La marque Is(h)ere prend son envol en Isère

De belles images, il y en a eu. Dans un supermarché de la plaine de la Bièvre, dans les jardins de la préfecture à Grenoble, au milieu des blés d'un producteur de Sardieu. La petite marque bleue, reconnaissable à son A subliminal symbolisant les Alpes de « la marque territoriale Alpishere », a enfin débarqué dans la vraie vie la semaine dernière. Inaugurée à grand frais, elle devrait être rapidement repérable sur les marchés, chez les artisans-bouchers, les boulangers, les brasseurs et les supermarchés... qui jouent le jeu.
Local et visible
Le logo est d'ores et déjà est aposé sur des sacs de farine (de la maison Cholat), des bouteilles de bières (Mandrin), de la charcuterie (produits de la maison Moiroud, d'Eric Marcoud ou de Christian Boudes/Motte Viandes), de la viande (Eleveurs de saveurs iséroises, Agneau d'alpage et Agneaux de nos fermes), des barquettes de fraises (Luc Armanet), des abricots (Le Val qui rit), des légumes bruts (Jardins de Corneyzin) ou transformés (AB Epluche), des laitages, des fromages, du miel (Benjamin Duffort), des produits transformés à base de noix (Gaec des 13 fontaines) et même de l'omble chevalier fumé (Fumé des gourmets) ou de l'eau de vie de poire (maison Colombier). De quoi régaler des consommateurs isérois en quête de local et répondre aux aspirations de producteurs en quête de visibilité.
C'est d'ailleurs ce qu'ont souligné tous les acteurs du Pôle agroalimentaire lorsque la marque a été présentée au préfet, le 27 juin. « Cette marque sera un indicateur pour les consommateurs, une reconnaissance pour les producteurs, mais aussi une garantie de juste rémunération », a rappelé Christophe Ferrari, le président de la Métro. Jean-Pierre Barbier, le président du Département, a insisté sur ce point : « C'est peut-être un cas unique : nous lançons une marque territoriale qui assure l'origine, la qualité et la juste rémunération. Si elle fait école, tant mieux ! »
Crédibilité
Jean-Pierre Barbier proclame dans la foulée que le lancement de la marque est un « jour de fête ». Mais il sait bien aussi qu'il va falloir « convaincre les producteurs et les transformateurs de s'associer à la démarche pour transformer, ici, en Isère, dans les outils publics à disposition - l'abattoir du Fontanil notamment - et convaincre les consommateurs de choisir la marque Is(h)ere ». Celle-ci n'est pas sans atout. Car, comme le précise Pascal Denolly, vice-président de la chambre d'agriculture et président du comité d'agrément de la marque, « une marque, si elle est portée par les agriculteurs et les socioprofessionnels, est crédible à 80 % » aux yeux des consommateurs.
Règlement d'usage
Ces derniers sont donc à choyer autant que les producteurs. C'est là que l'affaire se corse un peu. Car le règlement d'usage de la marque Is(h)ere, volontairement souple, se contente pour l'instant de spécifier que les produits devront « répondre à un règlement de pratiques de la profession » et que ceux qui sont issus d'une exploitation agricole devront correspondre « à la définition de "produit fermier" ». Sur le flyer de promotion de la marque, on peut ainsi lire que les produits agréés « respectent les bonnes pratiques d'élevage et le bien-être animal, ainsi que la maîtrise des produits et traitement des cultures ». Cela dit, il est prévé qu'un règlement spécifique par production soit mis en place dès l'an prochain pour « valoriser les pratiques des agriculteurs qui répondent à des attentes sociétales (protection phytosanitaire, gestion de l'eau, fertilisation, bien-être animal...) ».
Pour Martine Jonnet, de la charcuterie Christian Boudes (Mottes Viandes), il ne s'agit pas là d'un point de détail : « Derrière la marque, il faut qu'il y ait la qualité du produit. Sinon les consommateurs ne vont pas suivre. Ils n'y croiront pas : ce n'est pas parce qu'on achète un produit fabriqué dans le coin qu'il est bon », a-t-elle prévenu lors de la présentation de la marque Is(h)ere au Super U de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs. Le raisonnement interpelle Jean-Pierre Barbier. « Nous ne communiquons peut-être pas assez sur l'aspect santé des produits », reconnaît-il. Fort heureusement, les producteurs agréés jusqu'à présent sont tous inscrits dans une démarche responsable. Quand ils ne sont pas certifiés en bio, ils sont labellisés ou répondent à des cahiers des charges assez pointus, comme les Eleveurs de saveurs iséroises.
Porte d'entrée
La marque, pour tous ces pionniers, fonctionne autant comme caution que comme porte d'entrée. « Pour nous, ce sera un repère de qualité entre la cantine des enfants et la cuisine des parents », estime Marianne Molina, d'AB Epluche. Pour d'autres, c'est un gros coup de pub (gratuit) pour faire connaître les produits isérois et conquérir aussi bien les marchés locaux que des clients hors des frontières du département. Les maraîchers et les producteurs de fruits, comme Jérôme Jury, espèrent quant à eux rendre l'identité géographique iséroise détectable par les radars des grandes surfaces. Marc Lett, patron de l'Intermarché de Revel-Tourdan, en convient. Il va même plus loin et ose dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas : « Ce logo, ça va nous permettre de concurrencer nos voisins : les Savoyards et les Ardéchois capitalisent comme des fous sur leur nom. Pourquoi pas nous ? »
Denis Chardon, des Jardins de Corneyzin (Saint-Prim), attend quant à lui une reconnaissance de son travail : « C'est une manière d'affirmer que nous sommes producteurs, indique-t-il. Partout, on entend parler de produits locaux. La marque va aider les gens à faire le tri entre ce qui est vraiment local et ce qui ne l'est pas. » Car, comme le fait remarquer Hubert Camut, de la Ferme du Pas de la vache (Sérézin-de-la-Tour), « le consommateur recherche des produits locaux, mais ne sait pas comment les identifier ». Le petit logo bleu devrait désormais l'y aider. En professionnel aguerri, Ludovic Calloud, directeur du Super U de Pays de Bièvre, est en tout cas persuadé que le ciblage est bon. « L'hyper local, ça marche mieux que le local, constate-t-il. Pourquoi ? Parce que le consommateur connaît le gars du coin qui produit. Et c'est lui, le consommateur, qui fera vivre tout ça. »
Marianne Boilève