils ne sont que deux, dont Thomas Jouen en arrêt maladie), se porte bien. « Ce serait plus facile si nous étions trois associés, mais, grâce à la valorisation du lait bio (435 euros entre octobre 2013 et septembre 2014) et à la transformation de 62 000 litres de lait en une large gamme de lait cru, faisselles, lactiques, tome, gruyère, abondance, nous nous en sortons, car nous sommes beaucoup moins soumis aux aléas conjoncturels », analyse Christian Ville.
Isabelle Brenguier
Quelques chiffres sur le Gaec des Vorsys
- une SAU de 220 hectares- 62 vaches laitières- 397 800 litres de lait bio dont 335 700 litres vendu à Biolait (collecté par Danone) et 62 100 transformés