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L'actu vue par Erwann Binet, député de l'Isère

"La dénormalisation commence à porter ses fruits"

Interpelé par les agriculteurs au mois de juillet 2015, le parlementaire les rencontrera à nouveau demain, vendredi 12 février.
"La dénormalisation commence à porter ses fruits"

Vous aviez rencontré les agriculteurs au mois de juillet dernier. Depuis, que s'est-il passé ?

La situation est grave depuis plusieurs mois et plusieurs années avec des crises successives et concomitantes. C'est une crise mondiale du lait et je partage l'étonnement du ministre Stéphane Le Foll qui constatait que des pays européens augmentaient leur production de lait. C'est un cercle vicieux : la baisse des prix fait que les producteurs ont tendance à vouloir produire plus. D'où une crise liée à une surabondance de l'offre par rapport à la demande. A cela s'ajoutent la sècheresse de cet été et une crise sanitaire (FCO et grippe aviaire). Nous sommes dans un contexte anxiogène. Le gouvernement a pris de bonnes décisions comme le plan d'urgence et un allègement des charges comme jamais. Ainsi que des actions structurelles sur le coût du travail comme le CICE* ou le pacte de responsabilité. Mais sil est nécessaire de procéder à une réforme structurelle car il s'agit d'une crise profonde de l'agriculture. Il faut que les producteurs s'organisent différemment pour peser sur le marché. Car c'est aujourd'hui une agriculture qui est à bout de souffle.

Le projet de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire présenté en 1ère lecture à l'Assemblée nationale a été rejeté. Pour quelle raison ?

C'est désastreux comme démarche de la part de l'opposition et voué à l'échec car en contradiction avec des dispositions de valeur constitutionnelle et européenne. Dans la situation actuelle, je trouve malsain d'utiliser à des fins politiques la détresse des agriculteurs. La seule disposition avec laquelle on peut être d'accord est celle de l'interdiction de cessibilité à titre onéreux de contrats laitiers. Elle fera d'ailleurs partie de la loi Sapin II** sur la transparence de la vie économique.

Comment se fait-il que les agriculteurs fassent l'objet d'autant de contrôles et que le flou perdure dans la mise en œuvre de la PAC 2015 ? Est-ce une priorité ?

C'est un mal de notre pays. Mais la dénormalisation lancée depuis 2012 commence à porter ses fruits. Les agriculteurs n'ont pas tort quand ils disent que c'est le pays européen qui a imposé le plus de nouvelles normes. Et depuis des années, les administrations ont tendance à ouvrir le parapluie. On en arrive à des situations absurdes. Or, les agriculteurs ont une perception précise et convaincue de la protection de l'environnement.

Un rapport sur la crise agricole sera remis au mois de mars, pour quoi faire ?

Un éclairage est toujours utile. D'autant mieux s'il est suivi de préconisations et de précisions. Les attentes sont fortes sur l'ouverture du chantier pour renverser le rapport de force entre producteurs et industriels. Ce qui réclame une organisation et des filières plus structurées et plus fortes. C'est le point faible de la profession. Il faut une prise de conscience générale, des producteurs, industriels, transformateurs, distributeurs et consommateurs.

Qu'en est-il du débat national sur l'alimentation ?

Les situations sont très différentes selon les régions. L'Isère est un département avec une agriculture riche et variée. On a tous les produits agricoles qu'il est possible de produire en France. Les producteurs font de la vente directe, sont sur les circuits courts etc. C'est unique en France d'être sur un territoire aussi riche. Autant de producteurs dans des situations si différentes donne un état d'esprit plus ouvert quant aux nouveaux systèmes de distribution et aux nouvelles politiques alimentaires du pays. Mais ce n'est pas le cas partout, à preuve, les filières porcines ou avicoles en Bretagne.

Propos recueillis par Isabelle Doucet

* Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

**Loi Sapin II : Le projet de loi sur la lutte contre la corruption et la transparence de la vie économique sera présenté le 23 mars en conseil des ministres