« La loi Travail donne des perspectives, mais tout reste à construire »

Le gouvernement compte sur la loi Travail pour favoriser l'embauche en CDI. En tant que responsable du recrutement, qu'en pensez-vous?
Les mesures présentées à ce stade ne me laissent pas penser qu'on peut en attendre un effet immédiat sur l'emploi. Elles introduisent pas mal de souplesse en matière de gestion du temps de travail (annualisation des heures supplémentaires, modulation du volume d'heures, durée maximale...), ce qui peut avoir un effet sur les gains de productivité, et donc sur la compétitivité des entreprises. En revanche, la période d'essai de trois ans ou les conditions du licenciement économique, qui avaient été allégées dans la première mouture, ont été retirées dans la version actuelle. Ce qui fait que les employeurs seront toujours aussi frileux. Car un CDI engage une entreprise. En cas d'incertitude économique, si elle ne peut pas licencier facilement, l'entreprise aura tendance à choisir de ne pas se développer, voire à faire à appel à des CDD ou à des intérimaires plutôt qu'à prendre le risque de recruter. La seule chose positive qui est susceptible d'encourager l'embauche, ce sont les précisions sur le motif économique de licenciement : un recul d'activité, une baisse de chiffre d'affaires durant quatre trimestres consécutifs (pour les entreprises de plus de 300 salariés, mais seulement un trimestre pour les PME de moins de 11 salariés, NDLR) ou des problèmes de trésorerie. Pour une entreprise agricole comme la nôtre, cela peut permettre de gérer des difficultés économiques liées à des cycles de baisse de prix par exemple.
Le projet de loi contient-il d'autres mesures pertinentes pour la gestion d'une entreprise ?
Cela donne des perspectives intéressantes, notamment pour le maintien de l'emploi. Mais c'est un projet fourre-tout, très complexe, qui reprend des dispositions anciennes et en introduit de nouvelles. Je pense néanmoins que cela va apporter un peu de visibilité et simplifier certaines procédures. Concernant le plafonnement des indemnités par exemple, la loi précise que si l'ancienneté du salarié est inférieure à deux ans, l'entreprise lui doit trois mois de salaire, six pour une ancienneté entre deux et cinq ans etc. Ce cadrage précis permet d'envisager un plan de départ en le chiffrant, et donc de savoir où on va quand on s'y résout. Mais le code du travail n'est pas révolutionné pour autant. Tout va se jouer au niveau des entreprises elles-mêmes. Pour la modulation des horaires, les heures supplémentaires ou la récupération des heures perdues, qui apportent une réelle souplesse et peuvent permettre d'éviter un plan social, des changements ne pourront être mis en place que par accord d'entreprise. Depuis les 35 heures, toutes les lois sont construites de la même manière : elles ne définissent plus un cadre, mais une possibilité. A chaque entreprise de se débrouiller pour les mettre en place. La chance que l'on a, dans le monde agricole, c'est que nous avons des élus de qualité. Nous pouvons donc espérer aboutir à des accords qui soient à l'avantage des salariés et des entreprises. Mais tout reste à construire. Et construire un accord d'entreprise, c'est long !
La future loi devrait donc favoriser le dialogue social…
Je le pense. Avant, nous étions dans l'affrontement : les lois s'imposaient, il fallait passer en force. Là, nous sommes obligés de discuter sur tous les sujets. Nous avons ainsi la possibilité d'adapter les pratiques d'une entreprise aux attentes des salariés et de la direction. Les accords ne peuvent se mettre en place que contre des concessions, des droits ou des avantages nouveaux. C'est plutôt positif. L'aspect négatif, c'est que tout est transféré au niveau de l'entreprise. Cela risque de provoquer un monde à deux vitesses : les entreprises qui ont les moyens et qui y arrivent d'un côté, celles où tout est bloqué ou qui n'ont pas les compétences techniques de l'autre. Il faudra alors s'en remettre aux accords de branche.
Propos recueillis par Marianne Boilève