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Glyphosate

La guerre des études scientifiques

Le glyphosate s'est retrouvé au cœur d'une bataille d'influence et a fait l'objet de débats passionnés dans la société civile. L'opposition entre les études a rendu inaudible la parole des experts. Les agriculteurs sont devenus la cible de critiques. Pourtant, une étude épidémiologique de grande ampleur menée aux États-Unis tend à démontrer qu'il n'y a pas de lien entre utilisation de glyphosate et apparition de cancer.
La guerre des études scientifiques

En novembre 2017, après des débats passionnés étalés sur plusieurs mois, les États membres de l'Union européenne ont voté pour une réautorisation de mise sur le marché du glyphosate pour cinq ans. Plusieurs sessions de votes auront été nécessaires pour aboutir à ce vote, qui aurait pu être un motif de soulagement pour les agriculteurs. Néanmoins, dans la foulée, le président de la République a annoncé que la France stopperait son utilisation dans moins de trois ans, soit avant fin 2020. Cet herbicide, largement utilisé et commercialisé depuis 1974 par Monsanto, se retrouve au cœur d'une bataille d'influence, des expertises et des contrexpertises se sont succédé. De ce fait, la parole scientifique sur ce sujet est devenue inaudible par le grand public. Entre 2015 et 2017, 9 agences, dont l'Anses et l'EFSA (agence européenne chargée de l'évaluation des risques dans la chaîne alimentaire) rendent des avis convergents, estimant que le glyphosate est « peu susceptible de présenter un risque cancérigène pour l'homme au travers de la chaîne alimentaire ». En mars 2015, le Circ (centre international de recherche sur le cancer, agence spécialisée de l'OMS) délivre un avis contraire qui classe le produit comme probablement cancérigène pour l'homme. Cette étude, largement relayée, a, semble-t-il, amplement participé à créer la polémique sur l'herbicide, à discréditer certaines agences publiques, dont l'EFSA, à orienter les décisions politiques ainsi qu'à désorienter le débat public. Il semble donc essentiel de comparer les études pour comprendre la divergence des avis. Dans un document, publié en mai 2018, l'Inra précise que l'évaluation du Circ se base sur des études In Vivo sur 54 espèces dont des non mammifères, alors que celles des agences se basent seulement sur des études réalisées sur des mammifères. Autre distinction, les agences ont étudié le glyphosate seul quand le Circ a réalisé 76 expérimentations sur les formulations, donc avec les adjuvants. Enfin, les agences ont pris en compte une étude épidémiologique réalisée aux États-Unis et publiée fin 2017 alors que le centre de recherche contre le cancer ne la prend pas en compte, car elle a été publiée après qu'il a eu rendu cette conclusion.


Une étude épidémiologique jugée « sérieuse »

 

Cette étude épidémiologique, dont les résultats ont été rendus publics le 9 novembre 2017, fait le lien entre incidence du cancer chez les agriculteurs et le glyphosate (https://bit.ly/2sgQzRR). À la différence des études in vivo, les études épidémiologiques sont réalisées sur « de vrais humains » ayant été exposés aux produits disponibles sur le marché. David Louapre, diplômé de l'ENS Lyon, docteur et chercheur en physique, connu pour son travail de vulgarisation scientifique sur son blog* et par le biais de vidéos**, a d'ailleurs décrypté cette étude dans un billet intitulé « Glyphosate : le nouvel amiante ? » (https://bit.ly/2SrT1Qe). Si de prime abord la corrélation entre les deux produits semble farfelue, le chercheur précise que dans les deux cas « on retrouve les mêmes ingrédients ; un produit massivement utilisé par des professionnels, qui se retrouvent de fait fortement exposés (les agriculteurs pour le glyphosate, et les ouvriers travaillant dans le secteur de l'amiante), un lobby industriel puissant ayant un intérêt financier considérable à ce que le produit ne soit pas interdit et enfin des batailles d'influence concernant le caractère cancérigène des produits ». Il souligne que pour l'amiante les résultats épidémiologiques démontrent que les travailleurs de l'amiante ont une probabilité 4 à 6 fois plus importante de développer un cancer par rapport au groupe de contrôle. C'est ce qu'on appelle le « risque relatif ».

