FINANCES
La juste valeur des fermes
Anaël Bibard, responsable de secteur de Cerfrance Isère, est l’auteur d’un mémoire de MBA sur le coût du capital dans les entreprises agricoles.

Quel est le coût des capitaux propres pour les entreprises agricoles face à la prise de décision économique ? Anaël Bibard, responsable de secteur du réseau de conseil et d'expertise comptable Cerfrance à La-Tour-du-Pin, a appliqué une approche et des techniques économiques au monde agricole pour en chiffrer certains éléments capitalistiques. Il a rendu ses conclusions dans le cadre d’un mémoire final de MBA préparé à Grenoble école de management (GEM). Sa thèse de départ consiste à établir qu’il existe un coût du capital réel et chiffrable. Ses résultats sont de nature à modifier les études de valorisation des entreprises agricoles et l’estimation de la rentabilité d’un projet. <i>« J’ai travaillé sur la structure financière idéale »</i>, insiste le manager. Son but : établir <i>« de manière plus appropriée les taux d’actualisation pour le secteur agricole, et en particulier le Coût moyen pondéré du capital (CMPC)</i> » ou coût moyen des ressources financières. Le taux d’actualisation détermine une valeur actuelle de flux futurs. Pour calculer la valorisation de l’entreprise l’expert utilise la valeur du bilan, la valeur de la rentabilité et les actualisations. <br><h1>Coût du capital</h1>Sa méthodologie s’appuie sur des données bibliographiques. <i>« Il n’existe que peu de références qui portent sur le coût du capital en agriculture, mais les données recueillies à l’étranger estiment entre 10 et 15% ce coût du capital, ce qui est très important comparé à ce qui est utilisé habituellement en France »</i>, poursuit Anaël Bibard. En effet, après enquête auprès des conseillers de gestion, il apparaît que le coût considéré dans les calculs de rentabilité s’établit entre 2,5 et 4,5%, et exceptionnellement jusqu’à 9%. <i>« La Valeur actuelle nette (VAN) d’une ferme peut être surestimée grandement avec de tels taux »,</i> note Anaël Bibard. <i>« Il restait à prouver que le coût du capital avait un impact, partant du principe qu’il baisse en fonction du degré d’endettement »</i>, précise le spécialiste. Il admet que d’autres facteurs, tels que la productivité de la main-d’oeuvre et la surface d’une exploitation, peuvent avoir une incidence importante sur la performance financière des entreprises agricoles. <br><h1>Investissement productif</h1>Pour vérifier sa thèse, il s’est plongé dans l’étude de 620 fermes iséroises, de façon à mesurer le lien entre endettement et rentabilité économique. Et de se rappeler un vieux dicton paysan qui dit : <i>« si on n’investit pas, on n’avance pas »</i>. Pour quelle raison ? <i>« L’absence d’investissement limite la capacité de travail et fait baisser la productivité de la main d’�"uvre. In fine, l’agriculteur ne gagne pas sa vie »</i>, résume le spécialiste. Son indicateur de base est le calcul de la rentabilité des actifs, c’est-à-dire le résultat de l’entreprise rapporté à l’actif net mobilisé dans l’activité. Il obtient ainsi des informations sur la capacité de l’exploitation à dégager un résultat en mobilisant ses moyens. Il a ainsi observé 141 fermes laitières, constatant qu’un minimum d’endettement de 40% est nécessaire. L’importance de l’investissement productif se retrouve également dans les structures de vaches allaitantes. Pour l’expert, ces secteurs offrent des possibilités d’optimisation financière en jouant sur la taille des troupeaux et celle des exploitations. C’est peut-être moins le cas dans l’activité céréalière où les structures d’endettement sont moins importantes, en raison notamment du statut de fermage. <br>Concrètement, la ferme moyenne iséroise est endettée à 55% et la moyenne de son coût du capital s’établit à 7,4%. Ce qui n’est pas 4%, ni 15 % ! Il insiste sur la question des troupeaux expliquant qu’une exploitation qui tourne bien, si elle est faiblement endettée pourrait au moins renouveler 25% de ses bêtes chaque année. Un troupeau moyen en Isère représente 89 000 euros de capitaux immobilisés ; un refinancement à hauteur de 40% sur 6 ans, permettrait d’en améliorer la rentabilité. <br><h1>Augmenter les taux</h1><i>« Les résultats obtenus sont cohérents avec les hypothèses initialement dessinées concernant la relation entre l’endettement, la performance financière et le seuil de stress financier »</i>, note Anaël Bibard. <i>« Il apparait clairement que l’endettement a un impact positif sur la performance des entreprises agricoles Iséroises. »</i> Et de conclure : <i>« Cela souligne aussi l’importance de la structuration du capital des entreprises agricoles : un effort doit être fait pour éviter le risque de surendettement (…), mais aussi et surtout pour rechercher le niveau d’endettement optimal, qui oscille d’après les résultats de cette étude entre 40 et 60%. »</i> Il observe également que les exploitations endettées entre 60 et 80% présentent de très bonnes performances financières. Bien entendu, la recommandation principale qu’il adresse aux conseillers financiers dans ce document est d’augmenter les taux d’actualisation utilisés dans les études de valorisation.<br><h6>Isabelle Doucet</h6><br><b>Un sujet atypique </b><br> A Grenoble école de management, le sujet abordé par Anaël Bibard sur la rentabilité des exploitations agricoles revêtait un caractère inaccoutumé. Pour autant, <i>« la réalité économique des fermes est en phase avec la réalité économique globale »</i>, observe le responsable de secteur Cerfrance. Sa thèse est une première en France, la couverture du risque financier en agriculture n’étant pas vue, jusqu’en qu’il en fasse la preuve, comme stratégique. En raison de sa valeur, son travail a donc été classé dans les sujets de thèse non confidentiels et originaux. Après traduction en Français, le document est amené a être diffusé dans le réseau Cerfrance, de façon à inviter les conseillers à réviser les taux et indiquer aux agriculteurs qu’une rentabilité des capitaux propres de 4% est largement en dessous de la réalité !