Concernant l'étude sur le glyphosate, après vérifications d'usage, David Loupare trouve que les « signaux sont plutôt verts » pour juger que l'étude est fiable ; elle a été publiée dans un journal sérieux, revue par ses pairs, Laura Beane Freeaman, directrice de l'étude, est spécialiste de l'épidémiologie, aucun auteur n'a de conflit d'intérêts déclaré et enfin les financements sont tous d'origine publique. L'étude a été menée pendant plus de 20 ans sur 54 251 agriculteurs de Caroline du Nord et de l'Iowa, un échantillon suffisant pour David Louapre. Dans ce groupe, 9 319 agriculteurs n'ont jamais utilisé de glyphosate, ils sont donc le groupe témoin, et 44 932 ont déjà été exposés au glyphosate. Durant la période de suivi, les chercheurs ont diagnostiqué 7 290 cas de cancer pour le total des agriculteurs : 1 511 cas dans le groupe de contrôle et 5 779 dans le groupe « glyphosate ». Statistiquement les utilisateurs de glyphosate n'ont donc pas plus de chance de développer un cancer. Le physicien remarque tout de même que ces résultats ne suffisent pas à innocenter le glyphosate, car on soupçonne qu'il a un mécanisme d'action spécifique conduisant à favoriser certains types de cancer, comme les lymphomes non hodgkinien, cancer du système lymphatique. Les auteurs ont donc calculé le risque relatif associé à 22 types de cancers (poumon, rectum, testicule...). Pour aucun de ces cancers le glyphosate semble entraîner une augmentation de leur apparition. Des résultats non-significatifs, mais qui méritent une attention particulière, ont tout de même été observés pour la leucémie aigüe, les auteurs appellent donc à analyser spécifiquement ce type de cancer dans les études futures. Cette étude n'a donc pas démontré de lien entre glyphosate et cancer.

Préférer la « rigueur scientifique » aux scénarios catastrophe

« Quantitativement parlant, et en ce qui concerne spécifiquement le lien glyphosate/cancer, on est très très loin des chiffres de l'amiante », souligne David Louapre. S'il stipule qu'il n'est pas à la solde de Monsanto, il appelle les journalistes à faire preuve de rigueur dans l'analyse des études existantes. Il regrette que la presse soit parfois plus encline à publier des résultats catastrophiques quand des études sérieuses vont à l'encontre de ces conclusions. Un avis partagé par Pierre Médevielle, Sénateur du groupe Union Centriste, qui a présenté un rapport de la Commission sénatoriale des affaires européennes sur la réforme de l'EFSA suite à « la crise du glyphosate » (cf article Actuagri du 14 novembre sur la réforme de l'EFSA). Il se désole que jamais la qualité des évaluations scientifiques du Circ n'ait été remise en cause alors que l'EFSA et l'Anses ont été discréditées. Cette crise n'a pas été sans conséquence pour le monde agricole et a participé à l'agribashing. Les agriculteurs se sont parfois sentis attaqués, à tort, par la société civile. Dernière initiative en date qui a irrité le monde agricole, la start-up d'État glyphosate, qui a pour objectif de créer une dynamique chez les agriculteurs et de recueillir le témoignage de ceux qui essaient de se passer du désherbant. La méthode a été remise en cause par la FNSEA et JA. Les deux organisations dénoncent en effet le risque d'agribashing : « à quel moment le compteur sera-t-il jugé suffisant pour ne plus désigner les agriculteurs à la vindicte de l'opinion publique ? Quid de ceux qui ne se déclareraient pas ? ».

 

NB : Envoyé spécial : Glyphosate : comment s'en sortir ? Le 13 décembre une émission spéciale sera entièrement consacrée à l'herbicide. Au sommaire : « Le glyphotest d'Envoyé Spécial"» - «Glypho or not glypho ?» - « Interdiction : le vote impossible » (Eric Thirouin, Secrétaire général adjoint de la FNSEA et président du comité de pilotage du Contrat de solutions, est interviewé dans ce reportage) - « Monsanto, la fabrique du mensonge » - « Sri Lanka, un pays sans glyphosate »

*Blog de David Louapre : https://sciencetonnante.wordpress.com/
** Chaine vidéo de David Louapre : https://bit.ly/2xBkQww